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Dunning et Kruger

ChatlionC'est un effet désastreux sur la prise de décision et le choix des décideurs dans nos entreprises. Je le retrouve analysé avec pertinence dans le dernier livre de mon ami Olivier Zara, " L'excellence décisionnelle". On l'appelle l'effet Dunning-Kruger. Et le plus grave, c'est que beaucoup en sont atteints, et se repassent le virus (c'est de circonstance).

Alors, c'est quoi l'effet Dunning-Kruger ?

Cela fait référence aux travaux de deux chercheurs du département de psychologie de la Cornell University, David Dunning et Justin Kruger, en 1999, à partir d'études de sujets occidentaux. Ces deux chercheurs ont ainsi émis les hypothèses suivantes :

  • une personne incompétente tend à surestimer son niveau de compétence,
  • une personne incompétente ne parvient pas à reconnaître la compétence de ceux qui la possèdent véritablement,
  • une personne incompétente ne parvient pas à se rendre compte de son degré d'incompétence,
  • si un entraînement de cette personne amène une amélioration significative de sa compétence, elle pourra alors reconnaître et accepter ses lacunes antérieures.

En clair, cet effet est un biais cognitif qui va amener les personnes les moins compétentes à surestimer, par excès de confiance, leurs compétences, et inversement les personnes les plus compétentes à les sous-estimer. On comprend l'histoire que cela va créer dans l'entreprise, ou dans d'autres milieux, comme la politique par exemple : les mauvais vont se croire bons, et les bons se croire mauvais. C'est ce qui permet à des incompétents de postuler et de se battre pour accéder aux postes de décideurs, et aux talentueux, c'est à dire ceux qui seraient les plus adaptés au poste, de ne pas oser postuler, s'en croyant incapables. La suite logique, on le comprend, c'est le principe de Peter, qui permet la prise de pouvoir par les plus incompétents. 

C'est ce phénomène d'excès de confiance qui conduit à l'effet Dunning-Kruger, la personne incompétente ne parvenant pas à se rendre compte de son niveau d'incompétence, ni d'ailleurs à reconnaître la compétence de ceux qui possèdent effectivement cette compétence qui leur manque.

Evidemment avec un tel biais dans les cerveaux des managers et des dirigeants, on aboutit de perpétuelles surestimations de soi, sous-estimation des concurrents, accumulation des angles morts qui empêchent de voir la réalité des situations, excès d'optimisme sur les capacités à atteindre les objectifs que l'on s'est fixés et que l'on n'atteint jamais. En ne distinguant pas ce qui dépend de nous vraiment, et ce qui dépend aussi de l'environnement, on va oublier les facteurs externes et les mouvements des concurrents (ou même des clients qui changent leurs besoins et comportements), et donc perdre pied au moment de l'exécution des décisions. 

Un autre effet va être de ne jamais se sentir en mauvaise posture face aux échecs et problèmes rencontrés, mais au contraire, fiers de notre croyance en une compétence extraordinaire, faire toujours et toujours plus de la même chose.

Mais peut-on réduire ce mauvais effet Dunning-Kruger qui semble bien menaçant ? Olivier Zara nous suggère d'en appeler à l'intelligence collective, faisant le pari, reprenant une citation de James Surowiecki (auteur référent sur la "sagesse des foules"), que "Lorsqu'un groupe de personnes se réunit, les biais s'annulent et les savoirs s'accumulent". Encore faut-il que le décideur sache écouter et, comme les commandants de bord dans les avions en cas d'incident (et tel qu'énoncé dans les règles de sécurité aérienne), parle en dernier dans les débats. Et à condition aussi qu'il y ait une diversité suffisante de profils autour de la table de décision.

Pas si simple si on a affaire à un comité de Direction où tous les profils sont les mêmes, et où les points de vue divergents n'osent jamais s'exprimer, de peur de passer pour des imbéciles.

Faire connaissance avec Dunning et Kruger, voilà peut-être de quoi nous alerter sur ces biais qui se transmettent et se démultiplient sans qu'on les maîtrise. 


Esprit, es-tu là ?

ReveriesPour certains, c'est une méthodologie, un truc de consultants, une démarche. Le mot est devenu un attrape-tout. Tout le monde s'en revendique, même sans trop savoir de quoi il s'agit exactement.

Mais pour les purs, c'est d'abord un état d'esprit.

Alors, c'est quoi le "design thinking" ? 

Facile de trouver de quoi s'informer. Sur Google, on tombe sur 4.950.000 résultats ! Dont le premier, " Le design thinking est terminé", Ah, zut !

Mais pour revenir aux sources, rien de tel que de reprendre l'ouvrage de Tim Brown, créateur de l'entreprise IDEO, qui a développé le "Design Thinking" et ses applications, " L'esprit Design", qui est ressorti en 2019 dans une nouvelle édition "enrichie et actualisée". 

Cet état d'esprit, c'est celui de savoir " convertir un besoin en demande". Car demander de quoi a besoin le client ne permet pas de recueillir le vrai besoin. On attribue à Henry Ford la citation suivante : " Si j'avais demandé à mes clients ce qu'ils voulaient, ils auraient répondu " Un cheval plus rapide"."

Ce n'est pas non plus avec l'analyse des données, même en grande quantité (oui, le "Big Data"), que l'on trouvera la réponse, car l'analyse des données va nous informer sur les comportements passés, et peut-être permettre de les corréler pour deviner les comportements futurs en continuité avec ceux d'hier, mais pas sur les  "disruptions" et innovations qui feront la différence.

Mais alors, "l'esprit design", ça consiste en quoi ?

Cela va consister à comprendre et faire émerger les besoins latents dont peut-être ceux que l'on va étudier ne sont mêmes pas conscients. 

Et pour ça trois ingrédients indissociables font la réussite : l'intuition, l'observation, et l'empathie. Tout le reste relève de la méthodologie; mais sans ces ingrédients, la méthodologie ne marchera pas.

Alors, parcourons ces trois ingrédients avec l'aide de Tim Brown.

L'intuition

C'est elle qui nous pousse à aller observer en dehors de notre quotidien, de ce que nous regardons habituellement, pour découvrir de nouvelles perspectives, de nouveaux environnements. C'est elle qui est guidée par notre curiosité, l'envie de faire de nouvelles rencontres, et de fréquenter des environnements variés, en allant nous confronter à ces petits détails de la vie que l'on pourrait facilement ignorer. 

Le design étant une activité fondamentalement créatrice, c'est cette intuition qui nous dit où aller chercher les inspirations. Si l'on veut chercher des idées novatrices pour des chaussures de femme, pourquoi ne pas aller discuter avec un guide spirituel qui marche pieds nus sur des charbons ardents? Ou avec des femmes possédant plus de 150 paires de chaussures ? L'intuition va nous permettre d'identifier les sources d'inspiration les plus inattendues. C'est ce qui nous fait sortir des analyses chiffrées pour s'autoriser d'aller flâner au feeling, comme un promeneur solitaire en pleine rêverie (Merci Jean-Jacques Rousseau). 

L'observation

Deuxième ingrédient de l'esprit design, savoir observer. C'est "regarder ce que les gens ne font pas et écouter ce qu'ils taisent"

C'est pourquoi dans cette pratique de l'observation, sur le mode "anthropologue", ce n'est pas la quantité, mais la qualité qui compte. Il est bon de se concentrer sur les comportements extraordinaires. En limitant les observations à ceux qui sont au centre de la courbe en cloche, c'est à dire les comportements de la majorité, on risque de n'aboutir qu'à confirmer ce que l'on sait déjà, sans apprendre quelque chose de nouveau et de surprenant. Il faut aller chercher sur les bords. J'avais déjà parlé ici des "déviants positifs", c'est la même idée. Le but est de rencontrer des personnes qui pensent autrement. Si vous vous intéressez aux acheteurs de poupées Barbie, un petit moment avec une collectionneuse qui en possède 1.400 vous apprendra sûrement plein de choses.

L'empathie

Cet ingrédient est majeur. 

Car l'esprit design consiste à traduire les observations en informations et ces informations en produits et services innovants. Cette empathie, cela consiste donc à ne pas considérer les personnes que nous observons comme des rats de laboratoire, mais à carrément "emprunter" la vie des autres pour imaginer des idées neuves. L'empathie nous aide à comprendre comment des individus extravagants s'adaptent au monde, et dans cette approche, un homme de 30 ans n'a pas les mêmes façons qu'une femme de 60 ans. C'est l'empathie qui nous permet de comprendre intuitivement les autres. 

Avec cet "esprit design" nous abandonnons la vision du consommateur comme un objet d'analyse, pour entrer dans une collaboration plus profonde avec le public observé, entre les concepteurs et les consommateurs.

Voilà de quoi s'exercer à ces trois ingrédients pour ne pas perdre l'esprit.


L'effet cobra

CobraOn appelle cela "l'effet cobra".

Cela fait référence à une histoire dans un village en Inde, au temps de la colonisation anglaise, où le gouverneur eut l'idée de proposer de verser une prime à tous ceux qui ramèneraient des cobras morts, pensant ainsi contribuer à l'élimination de ces serpents maléfiques du territoire. Il en résultat que des malins décidèrent de développer des fermes d'élevages de cobras, leur permettant de ramener de nombreuses dépouilles et ainsi de toucher le maximum de primes. Le gouverneur voyant la supercherie décida de supprimer cette offre de prime, causant ainsi la faillite de ces fermes, qui relâchèrent en nombre les serpents, contribuant ainsi à augmenter le nombre de cobras sur le territoire.

Cet "effet cobra", c'est cet effet  que pense constater Paul Millerd, consultant et entrepreneur qui rédige le site / blog Boundless, dans un article récent, à propos des "plans de transformation" qu'entreprennent les dirigeants.

L'intention de départ est louable : le dirigeant, se sentant en charge de faire faire le maximum de progrès à l'entreprise dont il assure la fonction de CEO va s'attaquer à en augmenter les revenus, et à en réduire les coûts, mais au-delà de ça, dans un monde de plus en plus complexe et incertain, va imaginer une "transformation" sur un horizon pluri-annuel. En y intégrant ses convictions et ses intuitions propres.

L'hypothèse qui est ainsi faite, plus ou moins, c'est que le changement va se concentrer autour du leader de l'entreprise, capable de designer, d'implémenter et de dégager les bénéfices qui amélioreront les résultats de l'entreprise. 

Et c'est là que se révèle l'angle mort, tant pour le dirigeant que pour le consultant qui va l'accompagner : cet angle mort, c'est l'évidence que l'on ne voit pas, aveuglé par nos certitudes et "croyances". Cette croyance, c'est d'imaginer que c'est ce type de "plan" qui va  transformer et améliorer les performances de l'entreprise.

Le scénario ,on l'a tous connu un jour ou l'autre, est toujours le même, mais une certaine forme d'amnésie nous incite à toujours le rejouer : quelques personnes, des consultants , des chasseurs de cobras de toutes sortes, ont imaginé une liste d'actions et de projets à mettre en oeuvre qui vont améliorer significativement la performance économique sur plusieurs années. Les "impacts" sont chiffrés, action par action, le calendrier est prêt. Le dirigeant n'a plus qu'à dire oui, et à donner un nom sympa au "programme". 

Et c'est parti. Le plan va être lancé, des actions dans tous les sens vont se déployer. Et, au bout de quelques années, les dirigeants sont partis exercer leur talent ailleurs, les chasseurs de cobras ont changé de client, et plus personne n'est encore là pour venir mesurer si les résultats promis sont vraiment au rendez-vous, sans parler de tous les événements "imprévus" qui seront venus perturber ou entraver le plan initial. Personne ne sera là pour mesurer si ce que l'on avait identifié a priori comme un "impact" (positif, bien sûr), n'est pas devenu un impact négatif, sur des éléments plus immatériels (le moral des troupes, l'engagement des collaborateurs). 

Alors avec un nouveau dirigeant, on va lâcher de nouveaux cobras, de nouvelles listes d'actions, de nouveaux chasseurs de cobras vont se manifester, on fait chauffer les powerpoint, un nouveau nom sympa, et c'est reparti. La roue tourne ! 

Ce scénario va se répéter et se répète dans de nombreux environnements. Et pourtant, on connaît les études, souvent l'oeuvre de consultants qui ont eux-mêmes contribué à ces "programmes", qui montrent que seulement un quart de ces types de plans sont de véritables succès à court et moyen terme (on espère tous faire partie de ce quart), et que cette tendance à l'échec, malheureusement, s'accentue. L'"effet cobra", là-dedans, c'est que ce modèle nourrit l'ego des dirigeants qui acquièrent une réputation de transformateur (le côté césarisme dont j'ai déjà parlé ICI), et il nourrit aussi tous ceux qui tournent autour : auteurs, conférenciers, consultants, toute une communauté qui vie de ce genre d'exercice. Et donc puisque tant de chasseurs de cobras vivent du système (les plans de transformation qui n'ont pas trop bien marché nourrissant la conviction qu'il va falloir en lancer de nouveaux pour obtenir les progrès attendus), pourquoi s' arrêter ? 

Pourtant, ils existent quand même, ceux qui veulent vraiment inventer et déployer des modèles qui marchent et apporter de vrais résultats (On a tous envie de réussir). L'auteur de l'article évoqué n'en parle pas trop finalement, mais évoque comme une piste la meilleure appréhension de la complexité, l'implication des collaborateurs qui sont au plus près des opérations et des clients, et de s'inspirer de la théorie du chaos et des sciences de la complexité. Et cela implique sûrement aussi de donner plus de place dans la réflexion au temps long (ne dit-on pas qu'il est vain de faire pousser les salades en tirant sur les feuilles). Attitude pas très facile ni très à la mode dans une période où l'on veut tout tout de suite.

Mais peut-être que l'on peut changer la mode, par effet de contamination, avec ceux qui pratiquent d'autres méthodes. Et être de plus en plus nombreux, dirigeants comme consultants, à éliminer ces angles morts qui empêchent de réussir.

A chacun de commencer, et peut-être aura-t-on un peu moins de chasseurs de cobras qui font proliférer les cobras et plans de transformation sans lendemain. 


L'appel d'offres à la façon Lorenzo

Portes-baptistere-san-giovanni-florence-01Répondre à un appel d'offres, être ce consultant qui essaye de convaincre, ce prestataire, cet offreur de services, on connaît ça.

Mais comment fait-on pour gagner?

Et comment réussir un concours ?

Être celui qui emporte par sa modernité, contre les classiques qui ont plein de références.

C'est le sujet de ma chronique du mois sur "Envie d'entreprendre", c'est ICI.

Soyez Lorenzo et porte du paradis.

A la porte de Florence