Le théâtre du management
Qui va revenir au bureau ?

Burlesque

ClownVous avez peut-être fait cette expérience d’une assemblée de managers, une équipe, un comité de Direction, qui se mettent à échanger des blagues et des formules d’humour, tout en dégageant, comme en arrière-plan, une atmosphère d’anxiété. Anxiété liée aux affaires qui marchent moins bien, au chiffre d’affaires qui manque, à la stratégie qui patine, à une perte de sens aussi. Car il existe un rapport bien connu du comique et de l’anxiété. On pense à Chaplin, à Buster Keaton, aux Marx Brothers.

C’est pour échapper à une forme d’angoisse que certains se jettent comme ça dans la bouffonnerie, la dérision et la parodie.

C’est le registre de Romain Gary dans plusieurs de ses romans, qui dégage cette impression d’angoisse derrière des ressorts comiques. Il le révèle dans la note introductive du roman « Les clowns lyriques », écrit en 1979.

La raison qu’il invoque dans cette note, c’est ce « moment où les conflits démentiels qui déchirent plus que jamais l’humanité font vivre nos nerfs et ce qui nous sert de raison dans un état de siège permanent ». Il précise que «  Il est permis de croire à l’inévitabilité de l’holocauste nucléaire, mais lorsque le Secrétaire général de l’O.T.A.N, M. Luns, nous annonce que l’U.R.S.S tient six cents ogives atomiques braquées sur l’Europe occidentale et que la puissance destructrice de ces missiles est trois cent soixante mille fois plus forte que celle de la bombe d’Hiroshima, le moins qu’on puisse dire est qu’il ne reste plus grand-chose de ce que Verlaine évoquait il y a un siècle dans son « Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là, simple et tranquille… ». ».

Cette angoisse est toujours d’actualité (même si l’U.R.S.S a disparu en tant que telle, mais on a maintenant Poutine, la Chine, l’Iran), complétée par les inquiétudes sur le climat ou sur la pandémie, mais aussi sur l’avenir de la démocratie, les sujets ne manquent pas. Et donc les occasions de comique et de burlesque ne manquent pas non plus.

Comme le dit Romain Gary : « Le burlesque devient le dernier refuge de l’instinct de conservation ». Et une révélation : « Depuis que j’écris, l’ironie et l’humour ont toujours été pour moi une mise à l’essai de l’authenticité des valeurs, une épreuve par le feu à laquelle un croyant soumet sa foi essentielle, afin qu’elle en sorte plus souriante, plus sûre d’elle-même, plus souveraine ».

Cette expression de « clowns lyriques », qui donne son titre au roman, Romain Gary la tire d’une citation qu’il attribue à Gorki, qui évoque « les clowns lyriques qui font leur numéro humanitaire dans l’arène du cirque capitaliste… ».

Ce clown lyrique, c’est aussi lui-même, comme il l’avait déjà évoqué dans son ouvrage « la nuit sera calme » (1974), qui est un entretien fictif, où il fait les questions et les réponses pour narrer ces années où il servait dans les Forces Françaises Libres, et ses débuts dans la carrière diplomatique : « Je suis dans la bourgeoisie. J'essaye simplement de mettre le nez dehors, et je prends des bains. Je suis un bourgeois libéral à aspirations humanistes, et humanitaires. J'appartiens donc à la tribu de ceux que Gorki appelait «les clowns lyriques faisant leur numéro de tolérance et de libéralisme dans l'arène du cirque capitaliste»... Politiquement, j'aspire au socialisme à «visage humain», celui qui a accumulé tous les échecs mais n'a cessé de montrer la seule direction de marche qui me paraît digne d'être suivie ».
« Je ne pétitionne pas, je ne brandis pas, je ne défile pas, parce que j'ai derrière moi une œuvre de vingt volumes qui proteste, manifeste, pétitionne, appelle, crie, montre et hurle, et qui est la seule contribution valable que je puisse faire. Mes livres sont là et ils parlent, et je ne peux pas faire mieux ».

Le burlesque, il est évoqué dans le roman « Les clowns lyriques » qui se déroule dans le contexte de la guerre de Corée, avec le personnage de La Marne qui se jette dans la bouffonnerie pour exorciser le réel : «  La radio avant annoncé à une heure que le général MacArthur réclamait l’autorisation d’utiliser l’arme nucléaire, que le Congrès américain s’était réuni en session extraordinaire et que les nouveaux assauts des troupes chinoises menaçaient de rejeter à la mer les forces des Nations unies. Le monde prenait un caractère démentiel nettement obsessionnel. Pour desserrer l’étau et échapper à l’angoisse, il ne restait que la bouffonnerie. Le burlesque devenait une nécessité d’hygiène mentale, une danse qui se moquait des poids les plus écrasants. A ces moments de « bêle-âme », comme il les appelait, La Marne se lançait dans la clownerie avec la ferveur d’un derviche tourneur ».

Inspirés par Romain Gary, et par hygiène mentale, pourquoi ne pas accompagner le bel été, et desserrer l’étau, par une touche de burlesque, comme des derviches tourneurs.

Ou comme des clowns lyriques.

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