Fulgurances du lendemain
27 mars 2020
Jérôme Fourquet, auteur de « L’archipel français » et Directeur à l’IFOP, fait remarquer dans une interview aux Echos du 27 mars, que la période actuelle d’épidémie introduit une nouvelle ligne de partage dans le monde du travail. Il y a les télétravailleurs, majoritairement les managers et cadres de nos entreprises. Il y a ensuite les travailleurs actifs qui continuent d’occuper leur poste de travail sur site, parfois la peur au ventre de la contamination. Et puis il y a ceux qui sont en chômage technique ou à l’arrêt. Chacun de ces trois groupes, selon un sondage (de l’IFOP) correspond à peu près à un tiers des actifs. Avec des différences : près des deux tiers des cadres et professions intellectuelles télétravaillent, contre seulement 10% des employés et ouvriers, et la moitié d’entre eux sont à l’arrêt. Ces données indiquent bien que la période de confinement n’est pas vécue de la même manière par tous, y compris au sein de la même entreprise.
Pour les managers en télétravail, c’est parfois une période intense. Les Comex, c’est tous les jours, pendant maximum 45 minutes. Puis s’enchaînent les réunions « de crise », les communications au personnel, tout ça avec Skype, Teams, ou Citadel pour les plus soucieux de la sécurité ( Microsoft a annoncé que sa solution Teams était utilisée chaque jour par 44 millions de personnes soit un bond de 40% en une semaine; le nombre d'utilisateurs quotidiens a été multiplié par sept en France). Et entre les réunions on a les groupes Whatsapp. On peut y envoyer des photos rigolotes à ses collègues, mais aussi toutes les informations utiles ou inutiles qui vont permettre d’occuper la journée. Pas de répit. « Je n’ai jamais été aussi fatigué » disent certains. Les journées commencent tôt et finissent tard ; plus trop de temps pour se poser tranquillement pour réfléchir à son bureau. La vie familiale et les réunions s’interpénètrent. Pas le temps de s’ennuyer. Mais, c’est vrai, pour certains dirigeants, « le télétravail, on ne sait pas comment faire ».
Pourtant, le philosophe Roger-Pol Droit, dans Le Monde du 27 mars, citant Sénèque Schopenhauer, nous prévient : « Vivre sans temps mort, toujours accaparé par quelque chose, toujours occupé à quelque travail, quelque jeu…n’est pas propice à la rumination où, sans qu’on le sache d’abord, des nouveautés éclosent. Les temps d’ennui ne sont pas des catastrophes. Il y flotte au contraire des sensations et intuitions inhabituelles, d’abord imperceptibles, qu’il convient de laisser venir. Dans la fadeur de l’inaction, ce fond vide de contours et de projets, croissent souvent les fulgurances du lendemain ».
« Ennuyez-vous sans crainte. Il en sortira quelque chose. Parce que la pensée écarte les murs ».
Alors, si on rapproche le sondage de l’IFOP des recommandations de Roger-Pol Droit, ce sont peut-être les 50% d’ouvriers et employés à l’arrêt qui vont faire émerger dans un fond vide de contours les fulgurances du lendemain, dont les dirigeants et managers vont avoir besoin.
Commentaires