Des solutions ou des réponses ?
30 octobre 2016
Peu avant l'élection présidentielle de 2012, j'avais posté cette note. Elle me parait encore d'actualité pour évaluer les candidats de cette nouvelle élection. Je la reposte donc aujourd'hui.
La lecture des réflexions philosophiques de Léo Strauss et de Hannah Arendt, à propos de leur analyse de la "crise de la modernité", au travers de l'ouvrage de Carole Widmaier, me fait rencontrer deux notions que l'on pourrait croire identiques : les Problèmes/Solutions et les Questions/Réponses.
Léo Strauss, constatant la diversité de fait des pensées au cours de l'histoire, recherche ce qui en elles est permanent, pour trouver ce qu'il appelle les problèmes fondamentaux, essentiellement ceux de la nature de la vie bonne et de la nature du meilleur régime. Il invoque ainsi, dans "Droit naturel et histoire" :
"L'histoire paraît prouver que toute pensée humaine, et davantage toute pensée philosophique, se porte toujours aux mêmes problèmes et aux mêmes thèmes fondamentaux, et qu'en conséquence une structure immuable demeure à travers toutes les variations de la connaissance humaine des faits comme des principes.(...). S'il est vrai que les problèmes fondamentaux demeurent à travers toute évolution historique, la pensée humaine est capable de transcender ses limitations historiques ou d'accéder à quelque chose de transhistorique.(...°. A travers le temps, la diversité des théories cache l'identité des problèmes : la raison est le lieu de la permanence, et c'est par elle que la nature humaine transcende l'histoire".
Pour Strauss, pour appréhender cette permanence, il faut remonter des solutions aux problèmes.Dans ce cas, la bonne solution n'est pas celle qui s'adapte à un réel défini historiquement, mais celle qui est vrai de tout temps.Il retrouve la notion philosophique de vérité. Pour lui, la bonne solution n'est pas celle qui a les meilleurs effets dans l'action (pragmatisme), ni celle qui donne le plus à penser (sens), mais qui énonce un bien dont une conception juste du Tout peut résulter.
La démarche de Strauss est donc d'identifier, indépendemment de la situation, les problèmes, et d'en rechercher les solutions qui sont celles qui sont les plus justes au regard d'une attitude philosophique. L'authentique rationalité est celle qui sans cesse retourne aux problèmes fondamentaux et s'emploie à les résoudre.
En recherchant les problèmes, et en apportant les solutions, on impose à la réalité humaine un principe de non-contradiction, jusqu'à vouloir transformer l'homme lui-même. C'est la définition de l'idéologie.
Face à cette approche par les Problèmes/Solutions, la démarche de Arendt est complètement différente.
Pour elle, il n'est pas possible de poser une permanence des problèmes, et encore moins d'envisager l'unicité de leurs solutions. Car penser la permanence du problème et de la bonne solution reviendrait à penser une permanence de la réalité humaine elle-même. Pour Hannah Arendt, devant l’événement, il ne s'agit pas de découvrir des problèmes, mais d'élaborer des questions.La raison exerce sa puissance de questionnement face à l'expérience. Et l’événement en tant que crise impose à la pensée de mettre au jour un rapport de questions/réponses, l'évènement se trouve interrogé. Les questions ne sont pas des problèmes, car elles ne sont pas formulées par la raison seule, mais naissent de l'expérience (Carole Widmaier).
Ainsi la crise, celle qui nous oblige à sortir de nos préjugés (les solutions toutes faites), est l'occasion d'une réactivation des questionnements nés de l'expérience.
C'est pourquoi une crise ne demande pas à être résolue, mais questionnée.
On voit bien ce que ces deux attitudes nous apprennent.
Le désir de trouver les problèmes et les solutions, c'est le désir de remplir, de maîtriser, de couper court à l'incertitude, pour imposer LA solution qui "s'impose".Il ferme, il ne se laisse pas troubler par le monde;
A l'inverse, trouver dans la crise, dans l'évènement, l'occasion d'un questionnement, c'est permettre à la recherche de réponses de faire prendre des risques à la raison. La recherche de réponses à des questionnements ouvre le temps; l'ouverture aux expériences est une ouverture à la temporalité spécifiquement humaine. Cette recherche des questions, qui est toute la démarche philosophique d'Arendt, peut encore nous inspirer aujourd(hui lorsque nous mêmes devons comprendre et agir face au changement et à la crise. (On l'a compris, Carole Widmaier est plus Arendtienne que Straussienne).
Ainsi comprendre ne signifie pas, dans la conception d'Arendt, une démarche dans laquelle on attendrait la fin de l'évènement pour que la raison, qui serait restée seule avec elle-même, donne sa vérité. Non, la compréhension est un processus continu, dynamique, qui questionne, et ne s'arrête jamais.
Alors, face aux questions et à la crise, aux évènements, est-on le straussien qui cherche le problème et apporte les solutions, à coup de certitudes et de benchmarks ?
Ou bien le Arendtien qui questionne,ouvre sur le monde, écoute l'expérience, et cherche les réponses, jamais définitives ?
Finissons avec Carole Widmaier :
"Comprendre ne peut consister à recourir à des notions anciennes dont il faudrait réaffirmer la pertinence : ce processus doit conduire à l'inverse à envisager de nouveaux concepts, à condition qu'ils désignent une réalité d'expérience et non pas une abstraction".
Peut-être aussi une voie pour mieux "comprendre" les positions des candidats pendant la campagne pour les primaires de l'élection présidentielle ? Qui est Straussien ? Qui est Arendtien ?
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