Pourquoi les meilleurs peuvent-ils tout rater ?
25 décembre 2015
Pour rechercher des sauts de performance, des actions de progrès, on va chercher des "benchmarks", des exemples d'entreprises qui ont réussi et excellent dans une fonction.
Mais on peut aussi s'inspirer de ceux qui ont raté ou failli rater.
En séminaire avec une équipe Projet d'ingénieurs de haut niveau, qui a du mal à fonctionner de façon suffisamment fluide, encombrée de process et de reporting budgétaire, j'évoque un cas exemplaire : celui de l'Airbus A380.
Vous vous souvenez peut-être de cet excellence technologique d'Airbus.
C'est en février 1999 que naît Aérospatiale-Matra par privatisation de l'Aérospatiale. Le but : développer de nouveaux programmes d'avions avec des capitaux publics et privés, offrant une plus grande capacité d'investissement. Ainsi est créée EADS en 2000, avec un principe de parité franco-allemande. Mais en pratique ce sont les allemands qui vont prendre le leadership, en mettant des allemands ex DASA aux postes clés de management. Louis Gallois, un français, prend néanmoins la tête du Groupe EADS.
Toute la difficulté de ce management va apparaître avec le programme de l'A380.
L'A380 est une prouesse technologique, ce qui fait d'ailleurs un peu peur aux ingénieurs qui ont encore le souvenir de la performance technologique d'un précédent , le Concorde, à l'origine de pertes abyssales dans l'exploitation.
L'A380 est un avion trés gros porteur, pouvant accueillir 600 passagers, et 150 tonnes de fret. C'est l'avion le plus silencieux de sa catégorie. Il consomme 20% de carburant en moins que l'A330, car plus léger. Il permet de voler à 900 km/h et a un rayon de 15.400 kms, permettant de relier New-York à Hong-Kong sans escale.
La gestion de projet dans l'aéronautique, et notamment chez Airbus, est considérée comme exemplaire pour toutes les industries. L'aéronautique, c'est du sérieux.
Le budget d'investissement de départ est de 8 milliards d'euros. On finira à ....18 Mds d'€.
Car cette prouesse d'ingénieurs a failli ne jamais aboutir.
La production est partagée entre les sites industriels allemands, à Hambourg, et français, à Toulouse. Toulouse a en charge l'assemblage, et les allemands vont réclamer des tâches plus "nobles" dans l'affaire, et notamment le câblage électrique. C'est un morceau délicat, un vrai challenge : L'A380 est composé de trois millions de pièces détachées. Leur câblage est délicat : Alors qu'il fallait 18 kms de câbles pour un A320, il en faut 350 kms pour un A380.
Or, l'usine de Hambourg rencontre des difficultés dans cette production, mais n'en parle pas (fierté?). Elle cache ces difficultés. L'humain, les petites jalousies, viennent mettre des grains de sable dans la superbe machine.
Une autre des causes des problèmes est aussi que les deux sites n'utilisent pas les mêmes systèmes informatiques, ce qui crée des problèmes d'intégration, qui vont être décisifs. Et puis les ifertés nationales vont aussi contribuer à des manifestations de "nationalisme industriel" qui vont fragiliser la coopération des équipes françaises et allemandes.
Au point que les deux équipes en viennent à s'étriper; chacune accuse l'autre.
Sentant les difficultés et les retards de l'usine de Hambourg, une équipe d'ingénieurs de Toulouse décide de se rendre sur place pour observer les méthodes de câblage des allemands. A son arrivée, on leur interdit de monter dans l'avion, les syndicats se mobilisent pour les bloquer. Les membres de l'équipe vont donc rentrer à Toulouse sans avoir réussi à remplir leur mission.
Le verdict, c'est quand la cabine arrive de Hambourg à Toulouse pour l'assemblage final, en 2006 : Les câbles sont trop courts pour pouvoir être raccordés avec les autres parties de l'avion. Stupeur !
C'est le désarroi. Un nouveau patron de programme est nommé en catastrophe, Rüdiger Fuchs, en juin 2006.
De nombreuses décisions sont prises : harmonisation des systèmes informatiques, envoi d'une équipe commando de 2000 compagnons allemands à Toulouse pour câbler à la main les seize premiers avions concernés, pour essayer de rattraper les retards. Les cadences sont aussi augmentées à Hambourg, pour réduire le délai d'attente des clients.
A partir de 2007, la sérénité revient. Après avoir imaginé de rapatrier toute la production à Toulouse, la Direction réorganise les deux sites. Hambourg reprend confiance. Les avions vont enfin être livrés progressivement.
Mais, comme le dira le management du Groupe à cette époque : " On n'est pas passés loin de la catastrophe ! ".
Ce genre d'histoire nous aide à réfléchir dans d'autres circonstances, et peut aider nos équipes Projet à comprendre avant qu'il ne soit trop tard ce qui les empêche de réussir, et pourrait les mener à l'échec assuré.
Quand tout est prévu, quand les process sont là, quand les experts sont en place, qu'est-ce-qui peut tout faire rater ? Les jalousies, les incompréhensions, le manque de confiance, d'écoute, de respect. Autant de facteurs humains qui peuvent, si on les néglige, nous faire " pas passer loin de la catastrophe".
Voilà un bon thème pour un séminaire d'équipe Projet.
Comment remettre de l'humain pour réussir?
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