Les sept erreurs du management
25 juin 2016
Jean-Michel Palagos et Julia Maris sont tous deux en binôme pour diriger DCI (Défense Conseil International), une entité entreprise de service pour le Ministère de la Défense, pour accompagner le transfert de savoir-faire militaire français à l'International. Ils sont aussi tous deux anciens du cabinet du ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian. Il viennent de commettre un ouvrage de management que je découvre avec admiration. L'ouvrage part de cet épisode incroyable du projet de système informatique de paye des militaires, dit "projet Louvois", qui a été un échec retentissant : soldes non versés, erreurs de calculs, nécessité de tout recalculer à la main. Impressionnant !
L'ouvrage des deux auteurs n'est pas du tout polémique, et ne dit pas grand chose finalement sur ce qui s'est passé concrètement dans ce projet. Par contre il en tire sept erreurs de management, et de prise de décision, qui deviennent des alertes pour tout manager, que ce soit dans le monde public ou privé. Et ces sept erreurs sont argumentées à l'aide de nombreux exemples tirés de lectures de Harvard Business Review, d'auteurs américains, et d'entreprises américaines. Cela vaut la peine d'y aller voir.
le livre s'appelle : " Diriger en ère de rupture - Brouillard et solitude" avec un illustration de couverture troublante, d'un petit bonhomme entre deux montagnes qui a du mal à trouver l'équilibre...
Le brouillard, c'est celui dans lequel tout dirigeant évolue. On est confronté à l'incertain, rien n'est prévisible. Et la solitude c'est celle du dirigeant qui à un moment ou à un autre doit décider.
Les auteurs militent d'ailleurs pour un modèle de management qu'ils pratiquent chez DCI : le fonctionnement en binôme pour diriger, qu'ils voient comme apportant une meilleure qualité de décision et un surplus d'énergie. Ce n'est pas la partie du livre la plus convaincante, car binôme ou pas, la direction d'entreprise prend aujourd'hui des formes qui recherchent de manière plus globale la mise en oeuvre de l'intelligence collective, la décentralisation, la délégation du management aux niveau du terrain, plutôt que de savoir si le chef est un ou deux.
Par contre, les sept erreurs qui sont décortiquées sont très pertinentes, et on comprend vite que le projet Louvois, et les fonctionnaires du ministère de la Défense, les ont commises toutes les sept !
Erreur 1 : L'aveuglement cognitif : conjurer le risque et l'incertitude - Imaginer qu'il fallait disposer d'un logiciel unique pour les trois armées, voilà le côté rationnel, c'est une évidence. Imaginer les risques et les anticiper, c'est une autre affaire. C'est le syndrome du "cygne noir" de Nassim Nicholas Taieb: Nous avons tendance à surestimer les informations factuelles dont nous disposons, à déformer rétrospectivement les événements, et à entretenir l'illusion de comprendre. En clair, nous nous croyons plus rationnels que nous ne le sommes vraiment.
Erreur 2: L'anarchie des objectifs: Dans le cas de Louvois, on voulait à la fois un système plus simple, mais aussi réorganiser, diminuer les effectifs (petite critique au passage de la RGPP de Sarkozy, Révision Générale des Politiques Publiques). Beaucoup d'objectifs, pas beaucoup de cohérence. Cette idée qu'on veut tout et son contraire. Alors qu'il vaut mieux avoir un objectif mieux défini.
Erreur 3: L'action à contretemps: C'est le sens du timing. Dans le cas de Louvois, c'est cet antagonisme entre le temps politique ( il faut annoncer des résultats rapides) et le temps technique (il faut du temps et les réalisations sont longues à bâtir pour être opérationnelles). Savoir trouver le bon tempo, ce n'est en effet pas si facile.
Erreur 4: La tentation du management participatif: Les auteurs considèrent que cela dilue les responsabilités, et qu'il faut malgré tout un leader et un chef pour décider, et non un système trop participatif. Avec Louvois, on comprend que c'était le système parfait où personne n'était responsable de rien, vus les nombreux intervenants. La question c'est celle des responsabilités, et du qui. Comme dit un adage, " One neck to grab" (un cou à serrer).
Erreur 5: L'illusion technophile: C'est cette illusion qui abdique l'entendement humain, qui fait trop confiance à la technologie. Là encore Louvois a l'air d'un bon modèle, car ce n'est pas la technologie elle-même qui a été mauvaise, mais la gouvernance des données elles-mêmes qui a été défaillante.
Erreur 6 : L'orgueil des "têtes bien pleines": C'est cette croyance que l'erreur est interdite ( Failure is not an option). Les auteurs, eux-mêmes issus du même système scolaire d'élite, reconnaissent que nos dirigeants français n'ont presque jamais connus l'échec, issus de grands corps et ayant effectué des études brillantes. Ils font donc complètement l'impasse sur les vertus heuristiques de l'erreur. Ils sont dans l'image du "bon élève" qui ne se trompe jamais, qui applique à la lettre les règles établies. Ce refus de l'erreur provoque alors des attitudes néfastes, telles que la dissimulation, la créativité bridée, les mécanismes de routine et de défense, les difficultés à détecter à temps les potentiels désastres, et aussi le manque de franchise. Tout ça a caractérisé l'affaire Louvois.
Erreur 7: Le dogme de l'absence d'alternative: C'est la phrase de Margaret Thatcher, "There is no alternative ! " (TINA). C'est la posture du décideur qui est tellement sûr de lui qu'il n'est pas besoin d'imaginer un plan B. A l'inverse de toutes les démarches de "Scenario Planning" que citent les auteurs, et dont j'ai déjà parlé, comme ICI. Avec Louvois il n'y avait pas d'alternative, ni de plan B. En fait ne pas avoir de plan B, c'est finalement ne pas avoir non plus de plan A, car à la moindre chose qui ne se passe pas comme prévu, on perd tout.
Toutes ces erreurs, on les identifie bien dans les projets qui dérapent, les décisions qui tournent mal.
Intéressant de lire cet ouvrage entre les affres de la loi El Khomri et la nouvelle du Brexit. Là encore, on a affaire à tous ceux qui croient encore que "il n'y pas d'alternative".
On n'arrête pas de jouer à ce jeu des sept erreurs !
Commentaires