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Les « revues de performance » annuelles sont-elles dépassées ?

PerformanceREVUEBientôt la fin de l’année, et certains, tant les managers que les employés, sont parmi ceux qui vont se prêter à l’exercice de « revue de performance » annuel, qui va peut-être décider des augmentations et promotions.

Si vous êtes dans ce cas-là, méfiance : vous êtes peut-être en train de travailler dans une entreprise dépassée, voire complètement à côté de la plaque.

Eh oui.

Car on constate aujourd’hui que de plus en plis d’organisations abandonnent ou vont abandonner toutes ces mesures de performance quantifiées. Cela est dû notamment aux évolutions rapides des environnements opérationnels,  l’aplatissement des hiérarchies, l’arrivée des jeunes générations sur le marché du travail et la numérisation du travail.

Ce système de mesure et d’évaluation va être remplacé par de nouvelles méthodes de gestion des performances, plus souples et personnalisées. Les indicateurs de performance traditionnels vont être remplacés par des évaluations par les pairs, des auto-évaluations et plus de dialogue.

Le phénomène, qui n’est peut-être pas encore perçu partout, va s’amplifier pour être généralisé d’ici 2024 ou 2028, selon les prévisions.

Selon le Gartner Group, "À l'avenir, les dirigeants et les managers ne se contenteront pas de mesurer les résultats des employés, mais tiendront compte du contexte dans lequel ces résultats sont obtenus : leurs objectifs personnels, les circonstances dans lesquelles ils travaillent, les groupes auxquels ils appartiennent et le type de travail qu'ils accomplissent".

Dans ce contexte, les entretiens annuels avec les employés ne semblent plus adaptés au monde en évolution rapide.

La prise de conscience est là. Ainsi Deloitte a évalué que la direction et les employés passaient deux millions d’heures par an à évaluer les performances des individus. Cela a motivé l’entreprise à remplacer ces évaluation chronophages par un dialogue et une coopération continue. De plus en plus d’entreprises constatent que la concurrence au bureau entrave la coopération au lieu de la renforcer.

Dans ces nouvelles pratiques, les décisions et les choix sont faits chaque mois ou chaque semaine. Grâce à un examen continu par les pairs et à l’auto-évaluation, les employés développent leurs compétences plus rapidement et se développent eux-mêmes, grâce à ce système de coopération ouverte et transparente.

En parallèle, les organisations évoluent pour travailler moins en silos et plus en interaction, avec des équipes autonomes et des modes projets en co-conception.

Le Gartner Group, dans son enquête 2021, prévoit six grandes tendances dans les systèmes de gestion des performances, à horizon trois à quatre ans.

N° 1 Les objectifs seront tant personnels que professionnels 

Selon l’enquête Gartner, 82% des employés déclarent qu’ils souhaitent que leur organisation les considère comme des personnes et pas seulement comme des employés.

C’est pourquoi les DRH vont chercher à intégrer des objectifs personnels, tels que le bien-être ou l’acquisition de compétences non directement liées à leur travail.  

Pour favoriser un environnement dans lequel les employés peuvent discuter ouvertement et honnêtement de ces objectifs personnels avec leurs managers, il faudra notamment leur fournir des outils d'auto-évaluation de leurs progrès par rapport à leurs objectifs personnels et professionnels.

N° 2 Les évaluations de performance - et les décisions de rémunération - vont évoluer vers un modèle basé sur des projets

Le mode d’organisation par projets se développe, en mélangeant les employés et les travailleurs indépendants, ainsi que les prestataires divers.

Dans ce monde, les employés veulent que la direction évalue leurs performances après chaque projet, et que leur rémunération évolue avec ces évaluations.

Ce système permettra :

- de fournir aux employés un retour d'information, une évaluation et des récompenses en fonction de leur performance d'un projet à l'autre.

- d’évaluer les employés en fonction des résultats obtenus et des commentaires critiques des pairs et des clients.

- de définir et expliquer clairement comment la performance des employés sur chaque projet affecte leur rémunération.

No. 3 Les évaluations de performance refléteront davantage le contexte et l'empathie

La tendance est à une vision plus large du contexte du travail et des personnes.

La conception d'évaluations de performance plus empathiques, telles que "l'apprentissage de nouvelles compétences" (pour les employés les plus performants qui acquièrent de nouvelles compétences dans le cadre d'un projet difficile) ou "la concentration en dehors du travail" (pour qu'un employé confronté à des circonstances difficiles à la maison ne soit pas pénalisé) sera particulièrement importante pour attirer et retenir les employés les plus performants qui cherchent à développer leur carrière dans une organisation donnée.

N° 4 Le retour d'information et le développement seront davantage automatisés

Les employés comprennent, encore mieux que leurs managers, le type de retour d'information et de soutien au développement dont ils ont besoin pour améliorer leurs performances, mais ils n'ont généralement pas la possibilité de participer activement au processus.

De nombreuses organisations ont augmenté leurs investissements dans les technologies de suivi de la productivité des employés, en particulier dans notre monde hybride. La collecte et l'analyse automatisées des données relatives aux activités des employés peuvent être très utiles pour aider les employés à comprendre comment ils se comportent et ce qu'ils peuvent améliorer. À l'avenir, cette technologie permettra d'automatiser les processus de retour d'information et de fournir aux employés un retour d'information opportun et fondé sur des données.

N° 5 Les managers ne géreront plus les performances

À mesure que l'utilisation de la technologie se développe et que les employés deviennent plus proactifs dans la gestion quotidienne de leurs propres performances, les managers ne se concentreront plus sur les entretiens et réunions de gestion des performances dans un processus standardisé, mais sur l'accompagnement personnalisé du parcours et du développement de carrière des employés.

Les responsables RH devront apporter aux managers des ressources nécessaires pour encourager les talents, faire face aux situations de travail difficiles et aider les employés à prendre des décisions sur leurs prochains projets et compétences.

N° 6 La gestion des performances de l'équipe deviendra une préoccupation à part entière

À mesure que les équipes adaptent le lieu, le moment et la manière dont elles collaborent dans des environnements hybrides et distribués, la performance de l'équipe deviendra un sujet à part entière, qui complètera le sujet des performances individuelles.

Il sera demandé aux équipes de travailler plus activement ensemble pour suivre les progrès et améliorer à la fois les performances spécifiques au projet et la dynamique d'équipe. Les équipes auront besoin d'outils et de ressources pour évaluer des aspects importants de leur santé, tels que l'inclusivité, la cohésion, la responsabilité et l'orientation client, et pour diagnostiquer les problèmes.

Ce que l’on va attendre des processus de gestion des performances, c’est finalement ce que le Gartner Group appelle des « pratiques plus humaines ».

Comme un retour aux sources.

A l’heure des technologies, c’est l’humain qui fera la différence et les performances, y compris de la gestion des performances.

De quoi rester optimiste.

 

 


Capital cérébral : à l'attaque !

CapitalcerebralC’est une étude de février 2022 qui reste sujet de questionnement pour les entreprises : Ayant interrogé 994 employés français employés à temps plein ou temps partiel et qui n’ont pas changé d’entreprise depuis janvier 2020, la plateforme Capterra ( plateforme d’avis et de logiciels) dévoile qu’un français sur deux considère ne pas avoir une bonne santé mentale en entreprise.

C’est sûr qu’une entreprise avec une proportion aussi importante d’employés en mauvaise santé mentale ne doit pas réussir à être au top niveau de performance.

Certains vont aller chercher les causes et les solutions dans le management des entreprises. Oui, ces méchants et mauvais chefs qui rendent dingues leurs collaborateurs.

Mais le phénomène ne semble pas propre à quelques entreprises, mais touche, selon les études et enquêtes, toute la société. Il y a donc aussi des causes peut-être plus profondes à détecter. 

Pour résoudre le problème, on pense aussi, bien sûr, aux médecins et aux médicaments. Les business qui se sont rués sur le créneau sont légion.

La santé mentale constitue en France le premier poste de dépenses de l’Assurance-maladie, et a représenté en 2020 23,3 milliards d’euros de remboursements, les boîtes d’antidépresseurs remplissant les armoires à pharmacie.

Doctolib a publié une autre étude en juin dernier qui a montré que les consultations de psychiatres ont grimpé de 32% en 2021, tandis que celles des psychologues ont explosé, passant de 2,97 millions en 2020 à plus de 6 millions en 2021. Et ça continue en 2022, puisque, au cours du premier trimestre, le nombre de recherches sur la plate-forme pour trouver un psychologue a bondi de 69% sur un an.

Cela fonctionne bien, aussi, pour les livres dits de « développement personnel » ; ainsi que les cours de yoga, les médecines « douces », les ateliers de méditation. On trouve même des applications pour smartphones, comme « Petit Bambou » (mais il y en a paraît-il au moins 500.000 sur le même créneau). Ce qui a créé un nouveau commerce qui propose des « certifications » de la sûreté et de la qualité de ces applications (comme Dekra).

Autre business, celui des trucs à boire et à manger (oui, on peut dire qu’il y a à boire et à manger) pour soigner sa santé mentale : infusions relaxantes au CBD, gélules de toutes sortes pour améliorer les capacités de notre cerveau. Même chez Monoprix ou Franprix.

Il va falloir, forcément, faire le tri dans toutes ces initiatives. La bonne nouvelle c’est que cela crée un terreau pour l’innovation et la créativité des entrepreneurs. Et il n’y a pas que des charlatans, heureusement.

La science et la technologie s’associent aussi pour nous trouver les solutions permettant de préserver et même d’accroître ce que l’on appelle maintenant le « capital cérébral » (« Brain capital »). Car face aux défis et agressions que subissent nos cerveaux ( surcharge d’informations, anxiété, dépression, fake news, et même éco-anxiété maintenant, c’est-à-dire cette angoisse de fin du monde face au réchauffement climatique et changements de l’environnement), les spécialistes du « capital cérébral » cherchent les bonnes solutions.

La robotisation et l’emprise des technologies de la quatrième révolution industrielle n’y sont pas étrangères non plus : les emplois les plus menacés par l’automatisation et la robotisation créent forcément ce type d’angoisses.

C’est dans ce cadre que l’OCDE a lancé cette année une initiative « la Neuroscience-Inspired Policy Initiative (NIPI) », pour soutenir le développement des projets sur ce sujet du « capital cérébral ». L’étape suivante est la constitution, depuis juillet 2022, d’ une «Alliance internationale pour le capital cérébral », permettant de mobiliser des organisations diverses.

Voilà pourquoi la préservation et le développement du capital cérébral doivent retenir l’attention des entrepreneurs, des entreprises, et des pouvoirs publics. Une compétition mondiale sur ce terrain a déjà commencé.

La 4ème Révolution industrielle va encore nous surprendre; à nous de nous y préparer, pour ne pas perdre ce capital cérébral.


Un besoin d'autres vies

LivrelireCertains imaginent la fin du roman, comme la fin de la littérature.

Et d’autres qui considèrent le roman et la fiction comme une nécessité vitale.

C’est le cas de Michel Houellebecq, dont Le Figaro reproduisait cet été son discours prononcé à l’université Kore d’Enna, en Sicile, le 15 juin, dont il a été fait docteur honoris causa.

Citons Michel Houellebecq :

« La littérature ne contribue nullement à l’augmentation des connaissances, pas davantage au progrès moral humain ; mais elle contribue de manière significative au bien-être humain, et cela d’une manière à laquelle ne peut prétendre aucun autre art ».

C’est fort. Et pourquoi, Michel ? Expliques-nous.

La preuve, c’est que les guillotinés de la Révolution, du moins certains, lisaient et «juste avant d’être saisis par les aides du bourreau pour être traînés à l’échafaud, ont placé le signet à la page exacte où ils en étaient restés — tous les livres, à l’époque, avaient des signets ».

Et donc :

«  Qu’est-ce que ça veut dire, dans ces circonstances, de placer le signet? Ça ne peut vouloir dire qu’une seule chose, c’est qu’au moment où il lisait, le lecteur était tellement plongé dans son livre qu’il avait complètement oublié qu’il serait décapité dans quelques minutes.

Quoi d’autre qu’un bon roman pourrait produire cet effet? Rien ».

Bon, Michel Houellebecq convient que la Révolution et la guillotine ne vont pas revenir tout de suite. Mais en revanche on attend toujours quelque part, y compris dans, justement, ces « salles d’attente » chez les médecins. Et c’est dans cette attente que l’on est comme ces guillotinés ; on lit.

Et voilà la « raison d »être » de la littérature :

«  La raison d’être fondamentale de la littérature romanesque, c’est que l’homme a en général un cerveau beaucoup trop compliqué, beaucoup trop riche pour l’existence qu’il est appelé à mener. La fiction, pour lui, n’est pas seulement un plaisir ; c’est un besoin. Il a besoin d’autres vies, différentes de la sienne, simplement parce que la sienne ne lui suffit pas. Ces autres vies n’ont pas forcément besoin d’être intéressantes ; elles peuvent être parfaitement mornes. Elles peuvent comporter beaucoup d’événements, de grande ampleur ; elles peuvent n’en comporter aucun. Elles n’ont pas forcément besoin d’être exotiques ; elles peuvent se dérouler il y a cinq siècles, dans un continent différent ; elles peuvent se dérouler dans l’immeuble d’à côté. La seule chose importante, c’est qu’elles soient autres ».

Alors, vous avez lu des romans, vous, cet été ? Pour répondre à ce besoin d’autres vies.

Moi, oui.

Tiffany Tavernier (oui, la fille du réalisateur Bertrand Tavernier) , à la fois romancière et scénariste pour le cinéma, nous permet de vivre le destin d’un « ami », ce voisin que l’on croyait connaître, avec qui on se faisait des apéros et des barbecues, et qui est en fait…Bon on va pas spoiler. Mais le roman est construit sur cette découverte, et l’on évoque avec lui tous ces gens que l’on croit connaître et que l’on ne connaît pas, en fait. Le roman, paru l’année dernière, et en Poche cette année, s’appelle simplement « L’ami ».

Le roman, c'est comme la vie, c'est la découverte de "l'autre".

Et puis, les romans de ce qu’on appelle la « rentrée littéraire », qui paraissent dès fin août.

Muriel Barbery nous fait cheminer, dans son roman « Une heure de ferveur », avec Haru Hueno, au Japon, que nous accompagnons sur un temps très long, puisque le roman commence quand il a trente ans, et se termine à sa mort. Nous y vivons cette « expérience du Japon » dont Muriel Barbery a été très marquée, en buvant du saké à toutes les pages, ou presque, en dégustant ces champignons matsutakés, rares et appréciés au Japon, comme la truffe en Europe (je n’en ai jamais goûté), et aussi cette fondue japonaise avec « le réchaud, le nabe en fonte, les tranches de bœuf, les feuilles de chrysanthèmes, les cives, les oignons, les champignons, le tofu et l’œuf battu ». Cette « heure de ferveur » est une citation de Saint-Exupéry, dans « Terre des hommes », qui parle du désert qui « n’offrait qu’une heure de ferveur, et c’est nous qui l’avons vécue ». Muriel Barbery reprend l’image, lors de funérailles (et on assiste à pas mal de funérailles dans ce roman) : «Sache que si j’étais seul, j’appellerai les puissances de la mort et je leur dirai : Je ne vous redoute pas. Mais je ne suis pas seul et si la vie n’offre plus qu’une heure de ferveur, je veux que nous la vivions ensemble ».

On découvre aussi les montagnes et jardins du Japon, à Kyoto.

Et cette histoire de renard, qui revient plusieurs fois, comme un refrain de ce temps long, et que rappelle l’illustration de couverture de ce livre :

«  Vers le milieu de l’époque de Heian, il y eut des aubes de toute beauté. Au fond des cieux se fanaient des brassées de fleurs pourpres. Parfois, de grands oiseaux se prenaient dans ces reflets d’incendie. A la cour impériale, une dame vivait recluse dans ses quartiers, sa noblesse scellait son sort de captive et même le petit jardin attenant à sa chambre lui était interdit. Cependant, pour contempler les aurores, elle s’agenouillait sur le bois de la galerie extérieure et depuis la nouvelle année, chaque matin, un renardeau s’invitait dans le jardin. Bientôt, une pluie drue s’installa jusqu’au printemps et la dame pria son nouvel ami de la rejoindre à l’abri, en surplomb du clos où il n’y avait qu’un érable et quelques camélias d’hiver. Là, ils apprirent à se connaître en silence.

Ensuite, après qu’ils eurent inventé un langage commun, la seule chose qu’ils se dirent fut le nom de leurs morts ».

Ce renard revient plusieurs fois dans le roman, y compris dans les dernières pages ( « le renard est la clé »).

Ce roman est sur la liste des candidats au Prix Goncourt.

Retour en France, en Bretagne, dans le Finistère Nord, avec le roman de Victoria Mas, son deuxième (oui, c’est la fille de Jeanne Mas, en rouge et noir), « Un miracle ». Sœur Anne, religieuse chez les Filles de la Charité (oui , la chapelle rue du Bac à paris, où, en 1830, Catherine Labouré a eu une apparition de la Vierge), reçoit d’une de ses condisciples une prophétie : la Vierge apparaîtra en Bretagne, et elle s’y précipite, à Roscoff et l’Île de Batz, pour y être. Elle y rencontrera cet adolescent, Isaac, qui dira « Je vois ».

Le miracle de l'apparition de la Vierge, comme un moment, selon les mots de Victoria Mas, un moment de "ferveur".

C’est à Béthune que Yannick Haenel emmène ses lecteurs, avec « Le Trésorier-payeur ». La première partie du roman raconte comment l’auteur a eu l’idée de ce roman et de ce personnage. On y voit tous les fils qui vont tisser le roman ; c’est comme si on écrivait le roman avec lui : « Il n’y a rien de plus beau qu’un roman qui s’écrit : le temps qu’on y consacre ressemble à celui de l’amour : aussi intense, aussi radieux, aussi blessant. On ne cesse d’avancer, de reculer, et c’est tout un château de nuances qui se construit avec notre désir : on s’exalte, on se décourage, mais à aucun moment on ne lâche sa vision. Parfois un mur se dresse, on tâtonne le long des pierres et lorsque l’on trouve une brèche, on s’y rue avec un sentiment de liberté inouïe. Les lueurs, alors, s’agrandissent, et c’est toute une mosaïque de petites lumières qui s’assemble peu à peu, jusqu’à former non seulement un soleil, mais aussi une lune, un univers complet, avec ses nuits et ses jours ».

Ce  » Trésorier-Payeur », c’est cet employé de la Banque de France de Béthune, qui a été fermée en 2007, et transformée en un centre d’art contemporain, dans lequel Yannick Haenel a participé à une exposition. Ce qui attire l’attention de Yannick Haenel, c’est cette maison de briques rouges , juste derrière la banque, qui avait justement appartenu à ce « Trésorier-payeur », et qui était reliée à la banque par un souterrain, aujourd’hui bouché. Il n’en faut pas plus pour que cela déclenche la curiosité et fasse « scintiller » un roman.

L’auteur nous dit tout : « Tout le reste de la journée, je ne pensais qu’à ça, au tunnel, aux trous, à l’obsession qui nous fait le creuser. Non seulement, je pensais à cet invraisemblable trou creusé sous la Banque de France, mais déjà moi-même, en y pensant, je ne cessais de creuser. Le tunnel, je m’y voyais, je m’y engouffrais, je le continuais ».

Du vrai « Trésorier-payeur » on ne sait pas grand-chose, si ce n’est que ce personnage n’était pas Trésorier-payeur, mais un simple trésorier de la Banque. Mais ce titre était tellement évocateur que l’auteur le garde : « Je décidai de continuer à l’appeler le Trésorier-payeur, avec cette épithète presque énigmatique, parce que d’une part c’est ainsi qu’on me l’avait présenté, et d’autre part parce qu’il prenait sous cette dénomination figure de personnage. Un simple « trésorier », même si le mot qui le désigne éclate comme un soleil, n’est jamais qu’un employé, alors qu’on peut très bien imaginer, sous l’étrange dénomination de « Trésorier-payeur », des compétences occultes : les rayons du soleil sont ici plus abondants et touchent à l’inconnu ».

Alors l’auteur va imaginer pour nous la vie de ce « Trésorier-payeur » depuis ses années d’étudiant, jusqu’à ses années à la Banque de France de Béthune, ainsi que ses rencontres et amours.

L’imagination de l’auteur en fait une sorte de banquier anarchiste, qui veut dépenser plutôt qu’économiser (dans une lecture originale du mot économie) :

«  Il expliqua que la planète entière était fondée sur l’économie, c’est-à-dire l’épargne ; que chacun ne fait qu’économiser – ses forces et son argent ; qu’on ne cesse d’accumuler, et que l’accumulation est une manière de s’éteindre car la vraie vie réside dans la dépense ».

Yannick Haenel est allé cherché ses références dans l’œuvre de Georges Bataille, « la part maudite », car il se trouve que ce Trésorier-payeur était un homonyme qui s’appelait aussi Georges Bataille. C’est dans ce livre, « la part maudite » (écrit en 1949) que Georges Bataille, dixit Yannick Haenel, « envisage la dépense, voire la ruine, comme la vérité de l’économie et considère que les richesses appartiennent moins à l’épargne qu’au rite qui les consume ». Le roman rejoint l’œuvre du philosophe. Et le héros du roman est justement un étudiant philosophe qui devient banquier.

Lire des romans, comme un besoin d’autres vies, selon Michel Houellebecq, pour voyager autour du monde avec des philosophes, des poètes et même des renards. Lire comme une heure de ferveur. 

De quoi faire la rentrée plein d’idées, d’envies et de ferveur, pour plus d'une heure.