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La bonne copine

GOODOn connaît les discours, les appels au secours, les alertes, sur la dévastation généralisée des écosystèmes, l'épuisement des ressources naturelles, le réchauffement climatique.

Au point pour certains de remettre en cause la course à la croissance at au progrès. La sortie de Camille Etienne, militante écologiste de 22 ans et porte-parole du mouvement "On est prêts", lors de l'Université du Medef (rebaptisée Renaissance des Entrepreneurs de France) fin août 2020, qui a osé affirmer qu'il faudrait  "oser réinventer tout ça; peut-être travailler moins, avec un peu plus de sens", a fait le tour des réseaux sociaux, et fait glousser les patrons présents à l'hippodrome de Longchamps pour y assister.

Bien sûr, pour d'autres, comme Emmanuel Macron, revenir en arrière, ce serait revenir à la lampe à huile et au modèle Amish, contre la 5G. Dans Le Monde du 25 septembre, une tribune est signée par quatre anciens conseillers politiques et juristes du numérique, se présentant astucieusement comme "amish du numérique" pour poser la question également :

" Alors que certains considèrent que toute innovation technologique est bonne par essence, nous nous demandons : est-ce que cette innovation va nous aider à mieux vivre ensemble ou bien est-ce qu'elle risque de nous désunir ? ". 

Un autre récit émerge depuis quelques années, et se répand aujourd'hui dans le monde des entreprises, qui se veut radicalement plus rassurant : Il annonce que, grâce justement à des progrès technologiques fulgurants, l'espèce humaine pourra bientôt connaître l'abondance, vivre longtemps et en bonne santé (la mort de la mort), et même conquérir l'espace pour s'y installer. ce futur heureux est celui désigné par le terme de "transhumanisme"

Un chapitre du livre de recueil d'articles "Collapsus", de Laurent Testot et Laurent Aillet, rédigé par Gabriel Dorthe, universitaire suisse auteur d'une thèse sur le sujet que l'on peut trouver en intégralité ICI, vient nous rappeler que ce terme de "transhumanisme" a été employé dans les années 50 par le biologiste Julian Huxley, frère du romancier Aldous Huxley (oui, l'auteur du "Meilleur des mondes" que l'on relit beaucoup en ce moment), qui anticipait le développement des biotechnologies qui permettrait à l'humanité de prendre en charge sa propre évolution. L'ouvrage a pour titre singulier " New bottles for new wine". Il faudra ensuite plusieurs décennies pour imposer la forme en "-isme" du concept. C'est en 1998 qu'est fondée la "World Tranhumanist Association" (WTA), par deux philosophes, le Suédois Nick Bostrom et l'Anglais David Pearce, rebaptisée en 2002 "Humanity+". Des associations du même type se créent alors à travers le monde, dont celle française, fondée en 2010, l'Association française transhumaniste Technoprog ( AFT). 

Une charte "Déclaration transhumaniste" a même été rédigée en 1998 par la WTA, remaniée plusieurs fois, la dernière en 2012, que l'on trouvera ICI

Cette déclaration pose dans son article 1 que " L'humanité sera profondément affectée par la science et la technologie dans l'avenir. Nous envisageons la possibilité d'élargir le potentiel humain en surmontant le vieillissement, les lacunes cognitives, la souffrance involontaire, et notre isolement sur la planète Terre". 

 Elle en appelle ensuite à délibérer, en tant que citoyens, sur l'administration des conséquences des progrès envisagés, et à choisir les éléments à promouvoir. 

Cela n'empêche pas, encore un peu aujourd'hui, certains critiques de présenter ces "transhumanistes" comme de doux dingues, ou, pire, des milliardaires aux idées fumeuses qui voudraient servir leurs intérêts d'investisseurs. Un hebdomadaire s'en prenait cette semaine à des investisseurs comme Xavier Niel qui investit dans des nouvelles formes d'alimentation sans viande, avec des steaks conçus en laboratoires ("L'agriculture cellulaire") ou dans l'entreprise MotifIngredients, avec Jeff Bezos et Bill Gates, qui a pour objectif de fabriquer des alternatives de laboratoires à la viande, aux œufs ou au lait, les soupçonnant de soutenir les antispécistes et le référendum sur les animaux pour nous détourner plus vite de l'agriculture traditionnelle.

Le débat n'est pas fini, et est nourri cette semaine par un dossier du Monde de ce week-end (daté de Dimanche 27/09), "L'entreprise va-t-elle sauver le monde ?", présenté par Nicolas Santolaria, et dont j'ai repris l'image d'illustration pour ce post. Il évoque ces entreprises qui se désignent comme "Good" : Ce sont ces entreprises dont "le projet, les produits et les services s'inscrivent dans des objectifs d'accroissement du bien commun, en retenant quatre thématiques : la réduction de l'émission des gaz à effet de serre, l'éducation, la réduction des inégalités er la santé" (selon la définition d'un rapport de PwC sur le sujet). On est un cran en-dessous des visions transhumanistes, mais le projet relève du même genre d'optimisme. Ce "Good" désigne bien, comme le souligne avec un peu d'ironie Nicolas Santolaria, " une approche proactive, presque chevaleresque, du bien commun, soudain devenu le cœur incandescent du capitalisme." Cela a pris de l'ampleur avec ce mouvement d'entrepreneurs "Tech for Good France". 

Bon, le dossier donne aussi la parole aux sceptiques, comme le sociologue Marc Audétat, coauteur de l'ouvrage " Sciences et technologies émergentes : pourquoi tant de promesses ?" : " C'est marrant, ce terme, "la tech". C'est comme si on assimilait la technologie à une bonne copine, qui vous amène des solutions. On a beaucoup eu, ces dernières années, le sentiment d'une innovation sans progrès. L'intelligence artificielle, la disruption façon Uber, les GAFA ont fini par être perçus de façon très pessimiste, prédatrice et négative. Regardez la série "Black Mirror" : la technologie y incarne le méchant. Le "Good" est donc une réponse à ce climat délétère. En mariant la marchandise et le bien, cette nouvelle mythologie suscite des émotions positives qui permettent aux entreprises de s'insérer sur des marchés porteurs. C'est aussi une réponse à l'impuissance que l'on ressent tous, un discours éthique qui ne mange pas de pain et auquel les gens pourront adhérer facilement."

Alors, cette bonne copine va-t-elle sauver le monde, nous libérer et élargir notre potentiel humain, au point de surmonter le vieillissement, les lacunes cognitives et la souffrance ? 

Question de foi, ou de confiance.


Qu'est-ce que t'as lu pour les vacances ?

LivreBon, alors c’est ce qu’on appelle « la rentrée ». On retrouve les collègues, les clients, les chefs.

On discute avec les masques, on prend un verre.

D’habitude on se raconte les vacances, les grands voyages à l’autre bout du monde. Mais là, crise Covid oblige, on est allé dans la maison de grand-mère ou dans une randonnée dans un coin perdu. C’est moins impressionnant.

Alors, la question n’est plus « Où étais-tu en vacances ? », mais « Qu’est-ce que tu as lu pendant les vacances ? ».

Oui, tiens, la lecture, une manière de voyager loin en ménageant sa monture.

Mais la lecture, c’est comme les voyages, on ne va pas n’importe où, comme on ne voyage pas là où vont tous les « touristes » (c’est-à-dire tous les autres sauf moi).

Déjà, parler de lectures, c’est parler de livres. On ne va pas parler de Gala ou de Paris Match, pour mater les photos d’Emmanuel Macron et de Brigitte à Brégançon.

Non, la lecture c’est du sérieux.

Pas facile de rencontrer quelqu’un qui avouera avoir lu les mémoires de Nicolas Sarkozy. Non, ce dont on parle ce sont les livres qu’on a lus, ou encore mieux, « relus », les classiques. Joseph Kessel, Kundera reviennent souvent. Où même « Les misérables » de Victor Hugo, en version « Audible » lus par un acteur célèbre. Et puis il y aussi ceux qui ont lu « tout » Balzac ou Zola pendant l’été. Comme un concours du plus grand mangeur de saucisses.

Bien sûr, il y a aussi ceux qui sont fiers de n’avoir rien lu, « pas le temps de lire », et qui ont même parfois eu tellement de travail pendant l’été, car il faut relire les dossiers, préparer les rendez-vous ,analyser les rapports, et « faire les objectifs ». Ceux-là ne rigolent pas, au point de culpabiliser ceux qui ont pris le temps de se poser et de lire, comme de bons fainéants.

Et puis lire, des trucs pour le boulot, des rapports,des manuels techniques, des notes professionnelles, pourquoi pas, mais alors des romans !

Et pourtant, les romans aussi viennent nous inspirer, et nous faire découvrir d’autres monde, ou plutôt notre monde, mais dans des endroits où nous n’allons pas, avec des personnes que nous ne connaissons pas. C’est aussi le moyen de changer parfois notre perception du monde, et de développer la créativité et l’imagination. A l’heure où les talents de « story telling » sont clés pour les relations humaines, le roman est un guide et un professeur. Charles Danzig l’a si bien dit dans son livre (encore un), « Pourquoi lire ? ». 

Au point que certaines études font un lien entre la réussite professionnelle et la lecture de romans de fiction, comme dans cet article de Fastcompany.

Selon Michael Benveniste, professeur cité dans cet article, la lecture de fictions améliore nos capacités de raisonnement et de logique. «La fiction offre un espace pour spéculer sur le rôle constitutif que les valeurs 'floues' - comme les croyances, les normes et les expériences – jouent dans des contextes sociaux", explique-t-il. Un psychologue, Raymond Mar, indique aussi que lire l’histoire d’un personnage et s’identifier à lui, nous aide à faire preuve de plus d’empathie dans la vie réelle.

Une autre étude citée nous apprend que lire pendant 6 minutes nous permet de diminuer de 68% notre taux de stress, abaisser notre fréquence cardiaque, et atténuer la tension des muscles. Ce serait mieux que d’écouter de la musique ou de boire une tasse de thé.

Lire est aussi une façon de façonner nos rôles modèles ; la lecture des descriptions des personnages influence notre personnalité et nos comportements.

Alors, bon, mais là c’est la rentrée ; Au boulot ! On range les livres…ou pas ?