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César et la mesure de la grandeur

Jules-CésarLe temps où diriger était selon le modèle "Command-and-control" semble dépassé. Fini les temps où il suffisait de dire aux employés quoi faire, il faut maintenant en plus leur dire pourquoi. Et même les persuader de faire. 

Cependant, en entendant certains dirigeants, on pourrait croire que ce modèle perdure encore. Armand Hatchuel, professeur à Mines Paris, a été inspiré par la conférence de presse de Carlos Ghosn, et a livré ses impressions dans un article du Monde du 16/01. Il y voit ce qu'il appelle un "césarisme d'entreprise" : " L'héroïsation du dirigeant, la personnalisation du pouvoir, la chute aussi vertigineuse qu'inattendue" en sont la preuve. On a d'ailleurs entendu Carlos Ghosn confier, dans cette même conférence de presse, que, depuis qu'il n'est plus aux commandes, c'est le bazar chez Renault, et les résultats se cassent la figure. Quand le héros n'est plus là, tout fout le camp. 

Mais au-delà du cas de Carlos Ghosn, il retrace le scénario habituel de ces parcours de patrons Césars : " Il débute par l'accès au sommet de responsables à qui l'on prête des succès hors norme. Ceux-ci s'empressent alors d'annoncer que la situation d'entreprise qu'ils ont trouvée exige un redressement fort et rapide. Suivent alors une gouvernance pyramidale et des objectifs démesurés, justifiés par l'urgence et par la stature du héros. La pression est mise sur les résultats à court terme". Dans cette ambiance, les critiques internes sont muselées, et le conseil d'administration laisse faire. C'est alors que certains processus vitaux de l'entreprise se détériorent doucement, qui touchent au dialogue social, au développement des compétences, aux contrôles de la qualité, à la coordination interne. 

Bien sûr, tous les dirigeants ne cèdent pas à ce césarisme, mais Armand Hatchuel observe que les marchés financiers ont encore tendance à vouloir croire à ce phénomène de "patrons miraculeux", à qui l'on prête le pouvoir magique de redresser rapidement une rentabilité insatisfaisante. Ce mythe du génie s'est d'ailleurs accompagné de l'explosion des rémunérations de ces dirigeants. 

Pour Armand Hatchuel, l'issue pour sortir de ce césarisme est de revenir à la "Raison d'être" de l'entreprise, pou emporter l'adhésion des collaborateurs. Car, comme il le souligne, " la grandeur d'un chef ne se mesure pas seulement à de bons résultats, mais à la qualité du fonctionnement collectif qui a créé ces résultats. Elle seule garantit qu'ils ne masquent pas un désastre à venir".

Intéressant de comparer ce portrait des "patrons César" avec la description de Jean-Jacques Marette, dans Le Figaro de vendredi 24/01. Jean-Jacques Marette est le haut fonctionnaire en retraite choisi par le gouvernement pour animer la "conférence d'équilibre et de financement des retraites". Cette nomination a l'air d'être unanimement saluée, et les louanges pleuvent : " C'est un homme d'une grande rectitude morale et d'une grande intégrité" (M.Retraites de FO). (Pas de fête à Versailles pour lui, alors). " Il est discret, fiable, compétent, efficace et techniquement très au point". (Claude Tendil - MEDEF). (pas de grandiloquence non plus pour lui). " Non seulement il connait parfaitement l'ensemble des régimes de retraites, mais c'est quelqu'un de modeste, jamais péremptoire, qui laisse les décisions politiques à ceux qui négocient". ( Jean-Louis Malys - CFDT). " Quand il parle, tout le monde l'écoute, car il y a toujours une plus value" (un participant au COR). 

L'anti-César, quoi. 

Reste à voir comment il va se sortir de cette conférence. Peut-être y faudra-t-il aussi une petite de dose de césarisme ?


Savoir-faire et savoir-être

EcouteOn les appelle les métiers de relations humaines, on pense aux coachs, mais aussi aux consultants de toutes sortes, car une mission de conseil, c'est aussi une relation humaine entre celle ou celui qui a convaincu le client d'acheter la mission, et le client lui-même en tant que personne. 

Pour exercer ces métiers, on apprend par les formations, les livres, les conseils des autres, mais surtout par l'expérience, et pas seulement celle liée à l'activité professionnelle. Quand on exerce ce métier de coach ou de consultant, on apprend aussi beaucoup de ses clients. 

Vincent Lenhardt, considéré comme un des pionniers qui a introduit le coaching en France, et qui en a formé pas mal, vient de publier un petit ouvrage très personnel, " La sagesse du coach", qui lui permet de nous livrer des convictions intimes. 

Un passage intéressant du livre est cette réflexion sur ce qui fait les qualités fondamentales d'un coach, et on ne peut s'empêcher d'y projeter les qualités d'un consultant ou même d'un manager. 

Paradoxalement, ce ne sont pas les méthodologies ou les expertises qui constituent pour l'auteur les qualités premières, mais des qualités plus humaines, de l'ordre de l'immatériel.

Il en propose quatre, indissociables.

La première : la "qualité d'être".

C'est la plus importante. C'est cette disposition à être tranquille d'esprit, en paix. C'est cette capacité à être avec l'autre dans une relation où l'autre nous aide à nous sentir plus intelligent.

La deuxième : la capacité à gérer des relations

Cela consiste à construire une relation saine, exempte de manipulation, sans laisser aller à une manipulation qui chercherait à réduire l'autre à un objet de pouvoir ou de séduction.

La troisième : l'aptitude à comprendre les problèmes et les enjeux de son client

Rien à voir avec des offres ou des méthodologies, on y voit ici de l'intelligence relationnelle, de l'empathie. Il y faut une connaissance du domaine d'activité ou du métier de son client. Pas besoin d'être un expert du domaine, mais de garder une posture de généraliste qui peut accompagner le client dans sa problématique sans se substituer à lui.

La quatrième : maîtriser les techniques propres à l'exercice du métier

Plus que de maîtriser, il s'agit d'incarner. D'avoir la crédibilité, grâce à l'expertise et la capacité à trouver les bonnes approches sur mesure à chaque problème ou enjeu soulevé.

Comme souvent dans nos métiers de relations humaines, le savoir-être compte un peu plus que le savoir-faire.

De quoi identifier nos sources de progrès.


Donnes-moi envie

PersuaderJ'ai un projet, une idée, un produit, un service et je vais te persuader de l'acheter, d'investir, d'y croire.

Tout est affaire de confiance.

Oui, mais tout le monde n'est pas persuadé par les mêmes arguments.

Comment trouver les bons arguments pour convaincre les charismatiques, les intellectuels, les suiveurs, les sceptiques, les contrôleurs ?

Voila un bon sujet pour démarrer l'année et "vendre" mes projets.

C'est le sujet de ma chronique du mois sur "Envie d'Entreprendre", en ligne ICI.

Laissez-vous convaincre, cela vous aidera à convaincre les autres.

Années 20, années folles : Bonne année à tous mes fidèles lecteurs !

2020, d'autres posts de blogs à venir ...


La preuve par dix

DixLe changement d'année, et le début d'une nouvelle décennie, c'est l'occasion pour certains de faire le bilan des dix années passées, et de se projeter dans les dix années à venir. On va faire les "Ambitions 2030" dans les entreprises visionnaires.

Mais on peut aussi considérer que nous sommes dans un état permanent d'incertitude qui nous oblige à apprendre à vivre et à manager différemment.

Ginevra Bompiani, écrivaine et éditrice italienne, porte son regard dans Le Monde du 29 décembre pour rappeler combien les phénomènes exceptionnels se sont multipliés au cours des dix dernières années. 

2010, c'est le tremblement de terre en Haïti, avec plus de 200.000 morts; et d'autres tremblements de terre, et tsunamis se sont multipliés (dont en 2018 en Indonésie avec plus de 2000 morts). L'auteure cite aussi les tornades et les cyclones. Autres phénomènes d'exception connus au cours de ces dix ans : les attaques terroristes, et ce pilote allemand, en 2015, qui lance son avion contre une montagne  et se tue avec 150 passagers. Autre phénomène d'exception qui touche directement l'Italie, le pays de l'auteure, les afflux de migrants qui, cherchant à rejoindre l'Italie, font naufrage (tel ce bateau au large de Lampedusa en 2013, sur lequel plus de 300 personnes trouvent la mort dans un incendie). Pour compléter le tableau, on se souviendra aussi des exterminations permanentes, comme celle des Rohingas ou des kurdes, et des effets des guerres en Afrique et au Moyen-Orient. 

Nous ne pouvons pas prévoir tous ces phénomènes, mais nous nous persuadons que nous en connaîtrons encore dans les dix ans à venir, et peut-être même de plus en plus. Comme si nous apprenions à vivre dans "un état d'exception", comme un état d'urgence permanent. Et qui conduit à vivre, selon les mots de Ginevra Bompiani, dans un "état d'âme d'exception", qui a une influence sur notre humeur, qui devient " apeurée, méfiante, crédule, rageuse, angoissée, mal assurée. Nous avons peur de tout, nous nous méfions de tout, nous nous laissons duper à propos de tout". D'où le besoin fort, adressé aux politiques partout dans le monde : l'exigence de sécurité. Alors que, bien sûr, personne n'est capable de garantir la sécurité, pas même, rappelle l'auteure, "la mère qui berce son enfant". En complément de ce besoin de sécurité, un autre besoin fort : le changement. Mais une forme particulière de changement, qui correspond, " comme pour ces voyageurs sur un pont branlant, à la volonté de ne plus être sur le pont branlant sans avoir à le traverser". C'est un changement qui n'est pas tourné vers le futur, mais vers le passé, pour recommencer à être bercé et protégé des étrangers menaçants ou des dommages du temps. Pas facile, dans ces conditions, d'accueillir le changement, le vrai, celui qui attend à la porte de notre monde, avec bienveillance.

Un autre phénomène de peur, caractéristique de notre décennie, est mis en évidence par Olivier Babeau, Président du Think Tank "Sapiens", dans un article du Figaro du 30 décembre. C'est cette préoccupation environnementale qui prend aujourd'hui la forme d'un souci constant de minimiser "l'empreinte" de l'humain. Alors que dans l'Histoire, l'homme, depuis l'Antiquité, a cherché à marquer de son empreinte le monde, en bâtissant des cathédrales et des pyramides, aujourd'hui c'est l'inverse qu'il est bon de louer. Le nouveau culte est celui de la nature, culte que Olivier Babeau qualifie de naïf, car, comme il le fait remarquer, " il ignore que tant de choses dans notre environnement ont déjà été façonnées par des milliers d'années d'efforts humains: les paysages, les fruits (qui n'existaient pas à l'état naturel sous leur forme actuelle), les animaux (les chiens sont des loups sélectionnés)...Le culte de Mère nature veut aussi ignorer tout ce que notre bien-être actuel doit à des milliers d'années d'effort pour contrecarrer la nature et s'abstraire de ses nécessités". 

S'il est vrai que notre Terre a été complètement façonnée et transformée par l'homme (Laurent Testot, dans son livre "cataclysmes", en fait un impressionnant récit sur trois millions d'années), aujourd'hui, le nouveau grand projet, dénoncé par Olivier Babeau, c'est de faire disparaître la marque de l'homme sur la nature. comme il note avec un peu d'ironie, " "L'homme serait une sorte de virus sur terre, et toute trace humaine une forme une forme de dépravation de la nature. Même les traces de pas sur la neige d'une montagne sont ainsi vécues comme une forme d'agression". 

Conclusion naturelle de cette attitude, l'homme du XXIème siècle ne souhaiterait plus alors être conquérant de rien. Au point que "Un bon citoyen, à la limite, est un citoyen mort qui n'encombre plus l'atmosphère avec sa respiration". 

Cela peut nous poser question sur l'avenir de notre civilisation : " que peut-il advenir d'une civilisation qui ne voit aucun objectif  plus digne que de s'abolir ? Quelle force peut-il rester à une société qui rêve de s'éteindre en silence ? ". Cette attitude est plutôt celle de l'Occident, alors que d'autres pays, plus à l'Est, "décidés à marquer la terre de leur sceau se feront un plaisir de nous aider à réaliser notre souhait". 

Bon, pour tromper ces prédictions funestes, ne pas sombrer dans la peur de traverser le pont branlant, tournés vers le passé, ni dans le rêve de s'éteindre en silence, dont nous préviennent ces auteurs, il va nous falloir développer et propager un esprit d'entrepreneur, de rêve de possible, de confiance en l'homme et en son avenir, afin de faire émerger en 2020 et dans la décennie à venir, des projets ambitieux et des réalisations optimistes.

A chacun de tirer les bonnes cartes pour faire la preuve par dix.

A nous de jouer.

Bonne année 2020, et bonne décennie.