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Quand les grands Groupes jouent à la start-up

StartupAujourd’hui, quand vous parlez avec un dirigeant ou manager de grand Groupe, le truc qui revient est : on veut se comporter et adopter des méthodes de management qui sont celles des start-up. Cela parle d’agilité, de disruption, d’être « open ». Ce n’est pas toujours très clair sur le « comment », mais bon, on sent bien qu’une nouvelle forme de complexe se développe : être un grand Groupe, cela veut dire risquer d’être ringard. Alors on veut se rajeunir. La cure de « start-up », c’est comme le Botox pour les vieilles stars.

Un exemple cette semaine rapporté par Vincent Fagot pour Le Monde (daté du 27-28 janvier) : Thalès.

Le Groupe a ainsi créé des « digital factories » (il en a déjà trois) pour « repenser ses méthodes de travail en adoptant les usages des start-up ».

Le truc, c’est de conduire chaque projet par une équipe réduite, une « squad », d’une dizaine de personnes qui bénéficie de la plus grande liberté. Car il faut aller vite, et la meilleure méthode c’est que « l’autonomie est plus importante que le contrôle ».

Le sujet pour Thalès, c’est aussi d’attirer les talents et jeunes ingénieurs pour venir travailler chez lui. Comme le dit Patrick Caine, PDG de Thalès, « Aujourd’hui, beaucoup d’étudiants sortant de Polytechnique ne s’engagent plus vers les carrières classiques que l’on connaissait auparavant. De plus en plus s’orientent vers l’entreprenariat ».

Perfide, Vincent Fagot fait remarquer que cette expérience des « digital factories », dont la plus grande partie est située à Paris, compte à peine 250 employés, pour un groupe dont l’effectif total atteint 65.000 personnes. Patrick Caine, le PDG, avoue alors : «  Ce qui m’empêche de dormir, c’est qu’on loupe un jour un virage technologique. On s’organise de manière à être paranoïaques parce qu’il n’y a que les paranoïaques qui survivent ».

Les technologies sur lesquelles Thalès accélèrent sont : la connectivité et l’internet des objets, l’analyse des données massives, l’intelligence artificielle, la cybersécurité. 7 milliards d’euros ont été investis depuis 2006.

On comprend aussi, à lire l’article, que «  la rentabilité n’est pas encore au rendez-vous » pour ces « digital factories ».

Mais le plus important, pour le PDG Patrice Caine, c’est que cette initiative de « digital factories » a été « le déclencheur d’une transformation profonde du groupe, qui va prendre le temps mais nous permet d’accélérer très vite ».

L’accélération, le « très vite », voilà le nouveau credo des grands groupes. Mais comment passer de 250 collaborateurs à 65.000 ? voilà encore un challenge à relever.


Abondance : Qui va gagner ?

AbondanceAvec la quatrième révolution industrielle, et la montée en puissance des nouvelles technologies, nous sommes en train de changer de monde.

Les modèles d’entreprises traditionnels étaient en général construits sur la rareté : la valeur provenait de la vente d’un service ou d’un produit que les autres n’avaient pas, ou pas aussi bien. C’est la rareté de l’approvisionnement qui apportait la valeur.

Aujourd’hui, ceux qui font l’économie et la croissance, avec les technologies nouvelles, sont ceux qui génèrent une abondance de tout. Une fois que le digital est entré quelque part, immédiatement de plus en plus de monde ont accès au produit ou au service. Et ceux qui se mettent sur cette partie de la chaîne de valeur vont créer la rupture et attirer un volume exponentiel de clients. Cela concerne de plus en plus d’industries qui voient ainsi débarquer des nouvelles entreprises et start-up sur leur terrain de jeu, et croître à des vitesses exponentielles. Ce sont ces entreprises nouvelles qui capturent la nouvelle économie de l’abondance : Quand les produits et services sont accessibles via des moyens digitaux, et n’ont donc plus la restriction des circuits physiques, ils peuvent être produits en abondance à coût marginal zéro.

L’exemple le plus connu de cette bascule est celui de Kodak. Le modèle des photos est passé d’une économie de la rareté (des pellicules de 12, 24 ou 36 photos par rouleau, avec des coûts pour le film et le développement) à un modèle digital de l’abondance où tout le monde a accès à un nombre illimité de photos à pratiquement coût zéro. On est passé de « combien de photos puis-je prendre » au modèle « comment partager mes photos », où le coût n’est plus le problème. C’est comme ça, en passant de l’économie de la rareté à l’économie de l’abondance, qu’est né Instagram, qui a été acquis par Facebook pour 1 milliard de dollars, avec 13 employés, juste au moment où Kodak fermait ses portes.

Cette rupture se rencontre de la même façon dans la musique, les films, la banque, l’assurance. Le vrai challenge que rencontrent toutes ces industries est précisément, dans cette nouvelle économie de l’abondance, de trouver de nouveaux business models qui sont compatibles avec ce nouvel environnement. Et ceux qui les trouvent le plus vite sont, là encore, les nouvelles entreprises et les start-up. C’est comme cela que Airbnb se construit sur l’abondance des chambres disponibles, que Waze tire bénéfice de l’abondance des GPS sur nos téléphones, que « la crème de la crème » parie sur l’abondance des stagiaires qui cherchent des jobs d’étudiants, etc. C’est ce que l’on appelle les « organisations exponentielles », selon l’expression de Salim Ismail dans son livre.

Pendant que ces nouvelles entreprises investissent l’économie de l’abondance, les entreprises traditionnelles en sont encore, la plupart du temps, à se concentrer sur les modèles d’économie de la rareté, avec des modes de management et d’organisation qui sont restés linéaires, et très prédictifs (le futur ressemblera au passé que l’on a connu). Et elles se font doucement bousculer par les nouvelles, qui capturent la relation client, et réduisent les entreprises traditionnelles à des fournisseurs d'infrastructures pour les clients des start-up. C'est le modèle Booking, et de nombreux autres, vis-à-vis des hôteliers. C'est comme ça que se développe ManoMano.fr, en bousculant la distribution de produits de bricolage, d'abord pour les particuliers, et ensuite pour les professionnels, venant perturber, un tout petit peu, puis un peu plus,  les chaînes traditionnelles de distribution. 

Pourtant, de plus en plus de ces entreprises traditionnelles veulent s’inspirer aussi des jeunes, ou moins jeunes, entreprises exponentielles, pour plonger, elles-aussi, dans l’économie de l’abondance. Elles créent des plateformes, revoient leur modèle de distribution, mais doivent aussi rendre plus décentralisé et plus flexible leur management. Et laisser s'exprimer les énergies créatives et l'intelligence collective de leurs collaborateurs, afin d'intégrer les nouvelles technologies (Intelligence Artificielle, Blockchain, objets connectés, réalité virtuelle, ...).  Cela ne se fait pas en un jour.

Les transformations ne font que commencer, et ce sont les entrepreneurs qui vont nous montrer la route.

C’est le moment de créer les lieux et les occasions pour ces rencontres.


Incompétent et habile

IncompetenceIl est toujours d'accord avec tout le monde, il ne prend pas de décision, il dispose de "routines défensives", c'est à dire des actions ou procédures qui permettent d'éviter toute surprise, embarras ou contrainte, et d'éviter ainsi de traiter toute situation un peu chaude de manière directe. 

Quand ce type de personnes prospère parmi les managers de l'entreprise, c'est le chaos assuré, et la garantie que l'entreprise ne va pas apprendre beaucoup, et probablement s'immuniser contre tout projet de transformation ou de changement.

On les appelle les "incompétents habiles", ces managers qui, finalement ne font presque rien à part parler et discourir en réunion.

C'est le sujet de ma chronique du mois sur "Envie d'entreprendre".

C'est ici 


Culture d'entreprise : une affaire d'émotions partagées

EmotionAJe rencontre parfois ces personnes, des managers ou des consultants, qui croient se donner pour mission de « changer la culture de l’entreprise ». Cela part souvent d’un bon sentiment a priori : la culture à changer c’est celle de l’entreprise qui ne prend pas assez de risques, qui ne se transforme pas assez vite. Et ce que l’on aimerait c’est insuffler ce fameux « esprit start-up », une « dynamique du changement », etc. Ouais.

Mais ce n’est pas si simple cette histoire de culture.

Marylène Delbourg-Delphis est l’auteur de « Tout le monde veut aimer son travail », avec le sous-titre « Vers une culture partagée ». Et c’est ce « partage » qui fait toute la différence. Car la culture, comme le rappelle Marylène Delbourg-Delphis, n’est pas réduite à une collection de composantes. C’est plutôt une combinaison d’éléments qui interagissent.

Historiquement, quand on parlait de la culture des grandes entreprises du siècle dernier, elle faisait partie intégrante de leur modèle d’organisation. On entrait dans ces entreprises comme on entrait en religion, avec une vision assez stable du monde. On pense à la « culture Michelin », la « culture Valéo », la culture « Procter », etc. A chaque évocation, une image surgit. Performance, excellence, marketing, paternalisme. La culture était ainsi un « fait social », c’est-à-dire un état des choses dont « la cause déterminante doit être cherchée parmi les faits sociaux antécédents, et non parmi les états de conscience individuels » (Emile Durkheim – Les règles de la méthode sociologique). Ce fait social était collectif, avec des règles contraignantes imposées, mais acceptées.

Ce modèle industriel a été remplacé, depuis déjà plusieurs années, par un modèle d’économie de services, avec des comportements beaucoup plus individués. Ce qui compte aujourd’hui, c’est le mode collaboratif et l’« empowerment » des collaborateurs. Et ainsi, dans ce « contrat psychologique » entre l’employé et l’employeur, ce qui peut être considéré comme la « culture d’entreprise » par le management n’est pas forcément la culture de l’entreprise telle que perçue par les employés. C’est pourquoi, même si l’entreprise se décarcasse à afficher ses valeurs et professions de foi, pour bien marquer ce qu’elle veut appeler sa « culture », la vraie culture, c’est celle que vivent et font les employés. La culture n’est plus un « ensemble de manières d’agir auxquelles on souscrit » en devenant employé, mais la façon dont cet ensemble est transformé dans la conscience individuelle des employés. Cette nouvelle forme de culture n’est plus une scène neutre sur laquelle les employés délivrent un performance, mais « ce qui est en train de se produire parce que les participants font des choses ensemble ». Dans la définition de Marylène Delbourg-Delphis, la culture se mesure d’abord par la manière dont elle est vécue par chaque employé et par tous les employés, « dans un environnement qui encourage des liens multidimensionnels entre les employés et leur entreprise et entre les employés ». Cela ne se mesure pas en demandant aux employés de répondre à des questionnaires (vieille habitude de l’ancien monde, encore en vigueur chez les retardataires), mais en analysant les émotions, pour déterminer si les employés ont une énergie positive, ou passent trop de temps dans un état émotionnel désagréable.

C’est aussi lié au niveau de confiance entre les employés et avec l’entreprise. Par exemple, Marylène Delbourg-Delphis nous propose de faire des mesures régulières par des check-ins des employés d’environ deux minutes, deux fois par jour, pendant une à deux semaines, afin de déclarer leur activité principale et comment était leurs émotions dans la dernière demi-heure (heureux, frustré, confiant, anxieux, valorisé, ennuyé, stressé, fatigué, aime ce que je fais). Ils notent ainsi chaque émotion sur une échelle de 1 à 10. Sur cette base est alors calculé le Net Affect des employés, individuel et globalement : c’est la moyenne des émotions positives, diminuée de la moyenne des émotions négatives. On peut aussi calculer l’U-index : la proportion de temps où un individu se trouve dans un état affectivement déplaisant (la lettre U signifie Unpleasant).

Alors, pour tous les apprentis sorciers qui veulent « changer la culture », voilà de quoi commencer par parler des émotions et des employés avant de refaire les affiches sur les valeurs.

NOTA : Marylène Delbourg-Delphis sera mon invitée lors de ma prochaine conférence PMP au collège des Bernardins, sur " Quel est le rôle de la sérendipité dans la stratégie et le management ?", le 16 janvier. Me contacter pour invitation.