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Poignées cherchent valises

ValiseOn attribue à Jacques Chirac, lorsqu’il était Premier Ministre, cette expression, alors qu’il jurait contre les députés de sa majorité qui critiquaient Simone Weil et son projet de réforme, en les traitant de « cons comme une valise sans poignée ». C’était le temps où les valises avaient des poignées rivetées, avant que l’on développe les valises avec poignée intégrée, avec des roulettes (invention de Delsey, en 1972).

C’est vrai qu’une valise sans poignée, c’est vraiment con.

Mais que dire d’une poignée sans valise alors ?

C’est la métaphore que je découvre dans le livre de Ed Catmull, fondateur de Pixar, " creativity, Inc" qui y révèle les « secrets de l’inspiration » et de ce qui a fait la créativité de l’entreprise et de ses collaborateurs.

C’est quoi cette histoire ?

Ed Catmull utilise cette image à propos des mots et phrases que nous utilisons en en perdant le sens :

«  Imaginez une vieille valise lourde dont les poignées bien usées sont suspendues par quelques fils. La poignée, c’est « faire confiance au processus » ou « l’histoire prime sur tout le reste » ( il s’agit des phrases toutes faites qui circulaient chez Pixar parmi les collaborateurs) : une déclaration concise qui semble, à première vue, représenter tellement plus. La valise représente tout ce qui est entré dans la formation de la phrase : l’expérience, la profonde sagesse, les vérités qui émergent de la lutte. Trop souvent, nous attrapons la poignée et -sans nous en rendre compte- nous partons sans la valise. Qui plus est, nous ne pensons même pas à ce que nous avons laissé derrière. Après tout, la poignée est tellement plus facile à transporter que la valise ».

Cette image est marquante. «  Une fois que vous serez conscient du problème de la valise/poignée vous le verrez partout. Les gens s’approprient des mots et des histoires qui sont souvent simplement des doublures pour une action concrète et un sens ».

On voit où il veut en venir : « Les entreprises nous parlent constamment de leur engagement envers l’excellence, sous-entendant que cela signifie qu’elles ne fabriqueront que des produits haut de gamme. Les mots comme qualité et excellence sont mal appliqués avec une telle détermination qu’ils frisent le vide de sens ».

C’est vrai que les entreprises qui alignent les mots sans trop vérifier ou démontrer qu’elles les méritent vraiment, on en connaît.

Avec la nouvelle vague des « raisons d’être » et des « entreprises à missions », elles veulent toutes être « responsables », « inspirer à chacun l’envie de s’ouvrir au monde pour créer ensemble des lieux de vie uniques, chaleureux et durables » (Maisons du Monde), «  Se mobiliser et innover pour permettre aux fumeurs adultes d’arrêter la cigarette en faisant de meilleurs choix » (Philip Morris) ; ça marche aussi dans la Banque, comme au Crédit du Nord, qui va disparaître dans sa fusion avec le réseau Société Générale, mais qui garde dans sa raison d’être «  une gestion plus autonome dans la commande de chéquiers, s’inscrivant dans une démarche éco-responsable »  (sauver la planète en commandant un chéquier : tout un symbole !); Même la Française des Jeux s’y est mise avec une raison d’être venue de ses origines, en « héritiers de la Loterie Nationale créée pour venir en aide aux blessés de la Première Guerre mondiale, nous perpétuons nos actions sociétales et solidaires, et notre participation au financement de l’intérêt général » ;  Les entreprises de Conseil aussi sont dans le coup, comme celle qui a trouvé comme raison d’être de «  révéler le potentiel des individus et collectifs pour les aider à délivrer ce qu’ils ont à apporter au monde et ainsi contribuer à un progrès responsable », avec comme mission de «mettre le meilleur des technologies au service de l’humain » (l'humain, ça marche toujours) (Colombus Consulting) ; Mais on peut aussi avoir comme raison d’être de «  réaliser la promesse de la technologie alliée à l’ingéniosité humaine » (L'humain encore) (Accenture).

A apprécier aussi la raison d’être et la mission de la Macif, qui s’engage «  à développer l’autonomie et l’engagement de nos salariés pour les rendre acteurs de notre projet collectif » (avec quelques couacs parmi les salariés qui se sentent plutôt surveillés qu’autonomes).

Vous y croyez ? J'en ai vu qui riaient...

Tout le florilège est dans ce site ; il y a de quoi visiter le musée des poignées. Il ne reste plus qu'à y croire. Et à chercher les valises.

Comme le dit Ed Catmull, « Pour garantir la qualité, excellence doit donc être un mot mérité, attribué par les autres à nous, non pas proclamé par nous sur nous-mêmes. Il est de la responsabilité des bons dirigeants de s’assurer que les mots restent attachés aux significations et aux idéaux qu’ils représentent ».

Oui, des poignées, des mots qui clament nos bonnes intentions et nos engagements, on en voit et on en lit dans les raisons d'être et les missions. Reste à vérifier que sous la poignée, il y a la bonne valise.

Merci à Ed Catmull de nous le rappeler.

Poignée cherche valise : à qui le tour ? 


La guerre des mondes 3.0 dans le Metaverse

GuerredesmondesAujourd’hui encore, la perception du Metaverse par le public ce sont des jeux vidéo, des expériences de réalité virtuelle, des technologies encore naissantes, des applications sociales pour y faire des réunions avec des lunettes et un casque sur la tête. Mais pour ceux qui en imaginent des perspectives de business plus vastes, c’est un nouvel eldorado pour demain ; et on imagine aussi y vendre des services financiers.

Mais on commence aussi à imaginer une vision à plus long terme du Metaverse, comme un nouveau monde virtuel, qui convergera avec le monde réel que nous connaissons, pour forger un tout nouveau monde qui nous transformera tous.

C’est l’exercice auquel se sont livré les équipes de Deloitte China, dans un rapport aux accents de science-fiction.

Ce nouveau monde comprend quatre dimensions.

Première dimension : le Metaverse, miroir qui simule le monde réel

Ils modélisent le monde réel en dix éléments : l’environnement, les personnes, les objets, les institutions, la société, ainsi que les systèmes économiques, de production d’entreprises, de production individuelle, de civilisation, et de gouvernance.

Dans le monde virtuel du metaverse on retrouvera ces mêmes dix éléments.

Mais cela va plus loin, car le Metaverse permet aussi de créer un monde virtuel avec les mêmes dix éléments, mais complètement nouveaux.

C’est la deuxième dimension.

Deuxième dimension : Un monde virtuel natif

En effet, le Metaverse va permettre de créer des personnes, des objets, des environnements, qui seront complètement virtuels. Et aussi de nouvelles régulations et modes de gouvernance.

On rencontrera dans le Metaverse des avatars de personnes du monde réel, mais aussi des personnes complètement virtuelles, sans correspondant dans le monde réel. Idem pour les objets : les NFT sont des objets virtuels originaux.

Pour les organisations, on trouvera les DAO ( Decentralized autonomous organizations), des modèles décentralisés, sans chef unique, qui sont régis par des règles inscrites dans la blockchain, et complètement différentes des modèles d’organisation du monde réel qui, eux, fonctionnent encore avec des modèles plus centralisés.

Troisième dimension : Le monde réel

Le monde réel sera, finalement, partie intégrante du monde Metaverse, puisqu’il y disposera de facsimiles des éléments du monde réel : nos avatars, par exemple. Et ce qui crée la valeur dans le Metaverse est généré par les interactions entre le monde réel et le monde virtuel : on peut acheter dans le Metaverse et obtenir les objets et produits dans le monde réel. Et inversement.

Quatrième dimension : La convergence et les interactions entre les mondes réels et virtuels

En donnant la possibilité de passer d’un monde à l’autre, on se crée un nouveau monde.

C’est le degré de convergence et d’interactions entre ces deux mondes qui sera critique, et d’autant plus au moment, que certains imaginent pour très bientôt, où l’on aura plus d’interactions dans le monde virtuel que dans le monde réel.

Au premier niveau, le monde virtuel répliquera le monde réel, avec des règles identiques.

Mais on peut ensuite imaginer que de nouvelles règles de gouvernance vont émerger dans ce nouveau monde. Avec la question non résolue : qui gouvernera le Metaverse ? Les humains ou l’intelligence artificielle ? Les Etats ou les entreprises ? Pas si évident à l’heure où les entreprises technologiques, déjà aujourd’hui, possèdent plus de données sur les populations que les Etats.

De nouvelles communautés, des sociétés même, vont se créer avec le Metaverse, qui seront complètement indépendantes des Etats. Avec des avatars, des règles et des monnaies nouvelles. 

Ceux qui rêvent d’un nouveau monde « Metaverse » l’imaginent comme un monde où le privilège du pouvoir centralisé va s’affaiblir, ou disparaître. Avec les DAO et les nouvelles communautés hybrides, aucune entité d’Etat, aucun pays, ne pourra plus exercer le contrôle. Pas simple pour la fiscalité. 

Mais les interactions vont encore plus loin et posent de nouvelles questions : qui va contrôler la sécurité des informations, des données, et l’intégrité, ainsi que la vie privée ?

Ce Metaverse consommera aussi beaucoup de réseaux et de stockage de données, ainsi que de l’énergie. Qui va réguler tout cela, et comment sera-ce compatible avec la recherche de neutralité carbone ? Comment seront construites et exploitées les infrastructures nécessaires ?

Il est assez paradoxal que ce soient les équipes chinoises de Deloitte qui se posent toutes ces questions.

Ce nouveau monde sera-t-il inventé à l’Est ?

Encore un aspect de la guerre géopolitique, dont nous n’avons pas encore mesuré toutes les dimensions.

La guerre des mondes version 3.0 ?


Services financiers dans le Metaverse : la chasse est ouverte

ChasseouverteDans ce qu’on a appelé le Web 2.0, c’est-à-dire internet, les services financiers et les banques ont utilisé ces technologies essentiellement pour la formation des employés, pour créer des espaces d’interactions avec les clients ou pour les employés, des offres de « banque en ligne », ainsi que des services virtuels de conseil en investissements. Ces offres et services sont aujourd’hui plutôt matures et proposés par toutes les entreprises. Mais, en fait, cela n’ a pas fondamentalement changé leur business model, qui est resté identique à celui du monde physique. C’est comme dans une agence, mais en ligne. C’est comme dans une classe de formation, mais en ligne, devant son ordinateur.

Mais tout va être différent avec le Metaverse, qui offre des perspectives plus importantes, et peut bouleverser les modèles plus profondément.

On peut déjà observer les initiatives des pionniers, rapportées notamment dans ce récent rapport (juin 2022) de Mac Kinsey qui analyse les impacts actuels et potentiels du Metaverse par secteur d’activité.

En 2022, les initiatives se sont multipliées, et peuvent inspirer les autres. Cela concerne les communautés et les paiements dans le metaverse.

En mars 2022, la banque HSBC a annoncé un partenariat avec The Sandbox, pour y acheter un terrain virtuel destiné à créer une communauté avec les fans de e-sports. Le Directeur Marketing de HSBC Asia-Pacific a déclaré à cette occasion : « Le métavers est la façon dont les gens vont vivre le Web3, la prochaine génération d'Internet, en utilisant des technologies immersives comme la réalité augmentée, la réalité virtuelle et la réalité étendue. Chez HSBC, nous voyons un grand potentiel pour créer de nouvelles expériences par le biais de plateformes émergentes, ouvrant un monde d'opportunités pour nos clients actuels et futurs et pour les communautés que nous servons. Grâce à notre partenariat avec The Sandbox, nous faisons une incursion dans le métavers, ce qui nous permet de créer des expériences de marque innovantes pour nos clients actuels et futurs. Nous sommes ravis de travailler avec nos partenaires sportifs, les ambassadeurs de nos marques et The Sandbox pour cocréer des expériences qui sont éducatives, inclusives et accessibles ».

La FinTech Sokin, à Londres, a annoncé en février 2022 qu’elle va lancer sa propre communauté métaverse, conçue pour traiter des transactions de commerce électronique complètes. Le monde métavers de Sokin hébergera une communauté en 3D de marques et de détaillants - du sport à la mode et au-delà - et permettra aux consommateurs de se rencontrer, de communiquer, de faire des transactions, d'investir et d'acheter dans un écosystème et une économie virtuelle globaux. Les consommateurs effectueront leurs achats par le biais de l'application mobile peer-to-peer accessible de Sokin au sein du métavers.

Le monde métaversé de Sokin accueillera ainsi différentes marques et entreprises auxquelles les visiteurs pourront accéder (chaque pièce est dédiée à une marque, où le visiteur peut accéder pour ses achats), par exemple un club de football, une marque de divertissement ou de mode.

La néobanque Zelf, qui se veut la banque du Metaverse, a lancé un service de banque pour le metaverse, le MetaPass, accessible via la messagerie Discord, pour les gamers ( on notera le super design du site !), permettant notamment d’acheter et échanger des NFT aussi simplement que d’acheter du pain dans une boulangerie (mais les gamers vont-ils encore dans les boulangeries ?).

La banque TerraZero s’est, elle, spécialisée dans les prêts hypothécaires dans le Metaverse, pour justement y acheter des terrains ou y monter des projets d’investissements.

Pour les services financiers, on prévoit une extension des catégories de clients, qui ne se limiteront plus aux seuls gamers ou à des interactions de communautés spécialisées comme les fans de sport. Les services proposés vont également s’étendre.

La rapport de Mac Kinsey cite notamment :

  • Le Marketing : les institutions financières sont prêtes à créer des Branches « Digital » dans le Metaverse, pour y implanter leur marque et asseoir leur crédibilité, permettant au client d’avoir des interactions avec sa banque de manière hybride, tant dans le monde physique ou digital que dans le monde du metaverse ;
  • Les infrastructures : ceci correspond aux services d’identité numérique, de paiements digitaux, détention des NFT, des cryptomonnaies ou autres actifs digitaux ;
  • Les nouveaux produits et services associés au Metaverse : Par exemple les « cyber assurances ».

Mais plus les usages et les clients vont se développer, plus de nouveaux services vont apparaître, qui correspondent à autant d’opportunités pour les services financiers :

  • Des services pour les propriétaires de « wallets » dans le metaverse, tels que le « multicash management »,
  • Des prêts hypothécaires et montages de financement de projets pour le metaverse,
  • Des services de crédit consommation,
  • Des programmes de fidélisation, de paiement différé,
  • La financiarisation de tout, à mesure que de plus en plus d'actifs numériques sont créés et ont une utilité dans un contexte de metaverse, par exemple en étant utilisés comme garantie pour des prêts.

Bien sûr, la montée en puissance de ces services va dépendre de la montée en puissance des usages et de l’adoption du metaverse par les consommateurs de toutes sortes. Et les banques et services financiers peuvent décider de ne pas trop s’y intéresser pour le moment. Mais, le moment venu, il leur faudra aussi s’être équipé des talents et compétences nécessaires pour s’y développer et y prendre une place intéressante. Cela vaut la peine d’anticiper un peu dans les Départements des Ressources Humaines.

Car là encore, ce qui bloquera, ce ne sera pas la technologie, mais la capacité humaine à s’y adapter.

De quoi susciter la naissance de nouvelles start-up et licornes sur le marché des services financiers.

La chasse est ouverte dans le metaverse.


Rendez-vous sur Mars

MarsJ’avais déjà prédit ICI l’arrivée des Metaverse-consultants et des Metaverse-coachs, à la suite du développement des technologies Metaverse. Eh bien, ça y est, ils sont là, et en grand nombre.

On ne compte plus les plaquettes, les offres, les articles, et maintenant les livres avec les méthodologies pour s’y retrouver et s’y plonger. Ainsi que les annonces des entreprises par les PDG qui y mettent un pied, ou plus.

Alexandre Bompard a lui-même déclaré récemment avoir investi dans le Metaverse pour Carrefour, en achetant un terrain dans The Sandbox, sans trop savoir lui-même ce qu’il va en faire, mais, juste « pour ne pas rater une innovation ».Il a déjà commencé à y passer des entretiens de recrutement pour des data scientists.

Forcément, cela attire aussi les experts et tous ceux qui se présentent comme les meilleurs prospectivistes sur le sujet.

KPMG Australie donne la parole, dans une plaquette étonnante sur la réalité augmentée ( «  Future of extended reality ») à une dizaine de ces « experts », notamment des entrepreneurs qui ont créé des équipements pour s’immerger dans la réalité virtuelle (dans la VR virtual reality) ou des plateformes avec la technologie de réalité augmentée (dans la AR augmented reality).  Ce ne sont pas seulement des prévisions, mais aussi des produits et services qui existent déjà. Il y a de quoi en avoir la tête qui tourne, et susciter envies ou frayeurs, selon notre état d’esprit.

Prêt pour le plongeon ?

Alvin Graylin, Président HTC Chine (fabricant de téléphones, mais aussi plus récemment d’équipements de casques pour réalité augmentée), annonce la (sa) couleur : « D’ici 10 ans, vous passerez 12 à 15 heures par jour sur des écrans de réalité augmentée, à partir d’un équipement sur votre tête ». HTC a annoncé bruyamment qu’ils lançaient un smartphone spécial Metaverse, le HTC Viverse. Il ne sera disponible qu’à Taiwan, et si ça marche, dans le reste du monde ensuite.

Avec ces équipements sur la tête, toujours selon Alvin Graylin, la réalité augmentée (XR), avec l’intelligence artificielle, fera de nous un génie, car n’importe quelle donnée que nous souhaitons connaître est instantanément disponible devant nos yeux. Plus besoin d’utiliser notre cerveau pour aller chercher les données, il sera entièrement disponible pour prendre les décisions, sans avoir besoin de recourir à la mémoire. Je n’oublierai plus jamais le visage d’une personne, car j’aurai son nom sur le haut de son visage lorsqu’elle viendra vers moi lors d’une réunion ou d’une conférence. Et cette possibilité d’avoir cette information instantanée va bien sûr, « changer nos vies ».

Et puis, taper un texte sur son ordinateur ou son smartphone est particulièrement inefficace, alors que nous parlons à une vitesse de deux cents mots par minute, que nous pouvons écouter environ cinq cents mots par minute, et nous pouvons penser en images qui représentent des millions de bits par minute. Conclusion : dans ce mode de réalité augmentée, nous seront beaucoup plus productifs en communication et pour aller chercher les informations dans notre cerveau et les partager avec le monde.

David Whelan, lui, est le CEO de ENGAGE, une plateforme spatiale en 3D, où nous pouvons déjà organiser des réunions et des évènements. Lui aussi a sa prévision : « Dans les 3 à 5 prochaines années, plus de 50% des employés qui travaillent dans des bureaux travailleront en total télétravail sur des plateformes comme ENGAGE ». Il y aura aussi des emplois à plein temps dans les mondes virtuels, et nous allons très bientôt embaucher pour ces emplois. Ces emplois seront des emplois d’accueil du public dans la plateforme virtuelle, pour leur montrer les lieux et leur proposer des services. Ainsi, si je veux réserver un hôtel pour mes vacances d’été, je pourrai visiter cet hôtel et regarder par la fenêtre pour vérifier la vue que j’aurai. Mais je pourrai aussi aller chez Nike pour choisir mes chaussures et voir comment ça rend sur mon avatar, et bien sûr en recevoir une version réelle dans le monde physique. Cette réalité virtuelle est déjà là aujourd’hui. La technologie est disponible.

David Whelan constate que cette industrie est encore aujourd’hui dominée par les hommes, car les casques s’adaptent moins bien aux petites têtes. Quand les équipements de casques seront remplacés par des lunettes, elles seront plus adaptées pour les femmes. Or, déjà aujourd’hui, le plus grand marché du gaming est dominé par les femmes, avec des jeux comme Candy Crush ou autres du même genre. Et donc David Whelan est certain que ce sont les femmes qui feront décoller le marché de la VR.

Et les perspectives le font rêver : Dès que l’on passera cinq minutes à se promener dans une route virtuelle de la plateforme, celle-ci va être capable de connaître votre préférence sexuelle, quelle est votre couleur favorite, quelles marques vous préférez, et tout ça sans avoir prononcé un mot, mais seulement en analysant les mouvements de vos yeux et les données biométriques. Car en effet, tout ce que vous faites à l'intérieur d'un environnement virtuel est tracé. Ce que vous regardez et combien de temps vous le regardez. De plus, ces comportements à l'intérieur de l'environnement virtuel ne sont pas (pas encore) considérés comme des données personnelles (encore une preuve que la régulation est en retard sur les technologies), et appartiennent donc à la plateforme.

Vous commencez à avoir peur? 

Mais ce qui fera vraiment décoller la VR, c’est un évènement majeur que David Whelan imagine d’ici cinq ans. En effet, ce qui avait fait décoller les ventes de téléviseurs, en 1969, c’est la marche sur la lune de Neil Armstrong. Imaginons que dans cinq ans quelqu’un marchera sur Mars. Une bonne façon de retransmettre l’évènement sera de le diffuser en réalité virtuelle, avec des caméras à 360° placées sur la surface de Mars. Et quand cette personne mettra le pied sur Mars, je vais vouloir, moi aussi, le vivre en réalité virtuelle, comme si j’étais à côté d’elle. Alors, tout le monde voudra vivre ça, et acquérir les casques ou lunettes qui le permettront. Autre prédiction de David Whelan : la première personne qui marchera sur Mars sera une femme.

Pour Ric Holland, fondateur de Extreme Digital (un fond de Venture dans les technologies AR/VR), être immergé dans un metaverse avec ses collègues va permettre des séances de travail plus engagées, avec moins de distractions externes, et la technologie de « spatial audio » permet de vraiment se sentir dans la pièce, permettant les interactions comme dans une vraie salle de réunion, et même les chuchotements avec son voisin, bien mieux que les micros dans Zoom. C’est tellement génial que Ric Holland nous le prédit : on disposera d’un équipement de réalité augmentée comme on a aujourd’hui un smartphone, et il y aura aux Etats-Unis 150 millions d’utilisateurs d’ici trois ans, de quoi faire disparaître les barrières et interfaces entre les humains et la technologie.

Alors, prêts pour le nouveau monde ?

Rendez-vous sur Mars ?


Panne de travail

PanneOn dit qu’ils ont toujours tort. Et pourtant, ils sont, paraît-il, de plus en plus nombreux, et on s’intéresse beaucoup à eux.

Ce sont les absents. Ceux qui sont en panne de travail, non pas des chômeurs, mais ceux qui volontairement ou pour une autre raison, ne veulent plus ou ne peuvent plus travailler momentanément, voire définitivement.

Oui, l’absentéisme est en progression, si l’on s’en réfère aux nombreux baromètres et études sur le sujet, produits par des entreprises d’assurances qui en profitent pour caser leurs offres de « bien-être au travail ». C’est le cas du baromètre de WTW (ex Gras Savoye), qui a calculé que le taux d’absentéisme en France a progressé de 37% de 2017 à2021, et même de 54% chez les jeunes. Il y a la même chose chez AG2R, avec des chiffres différents (car toutes ces études sont faites à partir d’échantillons et de questionnaires), mais qui dégagent des tendances et chiffres similaires.

Ces compagnies d’assurance proposent des diagnostics et des offres type « rémunération globale », ou des programmes d’avantages sociaux ( « Benefits ») pour les salariés.

Mais, vu le marché, des start-up et des solutions technologiques sont également apparues, pour anticiper et prévenir l’absentéisme et tenter de guérir le « mal être » dans l’entreprise. Car on considère souvent que les employés absents sont des malades, des vrais en arrêt maladie, mais aussi tous ceux qui sont en risque de santé mentale (burn-out, épuisement). Oui, ce sont souvent les entrepreneurs qui proposent les idées les plus innovantes, plutôt que les compagnies d’assurance institutionnelles. Certains sont aussi eux-mêmes des assureurs nouvelle génération Tech (comme Alan).

Deux sortes de technologies :

  • Celles qui permettent à l’employé d’auto-évaluer lui-même les risques le concernant personnellement, et l’aident à prendre les bonnes décisions et actions,
  • Celles qui recueillent des données, soit saisies directement par les employés, soit en analysant des données existantes (mails, postures), et permettent de piloter la « santé » de l’entreprise et de ses communautés, et ainsi de décider d’actions collectives.

L’objectif premier de plusieurs des applications proposées est de renforcer ce que l’on appelle « l’engagement » des employés, pour qu’ils restent en bonne santé et heureux dans l’entreprise, pour qu’ils ne s’absentent pas, voire, pire, qu’ils quittent l’entreprise.

Ainsi de Axel, racheté en mai 2022 par LumApps pour devenir « LumApps Journey » qui met en place des parcours collaborateurs personnalisés dans leurs contextes de travail. Ceci permet (peut-être) d’éviter les démissions de nouvelles recrues qui n’arrivent pas à s’intégrer correctement dans l’entreprise, et d’aider à s’y sentir bien.

Zest, dans le même registre, propose « des équipes plus engagées pour (beaucoup) plus de performance ». L’outil permet de réaliser des « enquêtes RH » et propose un « engageomètre » ( !). L’application permet aussi aux employés de déclarer leur « humeur » en ligne.

Comeet utilise l’intelligence artificielle pour connecter les profils selon leurs affinités pour leur permettre des déjeuners, des afterwork, des activités sportives ou culturelles (on imagine plus…mais le logiciel ne parle pas de cette possibilité de drague au bureau).

Bloomin, autre produit du marché, veut « instaurer une culture du feed-back » dans l’entreprise, pour améliorer les relations internes en mettant en place des enquêtes internes.

Un autre axe est celui du soin pour aider les collaborateurs qui vont mal ou vraiment mal, avant même d’être absents, mais qui n’en sont pas loin. On appelle ça la « PsyTech ». C’est l’objet de la plateforme "CHANCE" qui permet à chacun de mener sa propre introspection; ici c'est le salarié qui paye, pas l'entreprise (on peut tester en accès libre pendant trois heures). C'est aussi l'objectif annoncé de moka.care, créée en 2019, et qui a fait une levée de fonds de 15 millions d’euros en mai dernier.

Moka.care une plateforme qui aide les entreprises à favoriser le bien-être de leurs salariés en organisant des séances chez les praticiens (psychologues, coachs) en toute confidentialité, ou des formations thématiques.

Teale est une autre application du même type, fondée par deux jeunes diplômés de l’ESSEC, qui permet à l’employé de « cartographier sa santé mentale » et d’accéder à des contenus pour en prendre soin (podcasts, vidéos).

Autre axe d’application : pour être heureux et performant au travail, un point important est d’avoir de bons collègues et une équipe où l’on se sent bien. D’où les applications qui vous aident à diagnostiquer les profils qui s’entendent le mieux dans l’équipe, et qui sont complémentaires pour permettre la meilleure performance. Elles vont aussi aider, grâce à l’IA, à former des équipes qui fonctionnent efficacement, et à recruter des profils les plus complémentaires aux équipes qu’ils s’apprêtent à rejoindre, afin de recruter, non pas le profil le plus compétent dans l’absolu, mais celui qui permettra de rendre l’équipe meilleure.

C’est le cas de TeamScope, Wisnio ou Goshaba, grâce aux sciences cognitives et à la gamification. Ceci permet d’avoir une approche prédictive sur les comportements et le fonctionnement de l’équipe, plus pertinente que la seule utilisation du C.V. C’est aussi une aide pour concevoir les meilleurs parcours de mobilité des collaborateurs.

Avec ces outils et ces applications de PsyTech, voilà que l’on construit une sorte de « DRH augmenté », comme un docteur Frankenstein d’un nouveau genre.

Mais malgré tous ces outils, il reste des irréductibles, comme ceux qui témoignent dans le dossier du Figaro magazine du week end dernier, qui, eux, « ne veulent plus travailler », comme Victor Lora, 34 ans, en couverture du magazine avec chemise chic et baskets Red Laver de chez Adidas, à plat ventre dans l’herbe, avec son livre à la main, « La retraite à 40 ans, c’est possible ». Il fait partie des français qui estiment ne plus trouver dans leur travail le sens et l’intérêt qu’ils espéraient, la possibilité d’avoir un impact sur la société. C’est comme ça que Victor, qui était directeur de la stratégie dans une start-up, a fait une croix sur le salariat. Il a pu profiter des économies qu’il avait réalisées en suivant les conseils du mouvement « FIRE», mouvement américain ( Financial Independence, Retire Early). Ce mouvement, dont les membres s’appellent aussi « les frugalistes », consiste à vivre de façon frugale, c’est-à-dire à supprimer toutes dépenses jugées non essentielles afin d’épargner de façon drastique pendant plusieurs années, permettant d’amasser suffisamment de fonds pour les placer sur des supports rapportant un revenu régulier, permettant de vivre des placements le reste de sa vie (« la retraite à 40 ans »). Ces frugalistes se retrouvent régulièrement pour échanger leurs tuyaux dans des « Drink Fire ».

D’autres adeptes du « travailler moins » se retrouvent dans la communauté des « Paumé.e.s » de Makesense, qui rassemble 21.000 membres qui se déclarent « en quête de sens ». Ce sont, d’après leur site, « Ceux qui en ont marre de leur job dans une tour à la moquette grise. Celles qui ont envie de mettre du vert partout dans leur vie. Ceux qui veulent s’engager ou s’épanouir à côté de leur boulot mais qui ne savent pas par où commencer ». Le Figaro magazine recueille le témoignage de Justine, 30 ans, qui s’est investie dans cette communauté des « Paumé.e.s » car elle a « vite compris que le monde de l’entreprise n’était pas en phase avec mes idéaux sociaux, sociétaux et écologiques. Je ne crois pas à l’avenir du monde capitaliste qui précipite par ses excès la ruine de la planète ». Elle n'est pas comme Victor, à économiser pour vivre sans travailler. Non, elle, c'est juste ne pas travailler comme les autres qu'elle recherche.

Justine a déjà utilisé son temps libre pour écrire un livre (« surmonter le XXIème siècle avec des potes, des bières et des idées ») avec deux auteurs membres, eux, du « Collectif Travailler Moins » (CTM), qui a aussi son site, et prône « le détravail, dont l’objectif est de décentrer la place qu’occupe le travail dans nos vies et nos identités. C’est bien sûr sa forme dominante, l’emploi, que nous ciblons ». Dans une pétition, ce collectif propose trois mesures qu’il estime « urgentes » : le droit au temps partiel, la création d’un fonds de désinvestissement public (pour accompagner avec de l’argent public les individus au détravail), et la création d’un « revenu de base ».

Pour Justine et Victor, il semble que la PsyTech ne pourra plus grand-chose…quoique. Pour eux, la panne de travail, c'est carrément le moteur qui a lâché. Même si certains essayent encore de les raisonner, comme ce polytechnicien scientifique, Vincent Le Biez dans Le Figaro du 28 juin, qui tentait de répondre à ces jeunes diplômés de Polytechnique qui avaient déclaré refusé "le système" : " Tout subordonner à un hypothétique changement de "système", mal défini, c'est prendre le risque de ne rien faire de très utile pour la société pendant sa vie". Et il termine sa tribune par " Camarades ingénieurs, la société a besoin de vous et elle attend vos solutions, pas vos états d'âme". 

Pour les autres, qui n'ont parfois qu'une ou plusieurs roues de crevées, mais un moteur intact, ou  qui voudraient songer à s’absenter, ou à rejoindre Justine et Victor pour mettre du vert dans leurs vies, les docteurs Frankenstein des RH et de la Tech sont là pour les retenir ou les regonfler.

Restent les potes, les bières et les idées pour surmonter le XXIème siècle. C’est tentant quand il fait chaud, non ?

Et puis, les vacances arrivent; Les absents vont être plus nombreux. Les vacances, c'est une bonne PsyTech sans la Tech aussi pour regonfler les pneus de certains.