Previous month:
janvier 2017
Next month:
mars 2017

Tous gardiens de cochons

CochonsVous avez remarqué comme moi que l'on appelle de plus en plus de gens par leur prénom. Et que l'on est soit même désigné par notre prénom, même par des personnes qui ne nous connaissent pas du tout, au premier contact. 

Cette semaine, je le constate encore lors d'une présentation d'une proposition par une équipe à un client potentiel, à des personnes que l'on n'avait jamais vues. A la fin de la réunion, forcément, c'est "Au revoir Elisabeth; Au revoir Hervé". Pour faire sympa; pour aussi se rassurer.

Pour certains, vous devez en connaître comme moi, c'est devenu systématique, surtout lorsqu'ils rencontrent quelqu'un de prestigieux, ou un une personnalité connue. L'appeler par son prénom, même si on ne le connaît pas plus que ça, voire pas du tout, devant un tiers va donner ainsi l'aura d'être un intime de cette personne, pour en mettre plein la vue à ce tiers qui, on l'espère, va faire ainsi rejaillir, par transmission,  l'importance du personnage ainsi désigné vers la personne de celui qui l' a appelé par son prénom. Il est ainsi très chic dans les dîners en ville, de pouvoir parler de François au lieu de François Hollande ou François Fillon (à condition de ne pas se tromper). ça marche bien dans les partis politiques : plus la personnalité est importante, plus on va lui donner du Emmanuel ou du Benoît.

Ça marche aussi dans les milieux professionnels : En appelant Bernard Arnault par son prénom, Bernard, , même si je ne l'ai croisé que deux fois lors d'une conférence, je m'abreuve de l'illusion que je suis de son milieu, des grands dirigeants de groupes comme LVMH, comme un "pote". Cela marche bien chez les consultants aussi; le "surname dropping" encore plus fort que le "name dropping".  

Ce sujet fait l'objet d'un article dans L'Express de cette semaine, rédigé par Anne, Anne Rosencher. Elle nous permet d'aller analyser ce que signifie cette Prénom-mania. Elle appelle ça "la nouvelle tyrannie du prénom".

Pour expliquer cette disparition du nom de famille dans nos relations sociales, Anne cite Jean-Pierre (Le Goff), sociologue, qui considère que cette habitude est symptomatique de notre époque : " L'individu s'insère de moins en moins dans une dimension collective institutionnelle. On ne pense plus les rapports que dans un monde dual- deux individus particuliers interagissant avec une forte dimension psychologique et affective. Le nom de famille, lui, renvoyait à une filiation. Une insertion dans une lignée".

Et cette relation duale est tellement prioritaire qu'elle est aussi le moteur de ceux qui appellent ainsi tout le monde par leur prénom. Alors qu'il suffit de regarder les films du début du siècle dernier pour y voir les personnages s'appeler par leur nom uniquement. A l"époque, c'était le prénom, intime, qui était occulté. On parlait du patron ou du collègue en l'appelant Dubois ou Dupont, et surtout pas Jean-claude ou Bernard. Il y avait d'ailleurs une expression populaire, que l'on n'entend moins ou plus du tout, qui servait de cordon sanitaire à trop de familiarité : "On n'a pas gardé les cochons ensemble".  Cette expression était plutôt celle de personnes de la haute société qui n'acceptaient pas trop de mixité sociale.

Mais aujourd'hui, comme le dit Anne Rosencher dans son article, " Tout le monde semble avoir gardé les porcins ensemble: les animateurs du PAF, les participants aux jeux télévisés, les polémistes, les artistes, les hommes politiques". Alors que dans la société du XIXème siècle les seuls à être appelés par leur prénom étaient les domestiques. Comme la fameuse Mariette chez Balzac. 

Parfois cet usage du prénom sans sommation peut faire réagir. Lors d'une émission politique sur France 2, pendant la primaire de la Droite, Bruno Le Maire se fait reprendre violemment par une syndicaliste cégétiste qu'il avait appelé Ghislaine: " Monsieur Le Maire, je ne permettrais pas de vous appeler par votre prénom. Je vous appelle Monsieur Le Maire; appelez-moi Mme Joachim-Arnaud et pas Ghislaine : nous ne sommes pas amis". Voilà ainsi une demande de respect, et de distance. Mais aussi le signe que la cégétsite aime mieux la filliation que l'individu. Mais observer le regard ébahi de Bruno Monsieur Le Maire est burlesque.

Face à cette évolution, et à l'importance prise par le prénom dans la société et les relations humaines, le prénom devient une étiquette qui renseigne sur la personnalité. Son choix n'est d'ailleurs plis contraint par la loi. Jusqu'en 1993, la règle obligeait les parents à choisir parmi les "noms en usage dans les différents calendriers et ceux des personnages connus de l'histoire ancienne". Une loi de 1993 a aboli tout cela. Les parents sont alors libres de laisser libre court à leur imagination. Et c'est ainsi que certains veulent changer l'étiquette, et sont de plus en plus nombreux. 2500 à 2800 Français obtiennent chaque année l'autorisation de changer de prénom auprès de l'état civil (contre 1500 avant 1993). 80% des demandes proviennent de personnes qui ont au moins un parent né à l'étranger. Le changement est de se séparer de son identité familiale (Samia devient Marie, Mustapha devient Maurice). (Mais il y a d'autres cas : on apprend ainsi dans l'article que Marine Le Pen se prénomme en réalité Marion, et a changé son prénom).

On est dans ce que Jean-pierre Le Goff appelle la "désaffiliation" : l'individu complètement individuel, coupé de toute généalogie, et de l'héritage symbolique de ses parents.

L'homme sans patronyme et au prénom changé pourrait se comparer, selon Anne Rosencher, à un "couteau sans manche dont ne manquerait que la lame". 

Les gardiens de cochons sont de vrais individualistes ! Et nos relations entre prénoms le signe de la force de l'individu. Pas forcément tyrannique, Anne. A condition de ne pas en abuser.


Enclosures : danger ?

EnclosuresOn les appelle les "communs", ou "ressources communes", en référence aux ressources collectives sur lesquelles personne n'a de droit de propriété privée, ni de contrôle exclusif. Ce sont par exemple les pêcheries, les pâturages, les eaux souterraines. Historiquement ces communs ont eu tendance à disparaître, soit en étant récupérés par le marché et la propriété privée, soit en passant sous propriété de l'Etat. On a même parlé de la "tragédie des communs" en évoquant le risque, si personne n'est propriétaire ou responsable, de surexploitation par la collectivité qui aboutirait à menacer ces ressources elles-mêmes (disparition des poissons ou des eaux).

Et c'est pourquoi on a considéré que laisser libre des ressources n'était pas optimum, et que seuls les marchés et l'Etat peuvent bien gérer. Et ainsi, en Angleterre, de la fin du XVIIème siècle au milieu du XIXème siècle, environ un septième de toutes les terres communes d'Angleterre furent découpées et privatisées. Les fondements de l'économie de marché se sont ainsi mis en place. Ce système de privatisation a été appelé les "enclosures". Par les "enclosures" la production n'est plus destinée à un usage domestique dans un cadre social stable, mais réorientée en vue de permettre le gain privé et l'accumulation. Et ainsi les ressources comme la terre, le travail, l'argent ont été redéfinies comme des marchandises que l'on échange sur les marchés, auxquelles on peut affecter un prix, et qui peuvent devenir objets de commerce et de spéculation. 

Ce système des "enclosures" n'est pas propre aux temps anciens. Aujourd'hui encore des pans entiers de l'Afrique, de l'Asie et de l'Amérique Latine, sont en train de vivre ce même phénomène d'accaparement des terres. Des investisseurs et des gouvernements s'approprient des millions d'hectares de terres que les communautés traditionnelles utilisaient depuis des générations. Et cela se développe à grande vitesse. On estime ainsi que 90% des habitants de l'Afrique subsaharienne, soit 500 millions de personnes, ne disposent pas de titres de propriété officiels sur leurs terres et risquent donc ainsi l'éviction. Au niveau mondial 2 milliards de personnes, et 8 milliards et demi d'hectares dépendent de droits d'usage coutumiers.Et quand ils sont dépossédés de leurs terres, les commoneurs ne peuvent plus cultiver et récolter leur propre nourriture, ni collecter leur eau, ni chasser leur gibier. Les communautés sont brisées.

Certains investisseurs Etats interviennent comme de purs spéculateurs, pour engranger des profits avec la hausse du prix des terres. L'Arabie Saoudite a ainsi dépensé un milliard de dollars pour acheter 700.000 hectares de terres en Afrique. L'Inde, la Chine, la Corée, font la même chose.

Alors aujourd'hui certains s'élèvent pour en appeler à une "renaissance des communs". C'est le titre de l'ouvrage de David Bollier, qui est le principal militant de ce mouvement (voir son blog), d'où je tire les éléments ci-dessus. J'avais écouté le plaidoyer de David Bollier dans une conférence au Smart City forum à Barcelone en novembre (j'en parle ICI).

Et le sujet va plus loin que l’accaparement des terres. Il concerne tous les biens qui sont "enclosés" par la propriété ou l'Etat.  

Les "communs" dont parle David Bollier ne vivent pas la "tragédie" évoquée, car les communs ne sont pas seulement des ressources collectives, mais sont aussi un système responsable à long terme des ressources qui préserve les valeurs partagées et l'identité d'une communauté. Au lieu de confier à l'Etat la régulation c'est la communauté elle-même qui établit ses règles et les modes de fonctionnement. Les communs sont donc des ressources + une communauté + des protocoles. Et en développant ces systèmes, on enlève à l'Etat autorité dictatoriale sur les ressources. 

Et si l'on reparle des "communs" et de leur renaissance, c'est que la lutte contre les enclosures par les militants des communs concerne des domaines de plus en plus importants de notre société. L'ouvrage de David Bollier les répertorie bien, chapitre après chapitre. 

Un exemple : l'appropriation des espaces publics. Lorsque des tours ou des centres commerciaux, ou toute installation privée, remplacent des places publiques, nous réduisons notre capacité à nous rencontrer. Il devient plus difficile pour les individus de s'identifier et de parler avec les autres. L"érosion des espaces publics empêche d'être des commoneurs.Mais l'infrastructure la plus importante qui est menacée est bien sur internet. Dans de nombreuses régions du monde des opérateurs privés puissants veulent utiliser leur pouvoir de "porte d'accès" à internet pour censurer ou interdire certains types de trafic. C'est pourquoi s'élèvent de nombreux défenseur de la "neutralité d'internet".

Mais les enclosures s'attaquent aussi au savoir et à la culture. par l'intermédiaire des brevets divers notamment. David Bollier rappelle que la loi a permis à McDonald's de poursuivre des marques comme "McVegan" ou "McSushi", et même de gagner un procès contre "McSleep" pour vol de marque. McDonald's se déclare ainsi le seul propriétaire du suffixe "Mc" dans le monde. Cette tendance concerne aussi des couleurs, des sons. La chaîne américaine NBC a fait enregistrer comme marque déposée les trois notes de carillon "Ding, Ding, Ding".Parmi les formes de lutte contre les enclosures du savoir et de la culture on peut citer le développement des logiciels libres, open source, de wikipedia. 

On comprend ainsi combien ces enclosures peuvent aliéner la nature, la culture et les relations sociales, au profit des marchés, mais aussi de l'Etat. Et l'on voit de nombreuses initiatives qui se mettent en place pour lutter contre ce phénomène d'enclosures.

David Bollier en appelle ainsi à trouver, collectivement, nous la société civile, de nouveaux moyens de protéger l'intégrité des communs et la richesse qu'ils produisent. Cela peut concerner aussi le gouvernement et le management de nos cités, en permettant l'innovation initiée et expérimentée par les citoyens, en trouvant les moyens de nous protéger contre les enclosures de toutes sortes. Le blog de David nous fournit chaque jour de multiples exemples d'initiatives citoyennes en ce sens.

Ce qui est impressionnant c'est que le développement des communs se fait par des initiatives très décentralisées, partout dans le monde, de manière autoorganisée. Mais ces initiatives commencent à s'interconnecter. Des forums, des lieux d'échanges, se mettent en place. Parfait exemple d'un mouvement qui se déploie sans aucun leadership unifié (c'est ce qui le rend d'ailleurs si fort politiquement).

Avec les "communs", c'est une vision de l'innovation qui émerge, et de nouveaux modèles économiques (ou plutôt la renaissance de modèles économiques).  

Si nous voulons contribuer à ce mouvement David Bollier nous donne un conseil simple et sage : inutile de penser un système théorique des communs. Il vaut mieux accomplir le vrai travail.

Comme il le dit en citant une artiste, Jenny Holzer :

" L'action dérange davantage que la pensée".

De quoi nous inspirer....

 


Au nom de quoi a-t-on le droit de diriger les entreprises ?

EntrepreneursfamilleVoilà une question bien politique.

La réponse a évolué dans le temps.

D'abord au nom du propriétaire fondateur entrepreneur qui a tous les droits, c'était au XIXème siècle...

Et puis on a vu apparaître les managers professionnels, les experts , les professionnels du management qui avaient la compétence.

Oui, mais il y a aussi les parties prenantes, les actionnaires, les investisseurs...

Mais finalement qui a le droit alors?

La réponse dans ma chronique de ce mois-ci sur Envie d'entreprendre, ICI 

Soyez politiques...