Tu me trouves trop grosse ?
20 mai 2018
C’est une question qu’elles se posent de plus en plus souvent en ce moment.
Non, ce n’est pas ce que vous croyez.
Celle qui se trouve trop grosse, c’est l’entreprise, surtout…la grande, celle qu’on appelle la grosse. Et c’est la question que se posent ses dirigeants.
Les mots varient un peu. Pour l’un c’est « diminuer le poids de la hiérarchie », considérant que « nos sièges sociaux sont trop lourds, et nous sommes trop lents », « le poids de la structure est trop important ». Pour d’autres, c’est le constat que « sur la refondation du management et des relations sociales, nous ne sommes pas allés assez vite ».
Cela vient aussi de la présence des « start-up » dans le paysage : les grands groupes les voient comme des entreprises agiles, qui inventent plus vite, qui attirent des talents millenials qui ne veulent à aucun prix rejoindre un « grand groupe », qui les font passer pour des ringards. Bien sûr, les dirigeants le disent, « on ne va pas calquer l’organisation du groupe sur celui d’une start-up, mais quand même insuffler un nouveau dynamisme ». au point de nommer au Comex un nouvel animal, « Directeur de la Transformation « .
Un nouveau mot vient titiller les dirigeant : Agile. Cela veut dire rendre flexible les organisations. Avec déjà des modèles qui deviennent références, comme Spotify ou Netflix.
Mais comment s’y prendre concrètement ? (Le genre de question perfide que l’on pose à un consultant).
D’abord, d’où vient cette histoire d’ « Agile » ? Du monde du développement de logiciels, et des approches de « Lean start-Up » qui consiste à constituer des équipes de petite taille (c’est Jeff Bezos, CEO d’Amazon qui a inventé ce concept de « deux pizzas » : une équipe doit comprendre le nombre de personnes pour être nourris par deux pizzas, pas plus). Et c’est ainsi que construire une organisation « Agile » a consisté, par extension, à constituer des équipes de petite taille très autonomes dans toute l’entreprise. Le modèle Spotify appelle cela des « tribus ». Ce sont des équipes qui se veulent très entrepreneuriales, très près du client, et qui s’adaptent très vite aux changements. Les bénéfices sont alors une plus grande réactivité, un « Time to Market » plus rapide, une meilleure qualité, le top, quoi. Et les rôles et responsabilités sont aussi différents. Un peu moins de chefs, et de « command & control », et plus de solidarité et d’équipe autonome.
Mais peut-on vraiment reconfigurer tout un groupe avec des centaines, voire des milliers, de telles « tribus » ou « équipes autonomes » sans mettre tout ça dans un gros bazar ? C’est une chose d’expérimenter une telle forme d’équipe pour développer un produit, ou une application, c’en est une autre de tout réorganiser sur ce modèle. C’est pourquoi de nombreuses entreprises se limitent à des expérimentations, avec quelques « tribus » test, mais sans changer le reste. Mais alors comment marche l’ensemble, avec une partie de l’entreprise en équipes « Agile » et le reste en structures plus « traditionnelles » ?
C’est la question que traite Darrell K. Rigby, Jeff Sutherland et Andy Noble, trois consultants et entrepreneurs, dans un article du dernier numéro de HBR (mai-juin 2018). Le titre de l’article : Comment passer de quelques équipes à des centaines ? On y est. Cela me rappelle Dave Gray et son système de « pods » (j’en ai parlé ICI).
L’erreur consisterait à se lancer dans ce genre d’initiative de « déploiement d’équipes Agile » en faisant comme d’habitude dans les grands groupes : en lançant un « plan Top-down » avec des directives et des instructions détaillées par une équipe centrale qui commande le tout.
Non, pour rendre possible le déploiement, c’est l’équipe centrale elle-même qui doit se transformer en « Agile ». Cette équipe centrale (le Comex, par exemple) doit changer son point de vue et considérer toutes les composantes de l’organisation comme des « clients ». L’équipe « Agile centrale » va alors comporter un « initiative owner » (comme un product owner), responsable des résultats, et qui va être comme un « coach » , un « facilitateur », pour toutes les équipes. Il donne les objectifs, mais laisse libre sur les moyens. Son job, c’est d’aider à ce que chacun reste engagé.
Les auteurs citent, à titre d’exemple, une entreprise souvent désignée pour avoir réussi cette approche : Bosch (400.000 employés dans 60 pays). Ayant pris conscience que leur modèle de « top-down management » n’était plus efficace, le Groupe s’est lancé dans la mise en œuvre de méthodes Agile. Sous l’impulsion de son CEO Volkmar Denner, le Groupe a mis en place en 2015 un nouveau mode de gouvernance en remplaçant le « steering committee » par un « working committee ». Ce comité a défini une liste de priorités Groupe, régulièrement mises à jour, et s’est concentré sur la suppression des barrières et le renforcement de l’agilité dans le Groupe. La stratégie n’était plus alors un exercice annuel, mais un process continu. Les membres du Management Board se sont eux-mêmes découpés en petites équipes agiles, avec parfois des « product owners » et des « agile masters », pour s’attaquer à des sujets spécifiques. Par exemple une de ces équipes a entrepris de formaliser les « 10 nouveaux principes de leadership » du Groupe. Ainsi progressivement toutes les unités du Groupe, même si elles ne sont pas toutes découpées en équipes Agile, certaines restant traditionnelles, ont adopté des « valeurs Agile », et collaborent entre elles plus efficacement pour s’adapter aux changements des marchés.
Dans cette approche, l’équipe « leader » qui initie la démarche, n’est pas là pour tout planifier à l’avance, mais elle teste, regarde ce que ça donne et quelles améliorations cela amène, pour ensuite prendre d’autres initiatives. Elle peut continuer à lancer d’autres équipes Agile, ou bien, si cela est nécessaire, faire une pause, et plutôt travailler sur l’amélioration des équipes Agile déjà en place. C’est la démarche typique de « Test and learn » mais appliquée au Groupe tout entier, y compris le Comex. Pour cela les auteurs conseillent de tenir en permanence une sorte de catalogue de toutes les équipes Agile possibles pour le Groupe, et de les lancer au fur et à mesure, en fonction des priorités stratégiques.
Pour savoir si une équipe est prête et légitime pour devenir une équipe Agile, sept questions sont à se poser :
- L’équipe est prête à se concentrer sur une opportunité Business majeure, avec un enjeu fort,
- Elle est responsable d’un livrable spécifique,
- Elle est autonome : elle a le droit de décider, elle comprend les ressources nécessaires, et a la contribution d’experts de multiples disciplines, tous passionnés par l’opportunité,
- Elle est engagée à appliquer les « valeurs Agile », les principes et les pratiques correspondantes,
- Collabore étroitement avec les clients,
- Capable de créer des prototypes rapides et de changer de direction rapidement si besoin,
- Est supportée par des senior executives qui aideront à surmonter les obstacles rencontrés et à faire adopter dans le Groupe les travaux de l’équipe.
Cette approche de construction de de déploiement d’équipes et de tribus Agile se fait aussi en retravaillant en continu les valeurs et les principes, mais aussi en réduisant les niveaux de hiérarchie et de contrôle, et en élargissant les critères d’acquisition des talents et de motivation (on a toujours besoin d’experts, mais aussi de l’enthousiasme pour travailler dans équipes collaboratives).
C’est un peu comme une gymnastique.
Alors, ma grosse, on s’y met ?