D Day
26 octobre 2021
Les idées ne manquent pas, ni les apprentis entrepreneurs, pour inventer les services et produits Techs qui devraient résoudre des problèmes et même changer le monde, le monde des plateformes. Mais, on le sait, les investisseurs aussi, certains vont marcher, et d’autres vont disparaître à peine nés, faute de clients en nombre suffisant, alors même que techniquement le produit ou le service était peut-être top.
L’histoire commence souvent bien. Le produit est développé et amélioré. On décroche les premiers clients, ceux qu’on appelle les « early adopters ». Ils adorent le produit. Ce sont les mêmes qui achètent toujours ce qu’il y a de nouveau, ils aiment essayer et être en avance sur les autres.
Le problème avec ces clients, c’est qu’ils ne sont pas nombreux. La masse, ce sont plutôt les clients qui n’achètent que s’ils sont convaincus que le produit, le service, ou l’entreprise qui le propose, tient la route, et pour ça, ils regardent combien vous en avez déjà vendu. Si le nombre n’est pas suffisant, ils ne veulent pas prendre le risque et préfèrent attendre. « Revenez me voir quand vous serez bien implanté sur le marché ».
Oui, mais le problème, c’est qu’avec ma poignée de « early adopters » sur mon carnet de commandes, je n’intéresse pas cette majorité et ils ne veulent pas de moi. Et donc je n’arrive justement pas à m’implanter sur le marché. Je suis devant un « chasm ».
C’est ce dilemme que Goeffrey A.Moore a détecté et pour lequel il a développé un modèle pour s’en sortir dans son ouvrage célèbre « Crossing the chasm ». C’est dans cet ouvrage, qui date des années 90, qu’il donne les clés pour réussir à traverser ce « chasm » et passer des « early adopters » à la majorité des clients, il les appelle les « pragmatiques », qui feront notre succès. Il reste complètement d’actualité et j’en recommande la lecture à tous les entrepreneurs et consultants qui se trouvent confrontés à ce dilemme.
Et pour comprendre son modèle, il utilise une analogie qui résume toute la démarche. Cette analogie c’est celle du « D-Day », le jour du débarquement, le 6 juin 1944.
Quelle est cette analogie ?
On peut décrire la situation comme un but à long terme qui est de prendre le contrôle d’un marché de masse (L’Europe par les armées d’Eisenhower), qui est actuellement dominé par un autre compétiteur (les armées de l’Axe et de Hitler). L’objectif est de rassembler une armée d’invasion (les Alliés). Notre but immédiat, pour entrer sur ce marché, est de partir d’une base « early market » (l’Angleterre) et d’attaquer un segment stratégique (les plages de Normandie). Entre notre base et notre point d’attaque il y a un «chasm » (la Manche). Nous allons traverser ce « chasm » aussi vite que nous le pourrons, avec une force d’invasion concentrée directement et exclusivement sur le point d’attaque (D-Day). Une fois que nous avons conquis et forcé l’adversaire en dehors de ce point d’attaque (sécurisé la tête de pont), alors nous pourrons nous déplacer pour conquérir de nouveaux segments de marché (les régions de France), jusqu’à ce que nous dominions tout le marché (la libération de l’Europe).
Pour traverser le « chasm », Geoffrey A. Moore nous conseille de suivre exactement la même stratégie.
Tout le secret de la réussite c’est bien sûr de bien choisir le point d’attaque, le segment de clients qui sera notre tête de pont, nos plages de Normandie. Et non de tenter de vendre notre service ou produit à tout le monde et n’importe qui, c’est-à-dire à tous les pragmatiques qui vous rejetteront.
C’est donc en se concentrant sur une niche ciblée, et en mettant tous les moyens dont il dispose (c’est-à-dire une surabondance de moyens au regard de la taille de la niche) que l’entrepreneur va pouvoir faire la traversée. Et il sera ainsi armé, une fois la traversée faite, pour se déployer sur les autres marchés.
Car, avec des moyens réduits, pour gagner un marché, il faut viser et se concentrer sur un segment le plus réduit possible (tout en étant quand même une base solide suffisante pour la suite).
Alors, comment choisir le bon point d’attaque ?
En premier lieu, il ne s’agit pas de chercher un marché mais un client. Ça change tout. Les marchés sont toujours une notion impersonnelle ou abstraite. Alors qu’identifier un client, un vrai, rend l’exercice plus probant.
Les techniques à utiliser pour le trouver, ce client et ses semblables, tournent autour des mêmes questions :
- Qui est-il ? Quel est le client utilisateur ? Quel est le client qui achète ? Quel est le client technicien qui conseille l’acheteur ?
- Un jour dans la vie du client, avant d’acheter le produit…
- Un jour dans la vie du client, une fois acheté le produit…
Et pour encore préciser ce point d’attaque, on se pose aussi quelques questions comme :
- Quelle est la vraie raison qui le fera acheter ?
- De quels autres produits ou services a-t-il besoin, en plus du nôtre, pour avoir satisfaction complète ? C'est ce qui permet de créer le réseau de partenaires pour proposer le "produit complet".
- Où pourrait-il trouver une autre solution pour résoudre son problème ? Et comment traiter cette compétition ?
C'est en testant ainsi les clients, les groupes de clients, les segments, que peut être identifié le scénario le plus en ligne avec notre produit ou service, et donc le meilleur point d'attaque. Pour cela, interroger et observer nos amis, nos associés, des clients, des partenaires. Oui, c'est ce que l'on appelle aujourd'hui le "design thinking" , du moins en esprit(même si Geoffrey A. Moore n'employait pas ce mot).
Le secret, c'est d'être le plus "focus" possible.
Le point d’attaque est trouvé ?
Alors, prêt pour le débarquement, et lire et relire Geoffrey A. Moore.
C’est le jour le plus long.
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