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L'utopie des règles

ReglesOn a tendance à souvent critiquer la bureaucratie, pourtant nous en avons de plus en plus, et pas seulement dans les administrations publiques, car cette bureaucratie est tout aussi présente dans les entreprises privées. Comme si nous avions le sentiment qu'opérer dans un cadre de règles et de "process" formalisés, avec des hiérarchies, des rôles, de responsables impersonnels, exerçaient sur nous une sorte d'attrait caché. On invente chaque jour des jobs qui consistent à établir des règles, des contrôles, des interdits, des procédures, et il y en a de plus en plus.

C'est la thèse de David Graeber, dans les essais réunis dans "Bureaucratie". Il est l'inventeur du concept de "Bullshit job" (jobs à la con).

Ce qui est rassurant dans les procédures bureaucratiques, c'est leur impersonnalité, leur côté froid, sans âme : elles sont simples, prévisibles, elles traitent tout le monde de la même façon. Cela nous permet de traiter avec d'autres êtres humains sans se livrer ni besoin d'interpréter. Comme une transaction à un guichet : je peux mettre l'argent demandé sur le comptoir sans avoir à me soucier de ce que pense la caissière. C'est commode et pratique.

Mais David Graeber explore une autre dimension et fait l'hypothèse que l'idée que nous nous faisons de la rationalité, de la justice, et même de la liberté, repose sur ce type de relations impersonnelles caractéristiques de la bureaucratie.

L'origine remonte à loin (Platon, Aristote) : les traditions intellectuelles occidentales ont toujours considéré que les fonctions rationnelles des êtres humains existent pour nous empêcher d'être les victimes de nos bas instincts. Nos pulsions sont bestiales, et nos facultés d'imagination peuvent nous rendre antisociaux. La Raison est donc là pour être la force morale qui tient en respect notre nature inférieure, et l'empêche de conduire au chaos. Puis le concept a évolué : la rationalité devient un instrument, une machine, un moyen de calculer comment atteindre un objectif, de la façon la plus efficace possible, sans que pour autant cet objectif ne soit évalué en termes rationnels. La Raison, c'est alors la meilleure façon d'obtenir ce que nous voulons. 

Dans les deux cas, la rationalité  est extérieure aux désirs et aux passions. Mais dans le premier cas elle  freine les passions, dans le deuxième elle facilite les choses.

Ces deux acceptations de la rationalité restent présentes, selon David Graeber, et c'est là toute l’ambiguïté :

" Parfois la rationalité est un moyen, parfois elle est une fin. Parfois elle n'a rien à vois avec la morale, parfois elle est l'essence même du juste et du bon. Parfois elle est une méthode pour résoudre des problèmes, parfois elle est elle-même la solution de tous les problèmes possibles".

Croire que la rationalité est l'application de la pensée pure, imperméable aux émotions, est une erreur. Les psychologues cognitifs ont montré que la pensée pure séparée des émotions n'existe pas. Un être humain sans émotions serait incapable de penser.

Alors c'est quoi cette histoire de rationalité? N'est ce pas plutôt une forme d'arrogance, où nous allons qualifier d' "irrationnels" ceux qui ne sont pas d'accord avec nous, en indiquant qu'ils n'ont pas simplement tort, mais qu'ils sont cinglés. Ainsi la rationalité se sacralise, devient une vertu politique que l'on n'a pas le droit de contester. D'où le triomphe de la bureaucratie. 

C'est précisément ce que David Graeber appelle "l'utopie des règles". 

La bureaucratie mécanique et impersonnelle crée des "jeux", avec des "règles". Dans presque toutes les situations où nous nous trouvons il y a des "règles". Ces règles ne sont pas toujours explicites mais nous les suivons (d'où cette notion d'"utopie des règles"). Alors que l'on pourrait appeler "jeu" la libre expression des énergies créatrices, l'improvisation même,  "les jeux" de la bureaucratie sont faits de règles. 

D'où en dernière analyse, selon David Graeber :

" L'attrait de la bureaucratie, c'est la peur du jeu".

Nous en arrivons à une idée bureaucratisée de la liberté qui nous entraîne vers le rêve d'un monde où le "libre jeu" est cerné de toutes parts, où toutes les facettes de la vie sont cernées par des "règles". Un monde idéal où chacun connaît les "règles" et respecte "les règles". Fantasme utopique et illusion.

Et c'est ainsi que "la bureaucratie est le moyen principal qu'utilise une infime partie de la population pour extraire la richesse de nous tous". 

Ces situations où la bureaucratie des règles crée ce monde "idéal", on le connaît aussi dans nos entreprises, qui veulent ainsi réglementer la "gestion de projet", le "Programme Management",...

A grande échelle dans la société, en arrive à une situation dans laquelle l'effort pour se libérer du pouvoir arbitraire finit par produire encore plus de pouvoir arbitraire.

Résultat :

" Les réglementations étouffent la vie, des gardes armés et des caméras de surveillance apparaissent partout, la science et la créativité sont étranglées et nous passons tous une part croissante  de nos journées à remplir des formulaires".


Secret de l'excellence : la passion et le rêve

LacTaureauJ'ai déjà parlé ici des séminaires de PMP. Nous étions à Palerme l'année dernière pour y évoquer notre identité. Après Moscou, ou Bilbao entre autres.

Cette année nous étions au Canada, dans la Nouvelle France, le Québec.

Ces séminaires sont "expérientiels" car nous y nourrissons notre réflexion directement à partir des rencontres et expériences que nous y faisons.

Nous étions servis cette année en rencontrant des personnes exaltées et passionnées.

Rencontre à Montréal avec un créateur de start-up, David Côté, qui a créé Crudessence il y a huit ans : Sa passion, son rêve, c'est celui de s'occuper de son corps, d'une alimentation saine. A partir de ce rêve, il a bâti cette entreprise d'aliments bio, de recettes, de restaurants; il fait des formations. Il a envie, comme il nous l' a dit, de "changer le monde". Il ne parle pas de ses produits, il parle de son rêve, son ambition, Les produits sont au service de ce rêve. Grâce à lui nous nous approchions de la nature et de la vie, et de la passion. Et il nous livre les composantes de son secret : de la chance, et s'entourer de bons collaborateurs (son truc, c'est l'intuition pour justement sentir les bons collaborateurs, sans se fier à leur CV ou expertise).Il est tout en humilité et presque surpris d'avoir réussi. Mais aussi tout en volonté : il n'a jamais lâché son rêve, qui continue de le porter.

Direction le lac Taureau, et en forêt,  pour la suite; où nous rencontrons un trappeur, qui nous parle de sa passion pour la trappe des animaux à fourrure; sa conviction de contribuer à l'équilibre écologique de son territoire. Il exerce ce métier comme un sacerdoce, depuis plusieurs décennies. Là encore, la passion, le rêve, l'animent. Il nous communique cette passion des fourrures. On y passe nos doigts. On ressent sa fierté de ce métier, loin des idées reçues. Un métier qu'il transmet, comme un trésor, à ses successeurs.

Là encore, personnage tout en humilité, le feu dans les yeux de l'amour de son métier, mais sans la ramener.

Trappeur

Nous avions pris avec nous le livre de Jim Collins, " Good to Great", (en français, "de la performance à l'excellence"), dont j'ai déjà parlé dans ce blog, notamment ICI. 

Et précisément dans ce livre, Jim Collins nous parle de ce qui fait la différence entre l'entreprise performante (Good) et l'entreprise excellente (Great). J'ai déjà parlé de ça ICI. Mais, là, on avait devant nous des preuves de ces caractéristiques.

La chance à laquelle on croit, la passion, s'entourer de bons collaborateurs, en font partie. Tiens ! C'est ce qu'il appelle le "Leadership de niveau 5" : celui qui est mieux que le chef compétent ou le dirigeant efficace. Le leader "Niveau 5", c'est celui qui édifie une excellence durable grâce à un mélange paradoxal d'humilité sur le plan personnel et de volonté sur le plan professionnel. 

Pour bien nous le faire comprendre Jim Collins utilise la métaphore de la fenêtre et du miroir.

Quand tout va bien les leaders de l'excellence regardent par la fenêtre et attribuent le mérite de leur réussite à d'autres facteurs qu'eux-mêmes (leurs collaborateurs, la chance). Parallèlement ils se tournent vers le miroir pour s'attribuer la responsabilité de ce qui va moins bien, pour en chercher les remèdes, et non en invoquant la malchance. 

A l'inverse, les dirigeants de deuxième niveau font l'inverse : ils cherchent par la fenêtre un responsable à l'extérieur lorsque ça ne va pas, et se regardent dans le miroir pour s'attribuer le mérite de ce qui va bien, en ayant une forte propension au triomphe facile.

DreamcatcherAlors forcément, nous aussi nous avons eu envie de parler de nos rêves, pour chacun, personnel, professionnel, pour notre entreprise PMP. Pour nous inspirer chacun a reçu un "dreamcatcher", un "attrape-rêves", typique de la culture amérindienne du Canada : cet objet permet de capturer les mauvais rêves pour les brûler au soleil, et de conserver les bons rêves pour veiller sur nous. 

Nous avons parlé de nos rêves entre nous, et ainsi développé nos envies de grandeur et d'excellence.

La passion et le rêve, facteurs d'excellence et de dépassement.

Ce qui nous empêche de rêver et d'être passionnés, et ainsi d'atteindre l'excellence, c'est l'Ego : c'est un auteur, canadien justement, Eckart Tolle (notamment "Nouvelle Terre"), qui peut nous le rappeler : les personnes qui s'identifient à la voix dans leur tête, à leur mental, qui disent constamment "Je", "Je pense", toutes ces expressions dans laquelle l'Autre est absent, inexistant, ces personnes risquent d'être consumées par leur Ego. La volonté de faire et d'agir est importante, mais elle doit trouver ses inspirations aussi de l'extérieur, des autres, et non s'enfermer dans l'Ego. L'équilibre n'est pas facile; chacun de nous peut en faire l'expérience.

Celui qui est enfermé dans l'Ego, c'est celui s'identifie à un point de vue, qui adore donner tort à l'Autre, car pour qu'il ait raison, il faut bien que quelqu’un d'autre ait tort.  C'est cette position mentale où le "Je" se sent diminué ou offensé parce que quelqu'un ne croit pas ce que "Je" a dit qui est néfaste. Ce moteur de l'Ego ne permet pas d'atteindre le rêve et la passion de l'excellence. Nous l'activons parfois malgré nous, sans malice, mais par peur de l'Autre, de l'inconnu, de l'incertain, tant nos certitudes nous rassurent.

Le rêve, pour être découvert, a besoin de risque,de générosité et de don de soi, pour une cause, un but, qui nous dépassent.

Voilà un bon message que nous ramenons après nous être tirés une bûche au Canada (qui veut dire "s'asseoir " en langue québécoise).

Un bon message à vivre, à ramener avec nous, et à communiquer à nos clients...

Pour ne pas être dans les patates (dans l'erreur, à côté de la plaque) du management...