La preuve par dix
01 janvier 2020
Le changement d'année, et le début d'une nouvelle décennie, c'est l'occasion pour certains de faire le bilan des dix années passées, et de se projeter dans les dix années à venir. On va faire les "Ambitions 2030" dans les entreprises visionnaires.
Mais on peut aussi considérer que nous sommes dans un état permanent d'incertitude qui nous oblige à apprendre à vivre et à manager différemment.
Ginevra Bompiani, écrivaine et éditrice italienne, porte son regard dans Le Monde du 29 décembre pour rappeler combien les phénomènes exceptionnels se sont multipliés au cours des dix dernières années.
2010, c'est le tremblement de terre en Haïti, avec plus de 200.000 morts; et d'autres tremblements de terre, et tsunamis se sont multipliés (dont en 2018 en Indonésie avec plus de 2000 morts). L'auteure cite aussi les tornades et les cyclones. Autres phénomènes d'exception connus au cours de ces dix ans : les attaques terroristes, et ce pilote allemand, en 2015, qui lance son avion contre une montagne et se tue avec 150 passagers. Autre phénomène d'exception qui touche directement l'Italie, le pays de l'auteure, les afflux de migrants qui, cherchant à rejoindre l'Italie, font naufrage (tel ce bateau au large de Lampedusa en 2013, sur lequel plus de 300 personnes trouvent la mort dans un incendie). Pour compléter le tableau, on se souviendra aussi des exterminations permanentes, comme celle des Rohingas ou des kurdes, et des effets des guerres en Afrique et au Moyen-Orient.
Nous ne pouvons pas prévoir tous ces phénomènes, mais nous nous persuadons que nous en connaîtrons encore dans les dix ans à venir, et peut-être même de plus en plus. Comme si nous apprenions à vivre dans "un état d'exception", comme un état d'urgence permanent. Et qui conduit à vivre, selon les mots de Ginevra Bompiani, dans un "état d'âme d'exception", qui a une influence sur notre humeur, qui devient " apeurée, méfiante, crédule, rageuse, angoissée, mal assurée. Nous avons peur de tout, nous nous méfions de tout, nous nous laissons duper à propos de tout". D'où le besoin fort, adressé aux politiques partout dans le monde : l'exigence de sécurité. Alors que, bien sûr, personne n'est capable de garantir la sécurité, pas même, rappelle l'auteure, "la mère qui berce son enfant". En complément de ce besoin de sécurité, un autre besoin fort : le changement. Mais une forme particulière de changement, qui correspond, " comme pour ces voyageurs sur un pont branlant, à la volonté de ne plus être sur le pont branlant sans avoir à le traverser". C'est un changement qui n'est pas tourné vers le futur, mais vers le passé, pour recommencer à être bercé et protégé des étrangers menaçants ou des dommages du temps. Pas facile, dans ces conditions, d'accueillir le changement, le vrai, celui qui attend à la porte de notre monde, avec bienveillance.
Un autre phénomène de peur, caractéristique de notre décennie, est mis en évidence par Olivier Babeau, Président du Think Tank "Sapiens", dans un article du Figaro du 30 décembre. C'est cette préoccupation environnementale qui prend aujourd'hui la forme d'un souci constant de minimiser "l'empreinte" de l'humain. Alors que dans l'Histoire, l'homme, depuis l'Antiquité, a cherché à marquer de son empreinte le monde, en bâtissant des cathédrales et des pyramides, aujourd'hui c'est l'inverse qu'il est bon de louer. Le nouveau culte est celui de la nature, culte que Olivier Babeau qualifie de naïf, car, comme il le fait remarquer, " il ignore que tant de choses dans notre environnement ont déjà été façonnées par des milliers d'années d'efforts humains: les paysages, les fruits (qui n'existaient pas à l'état naturel sous leur forme actuelle), les animaux (les chiens sont des loups sélectionnés)...Le culte de Mère nature veut aussi ignorer tout ce que notre bien-être actuel doit à des milliers d'années d'effort pour contrecarrer la nature et s'abstraire de ses nécessités".
S'il est vrai que notre Terre a été complètement façonnée et transformée par l'homme (Laurent Testot, dans son livre "cataclysmes", en fait un impressionnant récit sur trois millions d'années), aujourd'hui, le nouveau grand projet, dénoncé par Olivier Babeau, c'est de faire disparaître la marque de l'homme sur la nature. comme il note avec un peu d'ironie, " "L'homme serait une sorte de virus sur terre, et toute trace humaine une forme une forme de dépravation de la nature. Même les traces de pas sur la neige d'une montagne sont ainsi vécues comme une forme d'agression".
Conclusion naturelle de cette attitude, l'homme du XXIème siècle ne souhaiterait plus alors être conquérant de rien. Au point que "Un bon citoyen, à la limite, est un citoyen mort qui n'encombre plus l'atmosphère avec sa respiration".
Cela peut nous poser question sur l'avenir de notre civilisation : " que peut-il advenir d'une civilisation qui ne voit aucun objectif plus digne que de s'abolir ? Quelle force peut-il rester à une société qui rêve de s'éteindre en silence ? ". Cette attitude est plutôt celle de l'Occident, alors que d'autres pays, plus à l'Est, "décidés à marquer la terre de leur sceau se feront un plaisir de nous aider à réaliser notre souhait".
Bon, pour tromper ces prédictions funestes, ne pas sombrer dans la peur de traverser le pont branlant, tournés vers le passé, ni dans le rêve de s'éteindre en silence, dont nous préviennent ces auteurs, il va nous falloir développer et propager un esprit d'entrepreneur, de rêve de possible, de confiance en l'homme et en son avenir, afin de faire émerger en 2020 et dans la décennie à venir, des projets ambitieux et des réalisations optimistes.
A chacun de tirer les bonnes cartes pour faire la preuve par dix.
A nous de jouer.
Bonne année 2020, et bonne décennie.
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