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La Covid-19 nous a-t-elle rendus meilleurs ?

JDSbernardinsPartout dans le monde, passer de 2020 à 2021, ça va être surtout en finir avec 2020, et l’espoir d’en finir avec cette pandémie, et les brusques arrêts dans nos économies,  qui nous a tant perturbé, c’est le moins que l’on puisse dire. Mais c’est aussi le bon moment pour se demander s’il va rester quelque chose de bien de cette pandémie, qui nous donnera de bonnes ondes pour l’année à venir. C’est Michel Houellebecq qui a déjà prédit que le monde d’après serait « le même, en un peu pire ».

D’autres sont plus optimistes.

C’est le cas de Jean-Dominique Sénard, Président de l’Alliance Renault-Nissan, que je retrouvais pour une conférence au collège des Bernardins mi-décembre. Il est optimiste pour le futur : la crise nous aura appris, dans nos entreprises, et pour Renault aussi, la vulnérabilité de nos systèmes économiques et notre dépendance vis-à-vis du monde extérieur, et nous aura donc aussi enseigné qu’il va falloir « s’y mettre vite pour corriger tout cela, et être plus solides et moins vulnérables ». Alors que les Etats auront joué un rôle déterminant de protection pour nous tous pendant cette période, il est convaincu que ce sera maintenant aux entreprises, par leur inventivité et grâce à leurs ingénieurs et collaborateurs, de gérer les conséquences et de faire naître le monde de demain. La crise a été un révélateur des élans de solidarité dans les entreprises, qui ont montré leur volonté de bien commun, et le maintien de ce lien humain restera décisif, même si le télétravail va prendre de l’ampleur.

Le World Economic Forum apporte aussi sa contribution, avec la publication de « Covid-19 : La grande réinitialisation » sous la Direction de Klaus Schwab, son fondateur, et Thierry Malleret, directeur associé de Monthly Barometer, un service d’analyse prédictive. J'avais déjà parlé ICI de cette "grande réinitialisation". 

L’ouvrage fait état d’une conviction : La pandémie accélèrera les changements systémiques déjà apparents avant la crise, mais ouvrira aussi de nouvelles possibilités de changement : « les possibilités de changement et le nouvel ordre qui en résulte sont désormais illimités et n’ont d’autre frein que notre imagination, pour le meilleur ou pour le pire. Les sociétés pourraient être sur le point de devenir plus égalitaires ou plus autoritaires, ou orientées vers plus de solidarité ou plus d’individualisme, favorisant les intérêts de quelques-uns ou du plus grand nombre ».

C’est donc l’occasion de « profiter de cette occasion sans précédent pour réimaginer notre monde, afin de le rendre meilleur et plus résilient lorsqu’il réapparaîtra de l’autre côté de cette crise ».

Les auteurs abordent l’impact de la pandémie au niveau « macro » sur la géopolitique et les économies, l’impact au niveau « micro » sur les industries et les entreprises, et enfin les conséquences possibles au niveau individuel.

Car c'est aussi à notre niveau individuel que les choses pourraient changer, ce qu’ils appellent une « réinitialisation individuelle ». Diantre ! Mais c’est peut-être aussi ici que tout commence, car nos entreprises, et nos économies, sont aussi les conséquences de nos comportements individuels. Nous en sommes les acteurs et non de simples observateurs.

Alors, qu’est-ce qui pourrait changer au niveau individuel ?

Il est sûr que la pandémie a déjà changé beaucoup de choses au niveau individuel, rappelant à chacun sa fragilité humaine innée. Nous avons pris conscience de ce sentiment d’incertitude au sujet de ce qui nous attend. Mais c’est aussi ce qui pourrait nous faire changer dans notre rapport avec les autres et avec notre monde, dans notre façon de penser et de faire les choses, nous obligeant à aborder nos problèmes intérieurs d’une manière que nous n’aurions pas envisagée auparavant.

Comme si nous réinventions notre « carte mentale ».

En effet, cette pandémie a peut-être, pour certains d’entre nous, obligé à ralentir et à nous donner plus de temps pour réfléchir, loin du rythme et de la frénésie du monde « normal » (même si pour d’autres c’était « business as usual », voire même une période de suractivité à coups de Zoom et de Teams, comme pour se persuader que rien ne devait et ne pouvait être changé), et à l’exception, bien sûr, de tous les travailleurs héroïques dans les soins de santé ou les supermarchés, et toutes ces professions au contact des « besoins essentiels ».

Des questions évidentes ont ressurgi, comme : savons-nous ce qui est important ? Accordons-nous une trop grande priorité ou un temps excessif à notre carrière ? Sommes-nous esclaves du consumérisme ? Et les réponses ont peut-être évolué.

Le livre du World Economic Forum parcourt ainsi quelques-uns de ces changements potentiels et nous fait y réfléchir.

La créativité

La pandémie et les questions qu’elle a posées ont fait exploser la créativité de start-up dans les domaines de la technologie et de la biotechnologie, nous faisant assister à de nombreuses innovations de la part des entrepreneurs.

L’histoire a montré qu’en période de confinement, les personnalités créatives prospèrent. C’est ainsi qu’Isaac Newton a connu une période de prospérité pendant la peste , lorsque l’université de Cambridge a du fermer ses portes en 1665 à la suite d’une épidémie. Pendant cette période d’isolement dans la demeure familiale, Newton a connu une effusion d’énergie créatrice, qui constituera le fondement de ses théories sur la gravité et en particulier le développement de sa théorie de la gravitation universelle (grâce à un pommier près de sa maison qui lui fera comparer la chute d’une pomme au mouvement orbital de la lune). Les auteurs citent aussi Shakespeare qui, alors que les théâtres de Londres ont dû fermer forcés par la peste de 1593, se tourna vers la poésie. Quelques années plus tard, en 1606, les théâtres de Londres étant de nouveau fréquemment fermés à cause de la peste bubonique, et de nombreuses représentations annulées, Shakespeare écrira en un an seulement « Le Roi Lear », « Macbeth » et « Antoine et Cléopâtre ».

On peut penser que cette créativité propice aux périodes où des évènements dévastateurs se produisent sera peut-être de nouveau constatée dans le monde des arts et de la culture post-Covid.

Le temps

On peut penser que la pandémie a aussi modifié notre notion du temps. Au cours des périodes de confinement, pour certains, « les jours semblaient durer une éternité, et les semaines passaient étonnamment vite ». Cela pourrait nous faire reconsidérer notre rapport au temps, à mieux reconnaître sa valeur, et à ne pas le laisser filer. Est-ce que la nécessité de devenir plus résistant psychologiquement que nous avons connue pourrait nous obliger à ralentir et à être plus conscients du temps qui passe ?

La consommation

 Allons-nous devenir plus conscients des conséquences de nos choix et habitudes et décider de réprimer certaines formes de consommation ? Ou bien allons-nous vivre un « revenge buying » en nous précipitant dans les magasins pour acheter encore plus, ou au Mac Do pour une double ration de double Cheese ?

Certains pensent néanmoins que la consommation ostentatoire pourrait tomber en disgrâce. «  Le fait de disposer du modèle le plus récent de n’importe quel objet ne sera plus un signe de statut mais sera considéré, au mieux, comme déconnecté de la réalité et, au pire, comme purement et simplement obscène ». Dans un monde post-pandémique qui pourrait être assailli par le chômage, les inégalités insupportables et l’angoisse au sujet de l’environnement, l’étalage de richesses ne serait plus acceptable.

On retrouverait alors un mode de vie qui recherche un sens et un but à la vie, un mode plus « frugal » par rapport aux sociétés consuméristes.

La nature et le bien-être

On sait déjà que la nature est un bon antidote à de nombreux maux actuels , car elle nous fait du bien et atténue la douleur physique et psychologique. La Covid-19 et les rappels des autorités sanitaires de marcher ou de faire de l’exercice chaque jour sont venus placer ces considérations au premier plan.

On peut alors imaginer que dans l’ère post-pandémique, beaucoup moins de personnes ignoreront le rôle central et essentiel de la nature dans leur vie. La pandémie aura permis cette prise de conscience à grande échelle, et pourrait permettre de créer des liens plus profonds et plus personnels au niveau individuel pour nous rendre plus attentifs à la préservation de nos écosystèmes et la nécessité de produire et consommer de manière respectueuse de l’environnement.

Alors, allons-nous nous orienter individuellement vers d’autres choix de vie, envers la nature, la consommation, et le temps ? Serons-nous devenus plus créatifs ?

Qui va écrire "Le Roi Lear 2021" ?

Voilà de quoi nous ouvrir les yeux de la confiance sur l’année 2021.

Ça commence dans une semaine…


Du monde connexionniste au capitalisme responsable

Connexion-internet-proS’il y a un concept qui a changé le capitalisme, c’est bien le mot « réseau ». Cela date des années 90. Dans le langage populaire, le réseau c’était plutôt pour parler d’organisations de caractères occultes : le réseau des résistants pendant la deuxième guerre mondiale, mais aussi des organisations à la connotation le plus souvent négative (réseaux de trafiquants). Dans cette utilisation du concept de « réseau », les membres sont en général accusés ou soupçonnés de rechercher, à travers ce mode d’association, des avantages et des profits souvent illicites, grâce à des passe-droits (les francs-maçons) ou même franchement illégaux (la mafia). Aujourd’hui encore, on parle de réseau pour obtenir un stage ou un job, ou un client.

Mais dans l’entreprise, le réseau est devenu la façon d’imaginer l’organisation à l’inverse d’une vision hiérarchique et rigide, ou l’empilement des chefs et des contrôles bloque la prise de décision rapide, et la souplesse. Et dans cette idée de réseau, on trouve la nouvelle forme d’organisation de nos entreprises : l’organisation en projets. Il ne s’agit plus de construire des pyramides d’autorité hiérarchique, mais de faire naître des groupes de projets, en fonction des besoins.

Au point que l’on a pu parlé d’un modèle de « cité par projets ». C’est ainsi que Luc Boltanski et Eve Chiapello, dans leur ouvrage « Le nouvel esprit du capitalisme », voient dans cette « cité par projets » la caractéristique majeure de ce nouvel esprit du capitalisme.

Et c’est vrai que le « projet » est devenu la manière d’exister dans le monde professionnel, voire privé. Si tu n’as pas de projet, tu n’es rien. Ta grandeur personnelle, celle qui va permettre d’être sollicité, et utile, c’est de passer de projet en projet. Et si vous êtes consultant, votre job, c’est de chasser les projets de vos clients, pour en devenir les mentors, aussi de faire émerger les projets ensemble, et de toujours en proposer de nouveaux.

Le bon dirigeant est celui qui a su mettre en place un « management en réseau », avec des projets qui fleurissent en permanence. Il n’est plus le chef hiérarchique, il est devenu « intégrateur », « facilitateur », « donneur de souffle », « impulseur de vie et de sens ». Luc Boltanski et Eve Chiapello ont traité une soixantaine de « livres de management » des années 90 pour en extraire ces formules qui reviennent d’un livre et l’autre et sont des marqueurs de ce nouvel esprit du capitalisme. Il correspond à un monde où celui qui est toujours en projet est celui qui dispose d’un capital social de relations et d’informations, qui en font un « pilleur d’idées » qui balaie le monde et son environnement avec son intuition. A l’inverse, celui qui manque de ce capital ouvert, ou qui ne l’entretient pas, va se rapetisser petit à petit au point d’être réduit à répéter tout le temps la même chose et à se limiter à l’exécution à l’identique de ce qu’il sait faire, en esclave des projets des autres, qui feront de lui un auxiliaire de leur création et de leur projet.

  Pour réussir dans ce nouveau monde « connexionniste », selon l’expression des auteurs, le facteur gagnant est plus dans le comportement et les compétences que dans le statut lui-même. C’est ce qui va contribuer à effacer la distinction de la vie privée et de la vie professionnelle. Les qualités de la personne se confondent alors avec les propriétés de sa force de travail. On va confondre aussi le temps de la vie privée et le temps de la vie professionnelle, par exemple entre des dîners entre amis et des repas d’affaires, entre les liens affectifs et les relations utiles pour raisons professionnelles (le « réseau »).

Autre changement, celui du rapport au capital et à l’argent. Dans le capitalisme du XIXème siècle et du début du XXème siècle, ce qui constituait la voie d’accès principale au monde du capital et l’instrument de la promotion sociale, c’était l’épargne et la possession. Dans le monde en réseau et en projets, le sens de l’épargne existe toujours, mais il concerne moins l’argent, mais plutôt le temps. Epargner, dans ce nouveau monde, c’est être avare de son temps, être judicieux dans la façon dont on l’affecte : à quels projets, pour passer du temps avec qui. C’est réserver du temps pour entretenir les connexions les plus profitables, les plus improbables et lointaines, plutôt que de le gaspiller en rencontrant toujours les mêmes personnes proches, qui vont procurer un agrément affectif ou ludique, mais ne vont pas nous faire vraiment grandir.

Et puis, bien diriger son temps, c’est aussi bien doser le temps consacré à l’accès et à la collecte d’informations, en recherchant l’information pour les bons projets, et non se disperser sans priorités.

C’est aussi une nouvelle forme d’épargne où il vaut mieux louer, et changer de possession en fonction des projets, plutôt que de privilégier la propriété, comme le développera Jérémy Rifkin par la suite également, et donnera des idées aux créateurs d’AirBnb ou de BlaBlaCar.

Depuis cet ouvrage de Luc Boltanski et Eve Chiapello, qui date de 1999, les vingt années suivantes ont confirmé cette tendance, et redonné une forme de légitimité au capitalisme.

Et voilà qu’aujourd’hui une nouvelle mutation est en cours avec le développement d’arguments pour faire du capitalisme un « capitalisme responsable ». C’est notamment l’objet d’un rapport de septembre 2020 de l’Institut Montaigne, par un groupe de travail coprésidé par Jean-Dominique Sénard, Président de l’Alliance Renault-Nissan, et Yves Perrier, directeur général du Groupe Amundi.

Il appelle à un capitalisme qui se préoccupe de l’environnement et du changement climatique, qui est garant de la solidarité des parties prenantes autour des mêmes valeurs, et qui génère une prospérité résiliente et durable. C’est aussi un capitalisme de la « raison d’être ».

Dans un monde connecté, une « cité par projets », ce nouveau « projet » va-t-il emporter l’adhésion vers ce « capitalisme responsable » ?

C’est sûrement aussi une question individuelle pour chacun et pour nos dirigeants, capables, ou non, d’emporter les mouvements collectifs qui rendront possibles ces mutations.