La créativité du centaure
Taper sur mon clavier fait-il fondre quelque glace lointaine ?

Convivialité

ConvivialiteOn appelle convivialité le caractère chaleureux des relations entre les personnes au sein d’un groupe ou d’une société. Pour une société, être conviviale, c’est la capacité à favoriser la tolérance et les échanges des personnes et des groupes qui la composent.

Mais c’est aussi une façon de caractériser les outils dont la fonction est déterminée par celui qui les manie plutôt que par celui qui les conçoit, et par extension un type de société caractérisée par ces outils, l’autonomie et l’interdépendance. C’est la définition qu’en donne un philosophe américain d’origine autrichienne, Ivan Illich, dans son ouvrage de 1973,resté célèbre, « la convivialité ». Peut-on encore relire un tel texte, écrit par un utopiste anticapitaliste, anticonformiste et penseur de la contre-productivité, pour nous inspirer aujourd’hui ?

On essaye ?

En parlant d’outil, Ivan Illich le considère au sens très large, car c’est le marteau, mais aussi une entreprise, un réseau de transports. L’outil est aussi bien la seringue que le médecin qui l’utilise, la craie que l’école où elle est utilisée sur les tableaux de la classe (on est en 1973). Un outil convivial est l’outil qui encourage l’autonomie et la créativité de son utilisateur. Et il appelle société conviviale «une société où l’outil moderne est au service de la personne intégrée à la collectivité, et non au service d’un corps de spécialistes. Conviviale est la société où l’homme contrôle l’outil ». Cette société conviviale c'est "une société qui donne à l'homme la possibilité d'exercer l'action la plus autonome et la plus créative, à l'aide d'outils moins contrôlables par autrui".

Ivan Illich distingue ainsi « l’outil maniable », dont l’énergie résulte de son utilisateur, et « l’outil manipulable », qui use, lui, d’une énergie extérieure. Seul « l’outil convivial » , c'est à dire maniable, est pour lui « conducteur de sens, traducteur d’intentionnalité ».

L'outil est ainsi dénommé convivial " dans la mesure où chacun peut l'utiliser, sans difficulté, aussi souvent ou aussi rarement qu'il le désire, à des fins qu'il détermine lui-même. L'usage que chacun en fait n'empiète pas sur la liberté d'autrui d'en faire autant. Personne n'a besoin d'un diplôme pour avoir le droit de s'en servir; on peut le prendre ou non". Ces outils conviviaux que nous évoque Illich, ce sont aussi les structures et les process que nous acceptons et construisons nous-mêmes et entre nous à l'inverse de  ces carcans bureaucratiques imposés par les petits chefs.  

Une société conviviale est celle où « les outils seraient définis par ceux qui les utilisent et non par ceux qui les conçoivent».  

Pour Illich, la convivialité se définit comme l’inverse de la productivité industrielle. Et il veut nous faire passer de la productivité à la convivialité : « Le passage de la productivité à la convivialité est le passage de la répétition du manque à la spontanéité du don ». Car cette répétition du manque, c’est ce besoin de contrôler, d’accumuler les biens matériels et les signes de richesse, jamais assouvi, alors que la spontanéité du don, c’est celle du partage. " L'homme retrouvera la joie de la sobriété et de l'austérité en réapprenant à dépendre de l'autre, au lieu de se faire l'esclave de l'énergie et de la bureaucratie toute-puissante"

Relire aujourd’hui ce texte, c’est une inspiration pour porter un regard sur tous les « outils » (on pourrait dire aujourd’hui les méthodes, les procédures, les systèmes) que nous mettons en œuvre dans nos entreprises pour apporter l’efficacité et la productivité. Au point d’en faire un peu trop. Et l’on peut alors s’interroger si tous ces systèmes, en augmentant le contrôle, ne viennent pas menacer la créativité. Et plomber la qualité de vie au travail.

On pense aux débuts d’une start-up, ou d’une nouvelle entreprise : l’envie de développer, la créativité et l’excitation au maximum. Et puis, en grandissant, voilà les procédures et les « outils » qui nous paraissent indispensables et qui nous ligotent sans que nous nous en rendions compte.

Ce n’est pourtant pas une fatalité, comme le souligne Philippe Silberzahn dans un récent billet de son blog. Pour lui, ce qui nous conduit à multiplier les contrôles et les formalisations excessives de procédures, c’est le manque de confiance envers les collaborateurs, un climat où l’on pense que si l’on ne les contrôle pas assez, ils font trop de conneries. C'est cette croyance, ce modèle mental, qui assimile contrôle et procédure à efficacité rationnelle.

Alors, retrouver la convivialité de nos débuts est peut être aussi la solution « Illichienne ».

La convivialité retrouvée dans nos entreprises, c’est par exemple la mise en œuvre d’initiatives transversales, directement entreprises par les collaborateurs autonomes entre eux, qui se sentent ainsi reconnus en tant que personne. On se souvient de cette initiative de Carglass, il y a quelques années, appelée « Osez la convivialité », qui consistait à faire faire 7 millions de pas aux collaborateurs en une journée, Carglass s’engageant à verser un don à l’association Petits Princes, qui vient en aide aux enfants malades, si l’objectif était atteint. Ça a marché puisque 12 millions de pas ont été réalisés par les 3000 collaborateurs. C’est anecdotique, bien sûr, mais de petite initiative en petite initiative, on retrouve cet esprit de convivialité, sans avoir besoin de se transformer en révolutionnaire anticapitaliste comme Ivan Illich.

Citons encore Ivan Illich : « J’entends établir qu’à partir de maintenant, il nous faut assurer collectivement la défense de notre vie et de notre travail contre les institutions qui menacent ou méconnaissent les droits des personnes à utiliser leur énergie de façon créative ».

Oui, c’est utopiste, oui, ces institutions qui menacent ou méconnaissent les droits des personnes, c’est parfois nous-mêmes qui les avons créées.

Peut-on encore aujourd’hui « proscrire les outils et les lois qui entravent l’exercice de la liberté personnelle » ? C’est sûr qu’en ce moment, avec les confinements et les restrictions, ce n’est pas trop d’actualité. Mais il reste justement des zones de convivialité à exploiter, chacun à son niveau, dans nos équipes de travail, dans nos entreprises. En trouvant avec Ivan Illich, « cet équilibre entre d’une part l’outillage producteur d’une demande qu’il est conçu pour satisfaire, et de l’autre les outils qui stimulent l’accomplissement personnel. Le premier matérialise des programmes abstraits concernant les hommes en général ; les seconds favorisent l’aptitude de chacun à poursuivre ses fins, à sa manière propre, inimitable ».

Alors, pourquoi ne pas se mettre, chacun, à rechercher et imaginer ces outils qui stimulent l’accomplissement personnel et favorisent l’aptitude de chacun à poursuivre ses fins.

Le secret de la convivialité ?

«  La productivité se conjugue en termes d’avoir, la convivialité en termes d’être ».

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