Pour sortir de la bulle : le secret de Madame Zazou
29 avril 2021
C’est le dilemme du dirigeant, du manager, de tous ceux qui exercent des responsabilités et dirigent des équipes, ou toute l’entreprise : cette crainte d’être entouré de gens qui vous disent ce qu’ils pensent que vous avez envie d’entendre ( j'avais déjà parlé de ces consultants pom-pom-girls ICI ), ou de gens qui ont peur de vous dire ce qu’ils pensent que vous n’avez pas envie d’entendre. Cela revient un peu à la même chose. C’est ce phénomène que l’on qualifie de « Bulle du dirigeant ». Certains dirigeants ne s’en rendent même pas compte, se délectant au contraire de toutes les bonnes nouvelles qu’ils entendent de la bouche de leurs collaborateurs zélés, et de la qualité de tous ces collaborateurs qui sont toujours d’accord avec eux.
C’est vrai que la situation a quelque chose d’agréable, comme si le dirigeant s’était installé dans un cocon confortable où on n’entend que des bonnes nouvelles. Le rêve, non ?
Mais on comprend bien que cela peut être aussi dangereux. Avec un cocon pareil, on ne va pas voir venir les problèmes et les changements dans l’environnement, où même à l’intérieur de l’entreprise. Les angles morts vont se multiplier. Pas très bon pour développer une vision, une stratégie, ni pour piloter en anticipation les opérations. Et cela peut atteindre les grands Groupes, mais tout aussi bien les PME, et même les start-up.
C’est pourquoi, conscients de ce risque, nombreux sont les dirigeants qui cherchent les trucs et comportements pour l’éviter. Voilà bien une question que l’on pose facilement à un consultant, espérant que sa qualité d’ « œil extérieur » sera bien utile pour trouver les réponses à ce « dilemme du dirigeant ». Consultant qui peut aussi être le lanceur d’alerte pour le dirigeant qui ne s’en est pas vraiment aperçu.
Il existe une étude de référence sur le sujet, conduite auprès 200 dirigeants, par un chercheur du MIT, Hal Gregersen, rapportée dans un article de Harvard Business Review, et citée régulièrement par les auteurs et dirigeants traitant du sujet.
Pas si simple de s’attaquer à ce problème. Pour un dirigeant, s’il est persistant et bien organisé dans son entreprise, il lui sera toujours, ou souvent, possible de trouver dans son entreprise les réponses aux questions qu’il se pose. Il saura trouver les collaborateurs et équipes internes pour lui fournir l’information qu’il cherche. Là où ça se complique, c’est pour être informé sur les questions qu’il ne se pose pas, et qu’il n’a pensé à demander à personne. C’est l’angle mort par excellence. On parle souvent de la distinction entre :
- Les choses que l’on sait que l’on sait, en espérant quand même que c’est toujours vrai (il vaut mieux vérifier de temps en temps quand même),
- Les choses que l’on sait qu’on ne sait pas (d’où les enquêtes et demandes que l’on fait auprès de ses collaborateurs),
- Et le pire, les choses que l’on ne sait pas que l’on ne sait pas. C’est ça l’angle mort.
On imagine bien la situation d’une entreprise, avec ces dirigeants pleins de certitudes, ne voyant pas venir les innovations de leurs concurrents et du marché, et encore moins les nouveaux concurrents qui entrent sur le marché pour le disrupter et le déstabiliser. C’est le cas, par exemple, des Fintechs, ou des assureurs internet, style Alan.
Voyons maintenant les remèdes à la bulle du dirigeant.
La première chose que Hal Gregersen a identifié pour sortir du cocon est d’aller chercher ces questions sur les choses que l’on ne sait pas que l’on ne sait pas.
Un des dirigeants cités donne son « truc « . Il ne cesse de rencontrer des employés, des administrateurs, des analystes, des clients, pour leur demander : « Si vous étiez à ma place, sur quoi porteriez-vous votre attention en ce moment ? ». Cela n’élimine pas le risque, car il peut tomber sur des gens qui veulent rester complaisants, mais on peut penser que si l’on multiplie les sources d’information, et que l’on va chercher auprès des personnes les plus diverses, à l’intérieur comme à l’extérieur, on limite quand même le risque.
Autre « truc » du même dirigeant, il demande régulièrement à ses collaborateurs directs (l’équivalent de son Comité de Direction) de lui faire un rapport écrit et court qu’il appelle « brutally honest report » deux fois par mois, sur cinq domaines clés de l’entreprise, y compris sur « ce qui est cassé ». Il encourage d’ailleurs ces mêmes collaborateurs directs à faire la même chose avec leurs propres collaborateurs.
On peut imaginer d’autres actions. Le principe reste le même : se forcer à aller chercher partout, fréquemment, des informations inattendues. Et cela suppose aussi de savoir formuler ces questions ouvertes qui attendent une vraie réponse que l’on saura effectivement écouter. Voilà un bon thème pour passer une journée avec le Comité de Direction et poser toutes ces questions.
Mais cela ne suffit pas.
Hal Gregersen a identifié une deuxième habitude des dirigeants qui évitent la bulle des angles morts, c’est la rapidité à reconnaître leurs mauvaises décisions, et à les corriger.
Il cite cet autre dirigeant qui se demande chaque jour : « sur combien de choses et sur quoi ai-je tort ? ». C’est important parce que, finalement, l’innovation vient de quelque chose sur lequel on avait tort, où qu’on n’avait pas vu avant, et de la découverte de quelque chose de différent. D’où cette hygiène qui consiste à se demander fréquemment sur quoi on est en train de se tromper.
On peut aussi se demander : qu’est ce mes concurrents pensent que je vais faire, et que se passerait-il si je faisais l’inverse ? Tout questionnement de ce genre va aider à détecter les erreurs et fausses certitudes qui brouillent le jugement et le discernement. Là encore, il faut apprendre à faire ce questionnement et à en faire une habitude.
Mais pour reconnaître qu’on a pris de mauvaises décisions, et se corriger, encore faut-il en avoir pris réellement. Et donc cela veut dire prendre des risques, oser, essayer, et ne pas craindre l’échec, à condition de s’en apercevoir vite et de « pivoter », comme on dit dans les start-up. C’est pourquoi les dirigeants qui recherchent les innovations et une culture de la prise de risques encouragent et félicitent les échecs et les erreurs.
Innover, rencontrer des personnes qu’on ne rencontre pas habituellement, oser des initiatives en prenant le risque de se tromper, c’est aussi se déplacer en dehors de sa zone de confort. Et donc la troisième habitude mise en évidence par Hal Gregersen, c’est précisément de sortir de sa zone de confort. C’est quand on se sent en dehors de notre zone habituelle de confort, en rencontrant des personnes que l’on n’a pas l’habitude de voir, qui ne sont pas toujours d’accord avec nous, qui ne sont pas de la même génération ni de la même communauté, que l’on va avoir de nouvelles questions, de nouvelles perspectives, qui vont nous venir à l’esprit et nous inspirer pour réfléchir autrement.
Cela peut aller assez loin, comme cette initiative du fondateur du Cirque du Soleil, qui, considérant que son entreprise devenait « un peu trop corporate », avait embauché un nouvel employé, « Madame Zazou », déguisé en costume de clown, pour apporter de l’animation et distribuer des popcorns dans l’entreprise. Il pouvait aussi jouer une sorte de « fou du roi », en s’invitant dans les réunions et au Comité Exécutif. L’entreprise, frappée par la crise, est aujourd’hui en faillite et vient d’être rachetée par un fonds d’investissement. Le repreneur gardera-t-il cette « Madame Zazou » ?
Enfin, la quatrième idée géniale pour développer la créativité et les idées nouvelles dans l’entreprise, autour du dirigeant, c’est tout simplement : être silencieux.
Pas si évident. Un dirigeant, après tout, c’est celui qui parle, qui donne son avis, qui inspire par la parole, non ? Alors rester silencieux, cela n’a pas l’air très naturel. Et pourtant, ce silence, c’est celui quo nous permet d’arrêter d’envoyer des messages, et d’en recevoir des autres. Ce silence c’est celui qui suit une question que l’on pose, et dans lequel nous écoutons avec curiosité et attention. Le silence, c’est aussi savoir faire une pause avant de répondre ou de réagir à ce que l’on nous dit, car c’est peut-être pendant cette pause que notre interlocuteur va rajouter un détail, une information, une émotion, qui renforceront la compréhension et l’écoute. Certains appellent ça l’écoute active.
Tout cela a l’air d’une évidence triviale. Et pourtant nous n’avons pas tous pris ces habitudes de sortir de notre boîte, faire des rencontres improbables, de se donner le droit à l’erreur, et d’aimer nos erreurs, sortir de la zone de confort, et aimer être inconfortable, et se garder des moments de silence et d’écoute, et aimer le silence.
On peut peut-être y aller pas à pas. Tiens, on pourrait commencer avec « Madame Zazou » au Comex et dans l’entreprise, dès le déconfinement, ou en visio ? Il y a sûrement des candidats, qui n'ont pas fait le clown depuis longtemps.
On a hâte.
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