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Celui qui sauve plus de vies qu’un chirurgien

EmpathieJe reprends cette citation de Tom Peters, qui l’utilise dans ses présentations ainsi que dans son livre, « The Excellence Dividend ». Cette image n’est pas destinée à diminuer toute reconnaissance envers les chirurgiens qui sauvent, bien sûr, de nombreuses vies.

Mais elle parle d’autre chose : du management.

Car on imagine aisément comment un mauvais manager peut causer tellement de mal à une quantités d’employés et de subordonnés tout au long de sa carrière, peut-être des centaines ou des milliers, avec parfois des situations dramatiques. Et cela souvent en toute impunité. Car les collaborateurs découragés, les employés qui n’ont pas pu révéler complètement leur potentiel, même s’ils souffrent parfois, ne vont pas toujours se plaindre, voire ne le pourront pas. Certains ne s’apercevront même pas du mal qu’ils ont subi. Pour eux, le management, c’est celui de leur chef, ils n’en imaginent pas d’autre. Alors, ils rongent leur frein et plient l’échine. Ils ne connaîtront jamais tout ce qu’un excellent manager leur aurait permis de devenir. Et ils resteront avec ces managers, qui ne sont pas non plus des êtres méchants, pas tous, mais tout simplement qui ne savent pas manager. Ni inspirer leurs collaborateurs. Ils sont parfois eux-mêmes les descendants de mauvais managers qui ne leur ont rien appris non plus.

Alors, forcément, inversement, et c’est le credo de Tom Peters depuis plus de trente ans, le management, l’excellence du management, c’est ce qui permet à un grand nombre d’individus d’accéder à des opportunités de croissance et de développement personnel, comme de passer de l’ombre à la lumière.

Mais c’est quoi exactement ce management excellent ?

Ce manager, c’est un peu comme le réalisateur d’un film. Tom Peters cite le réalisateur Robert Altman, qui disait, lors de la cérémonie de remise d’un Oscar :

« Le rôle d’un réalisateur est de créer un espace où les acteurs et actrices peuvent devenir plus que tout ce qu’ils ont été auparavant, plus que ce qu’ils avaient rêvé de devenir ».

En lisant et relisant cette citation, tout manager prend conscience que rechercher l’excellence dans le management correspond à un véritable effort humaniste. A l’heure des big data et des machines « intelligentes », qui remplacent l’homme dans de nombreuses tâches, voilà un défi qui reste de notre responsabilité. Et qui fait et fera la différence. Tout le reste est finalement, si l’on suit Tom Peters, accessoire.

Le paradoxe, c’est que c’est art du management ne s’apprend pas dans les écoles de commerce et d’ingénieurs, mêmes les plus prestigieuses. Pourtant, au début de leur carrière, les élèves de ces écoles raflent les meilleurs jobs dans les entreprises, ce sont les cadres à potentiels, les consultants juniors que l’on veut embaucher dans les firmes de Conseil. Et puis dix ou quinze après, ou même avant, on va aller chercher les profils de designers, de sociologues, de philosophes, d’anthropologues.

C’est ce qui fait dire que le management est un art libéral, qui n’est pas contraint par une forme d’enseignement scolaire particulier. Tout le monde peut y avoir accès. Mintzberg, un auteur particulièrement influent dans l’enseignement et la Recherche en management, dit même qu’un diplôme en philosophie est la meilleure préparation pour le « business leadership ». Car il est sûrement vrai que les programmes des écoles prestigieuses accordent une part importante aux analyses quantitatives, ce qu’adorent les étudiants. Et ils adorent aussi ensuite, dans leurs premiers jobs, faire des « analyses quantitatives », éplucher les chiffres, convaincus pour certains que plus ils seront calés en analyses et en chiffres, plus ils seront compétents. Pour ce genre d’étudiants et de juniors, tout ce qui s’apparente à du « soft », les aspects humains, les sujets d’organisation, les relations entre les personnes, l’art du contact et de l’empathie, sont des distractions inutiles par rapport à la vraie vie, les chiffres, les « business plans », les calculs.

Oui, mais combien faut-il de temps pour être cet « excellent manager » ?

Tom Peters a un chiffre : 5.

5 décennies ?

5 ans ?

Non, non.

Son chiffre, c’est : 5 minutes !

L’excellence, c’est votre prochaine conversation, votre prochaine réunion, c’est vous taire et écouter, vraiment écouter, c’est de dire « Merci » pour une toute petite chose, c’est la prochaine fois que vous apporterez des fleurs à votre bureau (ou non), c’est votre envie de comprendre ce que font les autres dans les autres départements de votre entreprise (ou non), c’est votre capacité à transformer des moments insignifiants en modèles d’EXCELLENCE.

L’EXCELLENCE n’est pas un but lointain que l’on atteint après des années de pratique, après un parcours professionnel de travail acharné. L’EXCELLENCE est un mode de vie, qui nous inspire jour après jour, minute après minute.

Alors, que faire dans les cinq minutes ?

Pour exprimer mon engagement, que faire dès lundi matin à mon arrivée dans les bureaux de mon entreprise, de mon employeur. Rien de plus simple qu’un sourire. Pas si facile si on a tant de choses à faire, des réunions, des délais à respecter, des engagements. Avec toutes ces choses à faire sur l’agenda, très chargé, on n’a pas trop le temps. Pas facile de prendre le temps de sourire et d’échanger des plaisanteries avec les collègues.

Pourtant ce premier sourire de la journée sera peut être le meilleur investissement vers l’excellence et le management.

Pour Tom Peters, l’attitude du matin est la plus grande décision de notre vie. Surtout pour tous ceux qui veulent être ou devenir des managers « excellents ».

Alors ?

Et si ainsi l’on sauvait plus de vies qu’un chirurgien ?


Robots : le frisson de l'angoisse du futur

RobotsAvec le développement des nouvelles technologies, du monde des « Data », de l’intelligence artificielle, on parle de plus en plus des robots, et il s’en produit chaque jour de nouveaux. On connaît déjà Nao, Paro ou Pepper, qui accueillent les clients, avec plus ou moins de bonheur, dans les magasins ou les hôtels, mais aussi qui sont les compagnons des pensionnaires des maisons de retraites.

C’est une vieille histoire, cette fascination de l’homme pour donner vie à un compagnon artificiel. La littérature et le cinéma ont beaucoup aidé à développer cet objet de fantasmes.

Laurence Devillers, dans son ouvrage « Des robots et des hommes – Mythes, fantasmes et réalité », en retrace l’histoire et en éclaire les perspectives pour le futur, de plus en plus proche. Fascinant.

Déjà, d’où vient ce terme de robot ?

Laurence Devillers nous rappelle qu’il vient du tchèque robota, qui veut dire corvée. C’est l’idée que cette drôle de machine va travailler à notre place. Et donc générer cette peur qu’elle nous remplace. Mais c’est aussi une idée d’inspiration pour les artistes. Ainsi de la légende du sculpteur Pygmalion qui, ne trouvant pas de femme à son goût, crée une sculpture à l’image de la femme désirée. Et, Aphrodite ayant donné vie à cette sculpture, voilà notre sculpteur qui tombe amoureux de sa création. C’est le mythe classique de l’imitation de la nature par la technique, montrant la part de subjectivité dans l’apprentissage.

C’est aussi de ce mythe qu’est née la légende du Golem, née à Prague en 1580 : c’est le nom usuel pour désigner une créature humanoïde créée à partir de matière inerte par une sorte de magicien.

Mais derrière ce mythe, il y a aussi une angoisse, que l’on retrouve encore aujourd’hui avec nos robots contemporains.

Ainsi, le Golem, « embryon » en hébreu, est dans la mystique juive un être artificiel, dépourvu de libre arbitre et incapable de parole, qui est façonné pour assister ou défendre son créateur. Mais voilà, dans ce mythe, le temps passant, le Golem se montre de plus en plus violent dans Prague et terrorise la population. Alors le rabbin Maharal, son créateur, accepte de « désactiver le robot » en échange de l’amélioration de la situation de la communauté juive. Cette légende est une bonne illustration du rôle d’apprenti sorcier que nous pouvons avoir, et le risque de ne plus maîtriser nos créations ou inventions. On a encore ça aujourd’hui lorsque l’on parle de manipulations génétiques, et d’intelligence artificielle, et même avec la PMA et la GPA : la peur d’aller trop loin.

Laurent Testot, dans son récit «  Cataclysmes – Une histoire environnementale de l’humanité » nous donne un nouvel éclairage sur cette histoire de robots. Il raconte comment, dans les années 1815-1816, on assiste à un passage de relais entre la nature et l’humanité : c’est en gros à partir de ce moment que l’homme va devenir le principal agent de transformation du globe. A partir de 1818, l’humanité dans son ensemble va devenir l’agent géologique : c’est à partir de là que la révolution industrielle va initier cette émission massive de gaz à effet de serre d’origine humaine dont on parle tant aujourd’hui. L’humain monte en puissance dans le monde physique, et ça ne va plus s’arrêter.

Ce phénomène de prise de pouvoir par l’homme de la Nature est repris, voire précédé, par la fiction. Laurent Testot rappelle ce concours lancé en 1816 par Percy Shelley, son amante Mary Godwin, plus connue sous son nom ultérieur d’épouse, Mary Shelley, et Lord Byron qui partage avec le couple ses soirées mondaines sur le Lac Léman. Le temps est exécrable, cent trente jours de pluie entre avril et septembre. Le Lac Léman déborde et inonde Genève. Lord Byron s’extasie sur la puissance « tellurique » des tempêtes. Les tableaux de William Turner et d’autres peintres dévoilent des ciels au rouge surnaturels, dont des analyses récentes confirment la fidélité chromatique de leurs œuvres. On attribue cette situation à la grande quantité de matériaux projetés dans la stratosphère par l’explosion du Tambora ( volcan sur l’île indonésienne de Sumbawa) qui désintègre la montagne et la remplace par un cratère de six kilomètres de diamètre et profond de plus d’un kilomètre.

Ce concours est lancé alors que Percy, Mary et Byron débattent de leur obsession de fin du Monde dans leur chalet au-dessus du Lac Léman. Ce concours doit désigner celui qui saura le mieux dépeindre l’horreur entrevue derrière les trombes d’eau incessantes et le froid mordant de cet été 1816 ( la température a chuté de 1 à 7% selon les régions du monde, lors de cet été 1816 et on parlera en Europe de « l’année sans été »). Byron va dépeindre une apocalypse marquée par des journées crépusculaires, des guerres pour la nourriture, et une Terre stérilisée. Percy Shelley, persuadé que la Terre se refroidit, imagine les glaciers progresser et recouvrir la Terre. Mais c’est la jeune Mary Shelley qui va l’emporter avec sa nouvelle : Frankenstein ou le Prométhée moderne.

Cette nouvelle parle d’extinction de l’humanité, alors que la banquise recouvre le monde. Et aussi de la création par le Docteur Frankenstein d’une nouvelle espèce, potentiellement immortelle, animée par l’électricité dérobée à la foudre. C’est un Golem produit, non plus par la matière et la mystique, mais par la science. Alors que le rabbin avait la possibilité de « débrancher le Golem », le Docteur Frankenstein, dévoré par son ambition d’égaler Dieu, n’a pas prévu de coupe-circuit pour sa créature. Sa créature va lui échapper. Elle tente au début de s’intégrer à la population, mais est rejetée en raison de la peur qu’elle inspire. Et elle va donc se mettre à haïr les humains qui l’ostracisent, et en devenir meurtrière. Elle exige ensuite de son créateur qu’il fabrique une compagne pour briser sa solitude. Frankenstein acquiesce, avant de s’apercevoir que cela risque d’entraîner une descendance de sa créature qui supplantera l’humanité d’autant plus facilement que le froid croissant laisse les humains indifférents. Le Docteur détruit alors sa nouvelle création. Il meurt dans un monde glacé, en traquant la chose qu’il a façonnée.

C’est ainsi que Mary Godwin, dans ce récit sur fond de trouble climatique, pose, dès 1816, ce dilemme que nous vivons, et que nos descendants vivront encore plus, face à tous ces androïdes et intelligences artificielles qui pourraient être mieux adaptés que nous, les humains, à un monde altéré.

On retrouve cette histoire dans le roman de Marc Dugain, « Transparence », publié en mai dernier. Elle met en scène, dans un futur proche,  une société du Numérique, baptisée Endless, qui a créé un programme qui consiste à transplanter l’âme humaine dans une enveloppe corporelle artificielle. Ces robots copies conformes des humains seront à même de sauver l’humanité, en se comportant mieux que les humains eux-mêmes, et en étant immortels. La découverte est tellement révolutionnaire que Endless rachète Google. Un roman , bien que pas très bien écrit, qui fait réfléchir. 

Du Golem à Frankenstein, et aux robots modernes et futurs animés par l’intelligence artificielle, on n’a pas fini de projeter nos angoisses de fin de l’humanité dans le futur.