Comment designer une organisation ?
27 février 2016
Il dirige une entité d'un grand Groupe, on pourrait appeler ça une BU (Business Unit), correspondant à un marché.
Son business est en déclin, comme le marché. Il va se transformer profondément. Il anticipe d'ici cinq ans une réduction de l'ordre de 50%. Il va donc falloir configurer une organisation avec beaucoup moins de coûts. Il en est convaincu : il ne s'agira pas de baisser les achats ou de réduire les effectifs, mais de penser une organisation différente. On parle de BBZ (Budget Base Zéro). Il est aussi en train de lire le livre de Frédéric Laloux ( Reinventing Organizations), décidément tendance en ce moment. Il a aussi lu le livre d'Isaac Getz sur l'entreprise libérée. Il a emmené ses managers visiter des modèles d'entreprises "libérées", Poult, Lippi, et d'autres.
Et là, comme beaucoup, il me dit : c'est bien tout ça, mais je ne sais pas très bien comment m'y prendre.
C'est vrai que le design d'une organisation et de ses process est un exercice particulièrement frustrant.Et encore plus, peut-être, lorsqu'il s'agit de l'imaginer plus petite et moins coûteuse. Certains vous diront même que l'organisation n'a pas d'importance; ce qui compte ce sont les relations humaines, les initiatives, les projets, au point de se méfier des organigrammes (comme LUI).
D'autres évoqueront qu'il n'existe pas d'organisation idéale; qu'à chaque stratégie correspond une organisation, à condition d'avoir une stratégie claire. Sinon, comme le dit le chat du Cheshire à Alice au pays des merveilles : " Si tu ne sais pas où tu veux aller, le chemin que tu choisis n'a pas d'importance".
Les plus "experts" vous parleront des structures matricielles, des Business Units, et maintenant des entreprises "auto-gouvernées".
En fait, pour définir la bonne organisation, il ne s'agit pas d'aller chercher les réponses de n'importe quel "expert", mais plutôt de savoir poser les bonnes questions.
Et pour ça, j'aime bien l'ouvrage de Michael Goold et Andrew Campbell, "Designing effective organizations - How to create structured networks", dont j'avais déjà parlé ici, et ici.
Pour construire l'organisation, de nombreux facteurs semblent devoir être à prendre en compte : d'abord la structure, l'allocation des responsabilités et des unités de management, les relations de reporting entre ces unités; c'est le squelette de base. Ensuite les process et les mécanismes qui vont permettre d'interagir, soit par relation hiérarchique en vertical, soit par relations transversales de collaboration. Ensuite il y a le "casting" , les personnes, la culture. Et aussi le nombre de personnes et de compétences dont on aura besoin, en n'oubliant pas les compétences et ressources externes qui vont permettre de construire une "entreprise étendue". On peut facilement s'y perdre.
Les auteurs nous guident en nous proposant ce qu'ils appellent des "tests", c'est à dire des questions permettant de trouver les bons critères.
Ils proposent deux séries de tests : des "fit tests" pour vérifier l'adéquation de l'organisation à la stratégie, aux parties prenantes. Et des "Good design tests" qui sont une synthèse de toutes les questions abordées par la recherche académique pour aborder le sujet d'organisation, et qui sont donc plutôt des choix de celui qui conçoit l'organisation.
Quels sont ces tests ?
Les " Fit tests"
Il y en a quatre :
- L’adaptation aux marchés: Est-ce que le design de l’organisation alloue suffisamment d’attention par le management aux priorités opérationnelles et aux sources d’avantage compétitif dans chacun de ses marchés ?
- L’avantage du Groupe: Est-ce que le design de l’organisation alloue suffisamment d’attention aux sources de valeur ajoutée et aux initiatives stratégiques du Groupe (Corporate Strategy) ;
- Les ressources humaines: Est-ce que le design reflète suffisamment les motivations, les forces et faiblesses, des ressources humaines existantes ?
- Test de faisabilité: Est-ce que le design prend en compte toutes les contraintes qui pourraient empêcher son fonctionnement ?
Et les "Good design tests"
Ils traitent de la recherche du meilleur équilibre entre la spécialisation des postes et fonctions, et la coordination de l’ensemble, qui peut nécessiter plus de polyvalence.
Le sujet est alors de trouver comment regrouper au mieux les responsabilités, y compris par niveau.
Il y a cinq tests :
- Specialist cultures test: est-ce que les unités qui ont des cultures particulières, qui ont besoin d’être différentes de leurs sœurs, sont suffisamment protégées pour ne pas être influencées par une culture dominante qui ne leur conviendrait pas ?
- Difficult links test: Est-ce que le design de l’organisation nécessite de créer des liens particuliers qui ne peuvent pas se faire naturellement transversalement, mais ont besoin d’être structurés formellement ? Ce test permet de reconnaître les liens dans l’organisation qui se font naturellement et spontanément entre les unités, et ceux qui sont plus difficiles. Par exemple, alors que les « best practices » se transmettent naturellement entre les services, le partage de standards industriels et de méthodes est plus compliqué et pourra nécessiter une politique centrale qui les rendra obligatoires. Ce test permet d’identifier toutes les fonctions transverses, de support, qu’il faut créer.
Ces deux tests permettent de poser les questions pour trouver l’équilibre entre la spécialisation et la coordination.
Le test suivant adresse, lui, la question de la délégation : il cherche le meilleur endroit pour déléguer les responsabilités ?
- Redundant hierarchy test: Est-ce toutes les responsabilités confiées aux niveaux hiérarchiques correspondent à un avantage de compétence ou d’expertise ? Dans ce test, l’option par défaut est de décentraliser au maximum. Ceci permet de dimensionner au mieux les fonctions centrales.
Le test suivant concerne le principe de contrôle et d’engagement, qui constitue un challenge : comment maintenir le niveau de contrôle et de maîtrise adéquat tout en maintenant un haut niveau de motivation parmi les équipes.
- Accountability Test: Est-ce que le design de l’organisation facilite un process de contrôle adapté aux responsabilités de chaque unité, et motivant pour les managers de l’unité ? Ce test permet de mettre le focus sur la mise en œuvre d’auto-gouvernance dans les unités, plutôt que de trop les contrôler.
Le dernier test concerne le principe d’innovation et d’adaptation. Il teste la capacité d’adaptation de l’organisation lorsque l’environnement change et devient incertain.
- Flexibility Test: Est-ce que le design de l’organisation permet le développement de nouvelles stratégies, et est assez flexible pour s’adapter aux futurs changements ?
Ces questions, on les connaît toutes. Les test de Michael et Andrew permettent justement de ne rien oublier.
On peut d'ailleurs s'en servir aussi pour tester une organisation existante, comme un petit check-up de santé.
On essaye ?