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Baiser Lamourette

Baiser« L’union  fait la force » : C’est la devise de la Belgique, mais aussi de la Bulgarie, de l’Angola, ou de la Bolivie. C’est un proverbe dont on ignore l’origine. Il nous dit que c’est en étant unis que nous accomplissons ensemble les plus grandes choses, et restons invincibles. C’est le sens de la fable d’Esope, « les enfants désunis du laboureur ». Un laboureur avait des enfants désunis. Pour leur donner une leçon, il leur demande d’apporter un fagot de baguettes. Il leur donne d’abord à casser le fagot entier. Ils n’y parviennent pas. Puis il distribue les baguettes une par une, ce qui permet à chaque enfant de casser chaque baguette facilement. D’où la conclusion de la fable donnée par le laboureur : « vous aussi, mes enfants, si vous restez unis, vous serez invincibles à vos ennemis ; mais si vous êtes divisés, vous serez faciles à vaincre ».

On va ainsi peut-être retrouver les vertus de la solidarité et du collectif, y compris dans nos entreprises. Certains parlent même d’une initiative de « gouvernement d’union nationale » pour une action collective de l’Etat.

Justement, on peut évoquer un épisode de notre histoire pendant la Révolution, que je retrouve dans l’ouvrage passionnant de Jonathan Israël, « Idées révolutionnaires – Une histoire intellectuelle de la Révolution française », et qui est resté célèbre comme le « baiser Lamourette ».

Cela se passe en juillet 1792. La période est tendue. Louis XVI est de plus en plus considéré comme un prisonnier. Et surtout la France est en guerre contre l’Autriche et le Roi de Prusse et accumule les revers. Le 30 juin, l’Assemblée émet un décret réglant les formes de la déclaration de la patrie en danger. Et le 7 juillet au matin, en plein milieu de ces discussions sur la « patrie en danger », Lamourette, évêque constitutionnel de Lyon, demande la parole pour un discours passionné. Aucune querelle n’est insurmontable, dit-il, excepté celle entre des gens malveillants et des personnes mal intentionnées. La situation était compliquée car la majorité de l’Assemblée accusait la gauche de vouloir une république et l’on prêtait aux feuillants (partisans de la monarchie constitutionnelle) un projet condamnable de vouloir un régime mixte s’appuyant sur la noblesse et le bicamérisme.

Lamourette insiste pour dire que les malheurs de la France proviennent justement de la « désunion de l’Assemblée nationale ». Et il invite les députés à dépasser leurs dissensions et à reconnaître en chacun d’eux la « probité » et « l’honneur » et à ramener la représentation nationale à l’unité.

Et il invite ses collègues :

« Foudroyons, Messieurs, par une exécration commune, et par un dernier et irrévocable serment, foudroyons et la république et les deux chambres ; jurons-nous fraternité réelle, confondons-nous en une seule et même masse d’hommes libres, également redoutable à l’esprit d’anarchie et à l’esprit féodal : et le moment où nos ennemis domestiques et étrangers ne pourront plus douter de ce que nous voulons une chose fixe et précise, et que ce que nous voulons, nous le voulons tous, sera le véritable moment où il sera vrai de dire que la liberté triomphe et que la France triomphe ».

Et propose alors que :

« Ceux qui rejettent et haïssent également et la république et les deux chambres se lèvent »

Et il encourage alors :

« Jurons de n’avoir qu’un seul esprit, qu’un seul sentiment : jurons de nous confondre en une seule et même masse d’hommes libres. Le moment où l’étranger verra ce que nous voulons, nous le voulons tous, sera le moment où la liberté triomphera et où la France sera sauvée ».

A ce moment, l’Assemblée est prise d’une émotion collective. Chacun se lève pour applaudir, parfois les larmes aux yeux, et des accolades s’échangent entre députés de tous bords. C’est ainsi que cet instant a été surnommé « le baiser Lamourette ».

Toutefois, cette entente ne durera pas plus de deux jours. Les disputes reprennent presque aussitôt.

Cette réconciliation va être considérée par les Républicains comme un complot organisé par la Cour et le Clergé. Le jacobin Billaud-Varennes s’écrie alors « voir tel député se jeter dans les bras de tel autre, c’est voir Néron embrasser Britannicus, c’est voir Charles IX tendre la main à Coligny ».

Lamourette va devenir suspect aux yeux des Révolutionnaires, et la monarchie constitutionnelle bientôt s’effondrer. Il est vite arrêté, emprisonné et guillotiné en 1794, après avoir renié son « irrévocable serment ».

Que retiendront nos contemporains, nos dirigeants, et nos comités de Direction de ce « baiser Lamourette » ? On parle peut-être moins souvent aujourd'hui de "probité" et d' "honneur", il est vrai...


Identité confinée

ConfinePeut-on vivre de manière flexible, en s'attaquant à des objectifs de court terme, des missions avec des deadlines ? 

Est-ce que cette façon d'être nous rend adaptables et au mieux pour saisir les opportunités?

Ou bien risque-t-on de sombrer et être "confiné sur soi" ?

A l,heure du déconfinement, comment ne pas succomber à ce confinement sur soi?

C'est le sujet de ma chronique de mai sur "envie d'entreprendre".

C'est ICI.

Osons y aller...


Faut-il changer la ville ?

VilleAC’est Orange et les mouvements de nos mobiles qui l’ont révélé : le 17 mars, début du confinement annoncé, 17% des Franciliens quittaient leur domicile pour s’installer en région. On y voit la recherche de vert et de nature, de logements de résidence plus grands, de regroupements en famille pour les jeunes actifs et étudiants. Et peut-être aussi la peur des contacts générés par les centres urbains.

On peut alors se demander aussi si cette crise ne va pas inciter à une décentralisation sociale plus forte, poussant les habitants des villes à se relocaliser à la campagne ou dans des villes moyennes. Et inversement, va-t-on assister à de nouveaux modèles pour les villes, pour refaçonner les grandes villes, et en premier lieu Paris, de manière plus « hygiéniste » ?

Cette obsession de l’hygiène était importante au XVIIème et XIXème siècle. Denis Cosnard, dans un article du Monde de jeudi 30/04, rappelait que l’épidémie de choléra à Paris en 1832 avait causé plus de 20.000 morts, et a été à l’origine d’une prise de conscience pour rendre Paris plus hygiénique. Cela incitera à traiter l’eau (qui peut jouer un rôle néfaste si elle stagne) au chlore, et à tout faire pour qu’elle circule. C’est à cette époque que la ville se transforme, en pavant, bitumant, asphaltant les rues pour que l’eau ne demeure pas dans des cloaques, mais circule dans des dispositifs d’adduction d’eau. Puis arrive Haussmann, préfet de la Seine en 1853, qui va accélérer le mouvement : destruction des immeubles insalubres, percement de larges avenues, ouverture de parcs et jardins, avec l’objectif de faire circuler l’air et l’eau dans la capitale. La collecte et le tri des déchets se généralise grâce à l’invention d’un des successeurs d’Haussmann, Eugène Poubelle. C’est pourquoi ce XIXème siècle est l’âge d’or de l’hygiénisme.

Et puis depuis les années 1970, cet hygiénisme passera au second plan.

Allons-nous y revenir ? Et imaginer des villes différentes ?

Dans une note publiée dans Metropolitiques, l’architecte Jacques Ferrier pose le sujet : la ville dense a trahi ses habitants.

On constate, face à la crise sanitaire, que les grandes villes s’isolent les unes des autres, alors qu’il n’y a pas si longtemps on vantait le concept de « villes-monde » incitant à voir dans toutes ces villes comme Paris, New-York, Shanghai, Londres, un club d’élites urbaines interchangeables et connectées entre elles. On y croyait. Et puis, boom : « Le confinement a révélé la fragilité et les faiblesses d’un environnement construit, dont on pensait que la sophistication et la performance techniques le rendaient invulnérable, si ce n’est aimable ». La ville dense, au cœur de la crise sanitaire, a été stoppée net.

Alors, en prévision de crises et de révélations des fragilités futures (climat, énergie, disponibilité de l’eau) peut-on changer quelque chose au modèle et quoi ? La parole est à l’innovation, une innovation « transdisciplinaire, contextuelle, sensible ». Et peut-être aussi de nouvelles méthodes de management et de gestion des villes.

Jacques Ferrier propose dans sa note des pistes immédiates pour agir, en agissant directement sur l’architecture (c’est sa spécialité, forcément) : Penser la ville quartier par quartier, comme des espaces de proximité, à dix minutes de marche de chez soi (ce qu’il appelle le micro-urbanisme). Imaginer une nouvelle dimension de la proximité et de nouveaux espaces communs : alors que chacun est chez soi sans contacts dans les immeubles collectifs, comment créer, en gardant les distances sociales, des lieux communs de rencontres et d’échanges, des « espaces communs vivants » et des « pièces collectives », halls et jardins, ombres d’arbres et préaux. Enfin, il imagine aussi de designer la ville pour mieux accueillir la nature, par la « décompaction de l’immeuble de logements ». Tout cela pour créer « un environnement urbain en résonance avec la planète et les hommes qui l’habitent ».

Alors plutôt que d’amener les urbains à la campagne, peut-être inventera-t-on une nouvelle forme de ville.

Pour Paris, avec 20.000 habitants au km2, il va y avoir besoin de créativité et d’imagination citoyenne.

Peut-être de quoi alimenter les nouveaux programmes des élections municipales. Et aussi donner aux entreprises, start-up et entrepreneurs des idées de services innovants, et cette "innovation transdisciplinaire, contextuelle, sensible".