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Dans le monde des machines à quoi sert l’homme, à part nourrir le chien ?

UsinefuturDepuis qu’il y a des machines se pose la question de la répartition du travail entre l’homme et la machine. Forcément, la machine c’est ce qui nous permet de rendre moins pénible le travail, et d’aller plus vite, grâce aux outils.

Avec l’ordinateur, on a parlé d’ « automatisation » des tâches. Vieille histoire. Dans les années 90, James Champy et Michael Hammer avaient popularisé le concept de «  Business Process Reengineering ». En gros, cela consistait à dire que l’activité des entreprises ne devaient pas s’analyser en observant les tâches par service, mais en prenant en compte tout le processus transversal (de la commande du client à la livraison). Le livre s’est vendu à 2 millions d’exemplaires, et a fait le bonheur de toute une floppée de consultants.

Après cette vague de reengineering et de mise en place des fameux ERP (progiciels intégrés), voilà le web (en 1989). Avec lui les processus se sont étendus au-delà des entreprises, jusqu’au consommateur. Ce qui est devenu le « e-commerce ».

Tout ça pose alors la question : que font alors les humains une fois tous ces processus automatisés ?

Pour les auteurs Champy et Hammer, la réponse était évidente : les ordinateurs allaient faire les tâches de routine, et les humains pourraient gagner en autonomie et se concentrer sur tout ce qui demande du jugement, de l’intuition. On appelle ça le « partenariat standard » : les humains développent leur intuition et leur jugement, et prennent les décisions intelligentes, et on laisse aux machines les calculs et la comptabilité.

Mais voilà, cette croyance est fausse aujourd’hui si l’on en croit les auteurs Erik Brynjolfsson et Andrew McAfee, qui dans leur livre « Des machines, des plateformes et des foules » (passionnant) nous disent l’urgence à imaginer de nouvelles formes de coopérations entre les machines et le cerveau humain, qui n’ont plus rien à voir avec cette croyance.

Car les études montrent aujourd’hui que le jugement humain est souvent battu par les analyses des machines par les données. Les auteurs en fournissent de nombreux exemples convaincants.

Surtout que cette histoire d’intuition et de jugement par les hommes intelligents souffre d’un mode de décision très répandu dans les entreprises, et mis en évidence par deux analystes de données travaillant chez Intuit et Microsoft, Avinash Kaushik et Ronny Kohavi, qui l’on appelé HIPPO.

HIPPO cela veut dire « Highest-paid person’s opinion » (opinion de la personne la mieux payée). On l’a compris : dans la décision, dans un Groupe ou un Comité de Direction, c’est l’intuition du chef qui sera considérée comme la meilleure. Et même si ce n’est pas le chef, il y a toujours un leader, au charisme plus fort, qui va emporter l’adhésion des autres. Rien de très scientifique là-dedans. Et cette méthode HIPPO détruit souvent de la valeur, faisant prendre des décisions au feeling et non les plus appropriées. C’est pourquoi, maintenant, la méthode HIPPO cède la place aux algorithmes. Grâce à la numérisation de plus en plus d’informations, nous disposons de masses de données qui permettent ainsi d’améliorer la prise de décision. C’est comme ça que se développent les agences de communication pour cibler les publicités, et même les militants politiques pour convaincre quartier par quartier les électeurs.

Mais alors dans ce monde que vont faire les humains ? Un blague célèbre attribuée à Warren Bernis indique que dans l’usine du futur il n’y aura plus que deux employés, un humain et un chien. Le travail du premier sera de nourrir le second, et celui du second d’empêcher le premier de toucher aux machines.

Peut-être que cette vision est un peu pessimiste.

Cependant, il va falloir changer complètement notre mode d’intervention. Les auteurs appellent ça le « partenariat inversé » : Au lieu d’aider l’homme à réfléchir grâce aux machines (le « partenariat standard »), il va falloir faire l’inverse. Au lieu d’alimenter l’homme avec des données, on va alimenter l’algorithme avec du jugement humain. C’est comme ça que fonctionne le recrutement chez Google : ils ont conçu un système d’entretiens structuré, avec des questions normées, qui permet aux recruteurs de poser les mêmes questions pour tester les capacités, notamment cognitives, et ainsi de donner une note chiffrée aux candidats.

Bon, d’accord, mais il va rester quelque chose pour les humains, on s’en doute : l’innovation, la créativité, l’art. Evident, non ? Là, la machine ne pourra rien…

Et bien non. Les robots maintenant écrivent des séries télé, composent de la musique, réalisent des œuvres d’art (voir l’exposition en ce moment au Grand Palais).

Alors, les humains, on va faire quoi finalement ?

Toute la question, c’est comment faire coopérer les machines et les esprits des humains. On en est encore aux expérimentations sur le sujet.

Première façon : les machines en faisant de plus en plus, les hommes vont en faire de moins en moins. Exemple dans l’agriculture, où les machines se conduisent toutes seules, et produisent des cartes avec les rendements. Exemple dans les usines, où les ouvriers n’ont plus besoin d’être des costauds, mais de connaître les chiffres, de résoudre les problèmes en équipe, quand il en restera à résoudre.

Mais il y a une deuxième façon, qui consiste à faire travailler ensemble les robots et les humains. Cela existe déjà dans de nombreuses usines où les tâches sont partagées entre les robots et les humains, ceux-ci étant plus performants en dextérité et avec leur vue. Mais on peut se demander : pour combien de temps ?

In fine ce qui reste aux humains est une capacité que l’on n’a pas avec les machines et les robots : leurs compétences sociales de haut niveau.

En effet, les humains sont d’abord des êtres sociaux qui sont sensibles les uns aux autres. Nous nous préoccupons de la manière dont nous sommes en relation avec les autres.

C’est pourquoi les tâches et emplois qui seront les moins affectés par le progrès technique seront ceux qui exploitent nos instincts sociaux, comme la compassion, la fierté, la gêne, l’envie, la justice, la solidarité. La capacité à faire travailler une équipe ensemble, et à motiver, voilà ce qui constitue aussi le facteur de succès des entreprises. La capacité de travailler utilement avec les états émotionnels et les instincts sociaux des individus va encore rester une capacité humaine.

On en voit bien l’application dans le domaine des soins médicaux, où l’empathie et la compassion font aussi partie du traitement, et complète le diagnostic scientifique.

Même chose avec les coachs, et, oui, les consultants.

A condition qu’ils ne soient pas devenus eux-mêmes des machines qui exercent leur « expertise » un peu..."machinalement". Et ne perdent pas leur intelligence émotionnelle.

Retrouver notre rôle et nos valeurs humaines, voilà un bon programme pour survivre dans un monde de machines, non ?

Les auteurs ont ajouté à leur récit, des séries de questions pour nous faire réfléchir, nous, dans nos entreprises, face au développement de ces technologies.

Elles valent la peine.

Exemples.

Si les processus dans votre entreprise nécessitent beaucoup d’interactions humaines, est-ce parce que vos clients (ou vos employés, vos fournisseurs ou d’autres partenaires) le souhaitent ou parce que vous ne leur offrez pas d’alternative numérique aussi efficace ?

Quels sont, dans votre secteur, les aspects du travail qui ont le plus de probabilité d’être virtualisés d’ici trois à cinq ans ?

Comment le travail physique dans votre organisation est-il divisé entre les humains et les machines ?

Quelle est la part des tâches ennuyeuses et routinières que doivent faire les personnes les plus créatives et innovantes de votre organisation ?

Dans quels domaines de meilleures relations humaines seraient-elles le plus utile à vos résultats et à ceux de votre organisation ?

Quels nouveaux produits ou services pourraient être créés en combinant les capacités nouvelles des machines et une "touche" humaine ?

L’histoire ne dit pas si les réponses seront fournies par un humain ou par une machine.

Mais on peut déjà les introduire dans nos plans stratégiques et nos programmes de transformation. Et en faire un axe de nos démarches d'innovation. 


A quoi ça sert, l'inutile ?

JocondePour réussir, être un bon professionnel, un bon dirigeant, il faut faire des choses utiles, non ? 

L'inutile, c'est pour les fainéants, les incapables, les bons à rien. Ceux qui "glandent".

Vous êtes sûrs? 

Peut-être que l'inutile est ce qui nous permettrait de ne pas voler trop bas, d'inventer, d'innover, ce qui nous empêcherait de nous contenter de n'aimer que les "beautés faciles" (Tocqueville). 

C'est le sujet de ma chronique du mois sur "Envie d'entreprendre". C'est ICI.

Alors, pour  lutter contre la conformité, allez faire cette rencontre inutile; Ne volez pas trop bas !