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Gestion calculante de l'Etat et raison d'être de l'entreprise libérale

Raison-etreLe gouvernement moderne de la sphère publique tend il  à se régler sur le modèle de l'entreprise ? C'est ce que pense relever Myriam Revault d'Allonnes, philosophe, dans ses écrits, et encore dans une interview du Monde du 17 décembre. 

Elle y fait remarquer que la politique relève de plus en plus de ce qu'elle appelle "une gestion calculante", "venant en lieu et place d'une réflexion à long terme sur les fins ultimes de la société dans laquelle nous voulons vivre". Dans cette vision "calculante", la politique doit être soumise aux mêmes critères que ceux que l'on attribue habituellement à l'entreprise. Dans cette approche, certains en arrivent à croire qu'il n'existe plus de politique idéologique, mais une "bonne gestion", ne souffrant aucune critique, puisque c'est "la bonne gestion", rationnelle. C'est une vision "utilitariste du social"

Pourtant, elle encourage, reprenant une métaphore de Hannah Arendt, à se mettre dans "la brèche du temps", et ainsi à trouver un monde "hors de ses gonds", la force de l'imaginaire étant notre meilleur allié pour imaginer le monde de demain.

Paradoxalement, alors que l'Etat et les politiques s'emmêlent, selon Myriam Revault d'Allonnes, dans la "gestion calculante", correspondant à une conception qu'elle croit être, à tort, la "rationalité néolibérale", en manque d'imaginaire pour explorer le possible, c'est vers l'entreprise libérale d'aujourd'hui, justement, que l'on trouve les réflexions les plus nouvelles pour s'en sortir. Pour cela le rapport de Nicole Notat et Jean-Dominique Senard, sur "l'entreprise, objet d'intérêt collectif" a remis en avant le concept de "Raison d'être" que beaucoup d'entreprises s'approprient aujourd'hui. Le rapport commence par une citation d'Henry Ford, qui date pourtant des années 30, et terriblement actuelle : " L'entreprise doit faire des profits, sinon elle mourra. Mais si l'on tente de faire fonctionner une entreprise uniquement sur le profit, alors elle mourra aussi car elle n'aura plus de raison d'être". 

Cette "raison d'être", c'est la mission dont se dote l'entreprise vis-à-vis des parties prenantes ou de l'environnement. 

Comme le souligne le rapport Notat-Senard, " L'action légitime de l'entreprise ne se réduit alors pas uniquement au respect du cadre légal. C'est également la recherche d'un intérêt collectif à son échelle, à la recherche d'un arbitrage entre les personnes et groupes y prenant part, à la limitation éventuelle de son profit pour ne pas contredire sa raison d'être, pour réaliser une création de valeur plus durable et qui ne se fasse pas aux dépens du patrimoine naturel par exemple".

Cette notion de raison d'être n'est pas nouvelle et correspond à un élément essentiel du management stratégique de nombreuses entreprises, y compris dans le monde anglo-saxon qui parle de "purpose".

Les auteurs soulignent aussi que c'est à l'entreprise de définir sa "raison d'être" : " A la manière d'une devise pour un Etat, la raison d'être pour une entreprise est une indication, qui mérite d'être explicitée, sans pour autant que des effets juridiques précis y soient attachés". Avec l'espoir que la pratique, de plus en plus courante dans nos entreprises, amène une plus grande exigence dans la formulation de ces raisons d'être.

Dans leur rapport, les auteurs proposent même que l'on modifie le code de commerce dans son article L225-35 pour confier aux conseils d'administration la formulation officielle d'une raison d'être visant à éclairer l'intérêt propre de la société et de l'entreprise ainsi que la prise en considération de ses enjeux sociaux et environnementaux. L'article deviendrait alors : "Le conseil d'administration détermine les orientations de l'activité de la société en référence à la raison d'être de l'entreprise, et veille à leur mise en oeuvre, conformément à l'article 1833 du Code Civil,...". (les ajouts sont les mots soulignés).

Et ils ont proposé de compléter l'article 1833 du Code civil : " Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l'intérêt commun des associés. La société doit être gérée dans son intérêt propre, en considérant les enjeux sociaux et environnementaux de son activité".  Cette recommandation a été suivie dans la loi PACTE du gouvernement, en remplaçant néanmoins la formulation "intérêt propre" par "intérêt social". 

Pour aller plus loin dans l'engagement sociétal, le rapport et la loi proposent un nouveau statut d' "entreprise à mission" qui inscrit alors dans les statuts de la société une raison d'être formelle. Mais sans obligation de créer une telle structure.

Cela a déjà été approprié par plusieurs entreprises, dont le Groupe Yves Rocher, qui se donne pour mission de "reconnecter les gens à la nature", ou Danone qui se donne la mission d' " apporter la santé par l'alimentation au plus grand nombre".

Voilà de quoi nous projeter dans l'année 2020 et les suivantes avec optimisme.

Et en souhaitant à l'Etat de passer de la "gestion calculante" à la vision "hors des gonds"


C'est compliqué ?

MetrogreveVoilà l'expression que l'on entend quand les journalistes ou la porte-parole du gouvernement nous parlent des transports publics en ce moment : " c'est compliqué". Oui, c'est compliqué de circuler en train ou en métro dans Paris, c'est sûr. Et pour se rendre sur le lieu de travail quand on ne fait pas de télétravail : " C'est compliqué". 

Jean-Pierre Robin revient dans le Figaro de ce week-end sur cette expression en se référant à l'Académie française.

L'Académie française estime en effet que cette expression "C'est compliqué" est incorrecte et qu'il serait plus juste de parler de "difficile". Plutôt que de dire que "il va être compliqué de skier si la neige n'est pas au rendez-vous", il vaut mieux dire que "il va être difficile de skier". 

Car utiliser l'expression "C'est compliqué" relève d' "une forme d'emphase produite par une volonté d'exagération, mais aussi par un manque de confiance dans les mots". 

Car ce mot "compliqué" exprime aussi, comme le souligne Jean-Pierre Robin, "un immense désarroi dans une conjoncture sociale où tout semble aller à vau-l'eau". 

C'est Albert Camus qui disait que "mal nommer les choses, c'est ajouter à la misère du monde".

Ne devrions-nous pas faire un peu plus attention aux mots que nous employons ?

Difficile ou compliqué? 


Singularitariens

SingularityLe perfectionnement continu des technologies numériques, et en particulier de l’intelligence artificielle, auquel nous assistons depuis le développement de l’internet, a fait émerger un concept original : la singularité.

La singularité, c’est cette période située dans le futur, très proche selon certains observateurs et chercheurs, pendant laquelle le rythme du changement technologique sera si rapide, et ses impacts tellement profonds, que la vie humaine en sera profondément et de manière irréversible, transformée. C’est un moment où l’accélération des technologies sera telle que les humains ne pourront plus l’assimiler et devront trouver de nouveaux modes de coopérations entre l’homme et les machines. C’est comme un point où les humains seront incapables de penser et comprendre suffisamment vite les changements pour rester dans la course.

Ceux qui ont compris et anticipent ce moment et toutes les transformations qu’il va falloir opérer dans nos organisations et dans notre vie elle-même, sont ceux qui s’appellent eux-mêmes les « singularitariens ». Ils ont compris les transformations qui s’annoncent et ont réfléchi à leurs implications pour eux, pour leur vie, et pour la vie de tous.

Le plus célèbre est sûrement Raymond Kurzweil, auteur de nombreux ouvrages sur le sujet, qui a été employé par Google en 2012 et devenu directeur de l’ingénierie pour conduire des projets sur l’apprentissage automatisé et le traitement automatique des langues.

L’idée de départ des singularitariens, c’est que la vitesse de changement de la technologie créée par les humains s’accélère et que la puissance de cette technologie se répand à une vitesse exponentielle. Or la perception de cette croissance exponentielle est difficile pour les humains habitués à voir le monde et son développement dans un mode plutôt linéaire. Avec le mode exponentiel, les technologies commencent leur développement presque imperceptiblement, et explosent ensuite rapidement, sans que l’on ne l’ait anticipé. Car la pensée humaine est extrêmement lente par rapport à la vitesse des machines. Les transactions réalisées par le cerveau humain sont plus lentes de plusieurs millions que les circuits électroniques contemporains. Ce qui rend notre capacité à processer de nouvelles informations très limitée par rapport à la croissance exponentielle des données et bases de données produites par les humains.

La Singularité est ce qui va nous permettre de dépasser ces limites de notre corps et de notre cerveau biologiques, grâce aux machines. Et ainsi de reprendre le pouvoir sur notre destin. Au point d’avoir dans les mains du pouvoir sur notre mortalité. D’ici la fin du XXIème siècle, la part non biologique de notre intelligence, celle aidée ou remplacée par les machines, sera des trillions de trillions plus importante que celle produite par l’intelligence humaine non aidée.

Pour comprendre et vivre en avance de phase ces transformations, le livre de référence de Ray Kurzweil reste «  The singularity is near », pourtant écrit en 2005, il y a 14 ans déjà.

Nous avons eu depuis la création de la « Singularity University » créée en 2008 par Raymond Kurzweil et Peter Diamandis, dont j’avais déjà parlé ici de son ouvrage « Abondance ».

Dans la vision « post-Singularity », on ne verra plus de différence entre l’humain et la machine, ou entre la réalité humaine et la réalité virtuelle. Nous sommes maintenant dans une époque où les humains travaillent avec des technologies de plus en plus avancées, pour eux-mêmes créer des technologies de nouvelle génération. Au point qu’au temps de la Singularité on ne distinguera plus la différence entre l’humain et la technologie. Non pas parce que les humains deviendront des machines, mais parce que les machines se comporteront comme des humains.

Reste à imaginer nos organisations et nos modes de fonctionnement dans cette ère de la singularité.

L’imagination, humaine, est aux commandes.


Qu'est-ce qu'un héros ?

HerosVVoilà une question qui se pose en ce moment.

Le héros est-il celui qui polarise nos joies et nos espoirs, ou nos terreurs et angoisses?

Et la mort du héros est-elle la fin, ou une préparation sacrificielle au retour à la vie?

C'est le sujet de ma chronique philo du mois sur "Envie d'Entreprendre".

C'est ICI.

Même les héros fatigués peuvent y aller...