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Sommes-nous de plus en plus cons ?

Connerie2Sommes-nous de moins en moins créatifs et capables de raisonner ? Ou, plus vulgairement, de plus en plus cons.

C’est ce que deux études à partir de data et de tests en laboratoires tentent de démontrer.

Une étude de scientifiques de Stanford et Columbia, relatée par la revue scientifique « Nature » et reprise dans la presse au cours des derniers mois, dont Les Echos , a mesuré en laboratoire (620 participants) puis en entreprise (1.490 salariés) dans cinq pays d’Europe, du Moyen-Orient et d’Asie du sud-Est, la capacité d’idéation de populations test en comparant ceux qui travaillent en télétravail et visioconférence, et ceux qui travaillent physiquement dans des espaces de bureaux. Ils en déduisent que tout ce qui se passe en visioconférence inhibe la production d’idées créatives. Ils expliquent le phénomène par la différence de nature des échanges selon que l’on est en physique ou en visioconférence. En visioconférence, les participants passent plus de temps à regarder à l’écran leurs partenaires, et donc moins de temps à regarder leur environnement. Tout cela mesuré scientifiquement à partir des data sur les mouvements des yeux. Or, c’est ce divertissement en regardant autour et dans l’environnement qui à la source de la créativité. Et donc, en enlevant ce côté divertissement et inattendu, l’écran empêche ces idées créatives d’émerger. Des expériences conduites dans les deux groupes démontrent que les groupes physiquement présents ont une meilleure « performance d’idéation », c’est-à-dire qu’ils produisent plus d’idées nouvelles.

Bon, les écrans de zoom et Teams nous ont rendus moins créatifs.

Mais, c’est depuis encore plus longtemps que nous serions devenus moins capables de raisonner.

C’est une autre recherche qui nous le dit.

C’est une équipe de scientifiques des universités néerlandaises et américaines de Wageningue et de l’Indiana qui a entrepris d’utiliser des millions de livres en anglais et en espagnol couvrant la période de 1850 à 2019, numérisés et rendus accessibles par l’application linguistique de Google Ngram Viewer, pour comparer la fréquence d’utilisation de mots relevant de la rationalité ( comme «  déterminer », « donnée », « analyse », ou « système ») avec la fréquence d’utilisation de mots plutôt liés à l’intuition et à l’expérience humaine ( comme «  ressentir », « croire », « imaginer » ou « sagesse »). Le Monde relatait aussi cette étude en juin. 

En menant une analyse en composantes principales avec ces données, ils ont observé que, alors que, de 1850 à 1980, l’utilisation des mots liés à la rationalité étaient en hausse, et celle des mots liés à l’intuition en baisse, c’est l’inverse qui se produit de 1980 à aujourd’hui : l’utilisation des mots liés à la rationalité est en baisse et celle des mots liés à l’intuition est en hausse. Rationality

Ils en concluent que nos sociétés sont de plus en plus dans des attitudes d’émotions, plutôt que de rationalité, ce que l’on appelle aujourd’hui la « post-vérité », c’est-à-dire, selon le dictionnaire, ce « concept selon lequel nous serions entrés dans une période appelée ère de la post-vérité où l’opinion personnelle, l’idéologie, l’émotion, l’emportent sur la réalité ».

Pour vérifier cette hypothèse, les chercheurs sont allés analyser les mêmes mots dans les articles du New York Times : même constat.

Donc, on préfère croire à n’importe quoi, de manière intuitive, plutôt qu’à la rationalité et à la vérité scientifique, et on est de moins en moins créatifs à cause des écrans et des visioconférences.

Pourra-t-on encore soigner cette connerie qui semble nous frapper ?

Reste à trouver un docteur par trop con pour nous en guérir.


Télétravail : Surveilles-moi si tu peux

SurveillanceMaintenant que la période des confinements et de l’obligation du télétravail est terminée, que devient-il le télétravail ?

En 2020, on cherchait des idées et astuces pour vivre avec le télétravail forcé, comme j’en parlais ICI.

En 2021, une fois l’obligation levée, on se demandait qui allait revenir au bureau, une fois de bonnes habitudes prises en télétravail ; voir ICI.

Le sujet n’est pas épuisé. Le Monde publiait en avril dernier un dossier de Catherine Quignon sur un nouveau problème : les logiciels qui se sont perfectionnés pour permettre de mieux surveiller les employés en télétravail.

L’auteur cite nommément la Macif, qui surveille à distance ses téléconseillers. Citation de Sybille : « On se prend un chat ou un mail dès que l’on dépasse trois ou quatre minutes d’attente entre deux appels. Parfois, il y a tellement de fenêtres qui s’ouvrent pour nous demander « tu fais quoi ? »  qu’on n’arrive même plus à voir l’écran. J’ai une collègue qui s’est vu reprocher le fait de s’être loguée à 8H02 au lieu de huit heures ».

Selon une étude citée dans l’article, 63% des entreprises françaises prévoient ou ont déjà adopté des outils visant à renforcer leur supervision sur les employés en télétravail. Exemple de ce type d’outils, un logiciel qui permet de prendre des captures d’écran avec la webcam pour s’assurer que le collaborateur est bien devant son écran, ou aussi analyser les déplacements de la souris. Le logiciel Hubstaff permet de géolocaliser les déplacements des salariés et de prendre une capture d’écran toutes les dix minutes. CleverControl est un autre outil qui permet d’enregistrer les frappes sur les claviers.

Face à ce marché des logiciels de surveillance, un contre-marché s’est forcément créé, celui des logiciels antisurveillance. Ils permettent de faire bouger le curseur ou de figer l’écran, ce qui permet de faire croire qu’on est connecté, alors qu’on fait le ménage.

Autre astuce, plus artisanale : attacher la souris de son ordinateur à un ventilateur pour faire croire qu’on est très occupé. On trouve aussi des logiciels qui permettent de simuler à l’écran des déplacements de souris, les « mouse giggler », disponibles pour moins de 10€ sur Amazon.

De quoi ouvrir un nouveau marché pour les logiciels de surveillance anti-« mouse gigglers ».

Il restera toujours la technique manuelle des petits malins, qui n’a pas attendu le télétravail pour trouver ses adeptes, où le salarié cherche à se faire bien voir en envoyant des mails, en faisant du reporting, en se montrant le plus possible en visio, afin de démontrer qu’on est bien impliqué dans le travail.


Traîner sa vie ou être rebelle ?

ForêtDans le haut moyen âge, on disait que le proscrit norvégien avait « recours aux forêt », pour signifier qu’il s’y réfugiait et y vivait librement, mais qu’il pouvait être abattu par quiconque le rencontrait. C’est cette figure du « waldgänger » que Ernst Jünger utilise dans son traité traduit par « Traité du rebelle » (le waldgänger est devenu le rebelle).

Ce rebelle dont il est question, c’est celui qui résiste à ce qui semble être la pensée dominante de tous, et qui prend le risque de tenter d’autres chemins. C’est celui qui refuse le confort de rester dans le rang pour oser s’en écarter. Voilà un petit livre, écrit en 1951, qui garde toute son actualité et sa valeur intemporelle pour aujourd’hui. Car il n’est pas nécessaire de vivre dans un régime totalitaire pour sentir l’oppression de se sentir embarqué malgré soi dans une voie, une carrière, une entreprise, une stratégie, un mode de vie, qui ne nous convient pas, comme une impression de « traîner sa vie ». Et pour être ce rebelle, il suffit d’un « frôlement ».Citons Ernst Jünger : « Un homme qui traîne sa vie, sinon dans le désert, du moins dans une zone de végétation chétive, par exemple dans un centre industriel, et qui tout d’un coup perçoit un reflet, un frôlement des puissances infinies de l’être – un tel homme commence à soupçonner qu’il lui manque quelque chose : condition préliminaire à sa quête ».

Et pour cela, « l’intelligence doit commencer par couper les câbles, afin que naisse le mouvement. Le difficile, ce sont les débuts : le champ s’élargit ensuite à l’infini ».

Car il n’est pas facile de se bouger d’un confort matériel, même si on ressent bien qu’il « manque quelque chose ». Mais, pour reprendre Ernst Jünger, « Tout confort se paie. La condition d’animal domestique entraîne celle de bête de boucherie ».

Ce qui empêche, c’est bien sûr la peur, car c’est de cette peur que le temps passé se nourrit. «  Toute crainte, sous quelque forme dérivée qu’elle se manifeste, est au fond crainte de la mort. Si l’homme réussit à gagner sur elle du terrain, sa liberté se fera sentir en tout autre domaine régi par la crainte. Il renversera dès lors les géants, dont l’arme est la terreur ».

Le rebelle doit donc résister face au « système », car « tous les systèmes visent à endiguer le flux métaphysique, à dompter et à dresser l’être selon les normes de la collectivité. Là même où Léviathan ne peut se passer de courage, comme sur les champs de bataille, il s’emploie à donner au combattant l’illusion d’une seconde menace, plus forte que le danger, et qui le maintient à son poste. Dans de tels Etats, on s’en remet finalement à la police ». Oui, le texte de Jünger est aussi un refus individualiste, un peu anarchisant, de l’Etat Léviathan qui veut tout contrôler à notre insu.

Alors, cette forêt à laquelle a recours ce rebelle, c’est le symbole de ce refuge, point de passage vers l’action. «  Ce n’est sans doute nullement par hasard que tout ce qui nous enchaîne au souci temporel se détache de nous avec tant de force, dès que le regard se tourne vers les fleurs, les arbres, et se laisse captiver par leur magie ».

Mais « le même bienfait se cherche en d’autres lieux – des grottes, des labyrinthes, des déserts où demeure le Tentateur. Tout est résidence d’une vie robuste, pour qui en devine les symboles ».

Cet essai est donc aussi une source de réflexion et de courage pour « ceux qui aspirent à fuir les déserts des systèmes rationalistes et matérialistes, mais sont encore captifs de leur dialectique ».Ernst Jünger prévient, «on ne peut donner de recettes ».

C’est à celui qu’il appelle « l’homme libre » de découvrir ses ressources. Car ces rebelles sont, pour Ernst Jünger, une élite minoritaire seule capable d’entraîner les autres, ou pas, comme des éclaireurs, en montrant de nouveaux chemins pour nous faire choisir de respirer l’air pur des forêts.

Etonnamment, ce texte n’est plus édité aujourd’hui en France ; on le trouve seulement d’occasion à des prix de rareté.

Encore un motif de rébellion ?