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Culture d'entreprise : une affaire d'émotions partagées

EmotionAJe rencontre parfois ces personnes, des managers ou des consultants, qui croient se donner pour mission de « changer la culture de l’entreprise ». Cela part souvent d’un bon sentiment a priori : la culture à changer c’est celle de l’entreprise qui ne prend pas assez de risques, qui ne se transforme pas assez vite. Et ce que l’on aimerait c’est insuffler ce fameux « esprit start-up », une « dynamique du changement », etc. Ouais.

Mais ce n’est pas si simple cette histoire de culture.

Marylène Delbourg-Delphis est l’auteur de « Tout le monde veut aimer son travail », avec le sous-titre « Vers une culture partagée ». Et c’est ce « partage » qui fait toute la différence. Car la culture, comme le rappelle Marylène Delbourg-Delphis, n’est pas réduite à une collection de composantes. C’est plutôt une combinaison d’éléments qui interagissent.

Historiquement, quand on parlait de la culture des grandes entreprises du siècle dernier, elle faisait partie intégrante de leur modèle d’organisation. On entrait dans ces entreprises comme on entrait en religion, avec une vision assez stable du monde. On pense à la « culture Michelin », la « culture Valéo », la culture « Procter », etc. A chaque évocation, une image surgit. Performance, excellence, marketing, paternalisme. La culture était ainsi un « fait social », c’est-à-dire un état des choses dont « la cause déterminante doit être cherchée parmi les faits sociaux antécédents, et non parmi les états de conscience individuels » (Emile Durkheim – Les règles de la méthode sociologique). Ce fait social était collectif, avec des règles contraignantes imposées, mais acceptées.

Ce modèle industriel a été remplacé, depuis déjà plusieurs années, par un modèle d’économie de services, avec des comportements beaucoup plus individués. Ce qui compte aujourd’hui, c’est le mode collaboratif et l’« empowerment » des collaborateurs. Et ainsi, dans ce « contrat psychologique » entre l’employé et l’employeur, ce qui peut être considéré comme la « culture d’entreprise » par le management n’est pas forcément la culture de l’entreprise telle que perçue par les employés. C’est pourquoi, même si l’entreprise se décarcasse à afficher ses valeurs et professions de foi, pour bien marquer ce qu’elle veut appeler sa « culture », la vraie culture, c’est celle que vivent et font les employés. La culture n’est plus un « ensemble de manières d’agir auxquelles on souscrit » en devenant employé, mais la façon dont cet ensemble est transformé dans la conscience individuelle des employés. Cette nouvelle forme de culture n’est plus une scène neutre sur laquelle les employés délivrent un performance, mais « ce qui est en train de se produire parce que les participants font des choses ensemble ». Dans la définition de Marylène Delbourg-Delphis, la culture se mesure d’abord par la manière dont elle est vécue par chaque employé et par tous les employés, « dans un environnement qui encourage des liens multidimensionnels entre les employés et leur entreprise et entre les employés ». Cela ne se mesure pas en demandant aux employés de répondre à des questionnaires (vieille habitude de l’ancien monde, encore en vigueur chez les retardataires), mais en analysant les émotions, pour déterminer si les employés ont une énergie positive, ou passent trop de temps dans un état émotionnel désagréable.

C’est aussi lié au niveau de confiance entre les employés et avec l’entreprise. Par exemple, Marylène Delbourg-Delphis nous propose de faire des mesures régulières par des check-ins des employés d’environ deux minutes, deux fois par jour, pendant une à deux semaines, afin de déclarer leur activité principale et comment était leurs émotions dans la dernière demi-heure (heureux, frustré, confiant, anxieux, valorisé, ennuyé, stressé, fatigué, aime ce que je fais). Ils notent ainsi chaque émotion sur une échelle de 1 à 10. Sur cette base est alors calculé le Net Affect des employés, individuel et globalement : c’est la moyenne des émotions positives, diminuée de la moyenne des émotions négatives. On peut aussi calculer l’U-index : la proportion de temps où un individu se trouve dans un état affectivement déplaisant (la lettre U signifie Unpleasant).

Alors, pour tous les apprentis sorciers qui veulent « changer la culture », voilà de quoi commencer par parler des émotions et des employés avant de refaire les affiches sur les valeurs.

NOTA : Marylène Delbourg-Delphis sera mon invitée lors de ma prochaine conférence PMP au collège des Bernardins, sur " Quel est le rôle de la sérendipité dans la stratégie et le management ?", le 16 janvier. Me contacter pour invitation. 

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