Moi : additif ou soustractif ?
05 septembre 2015
Avec "L'immortalité", en 1990, Milan Kundera écrit son dernier roman en tchèque. Mais il ne se déroule plus dans le monde communiste de la Tchécoslovaquie. Ce roman se déroule à Paris, évoque Goethe, et est construit comme un ensemble d'histoires qui semblent indépendantes les unes des autres, mais avec des entrecroisements nombreux, ce qui nous fait identifier combien ces histoires sont très liées les unes avec les autres. Ce qui fait qu'il est impossible de le résumer, ni même de dire "de quoi ça parle". Cela se lit comme on écouterait une musique. On se laisse promener dans ces pages comme envoûté.
J'y trouve cette réflexion sur le moi et l'unicité de notre moi :
" Il y a deux méthodes pour cultiver l'unicité du moi : la méthode addictive et la méthode soustractive. Agnès soustrait de son moi tout ce qui est extérieur et emprunté, pour se rapprocher ainsi de sa pure essence (en courant le risque d'aboutir à zéro, par ces soustractions successives). La méthode de Laura est exactement inverse : pour rendre son moi plus visible, plus facile à saisir, pour lui donner plus d'épaisseur, elle lui ajoute sans cesse de nouveaux attributs, auxquels elle tâche de s'identifier (en courant le risque de perdre l'essence du moi, sous ces attributs additionnés)".
Immédiatement, on pense aux individus que l'on croise et que nous côtoyons : C'est un jeu distrayant de repérer les adeptes de chacune des deux méthodes. Ceux qui cherchent toujours à rajouter dans leur style des trucs qu'ils empruntent à d'autres, des comportements qu'ils copient, croyant ainsi acquérir ce qu'ils appellent de "l'expérience", et ceux qui au contraire cherchent constamment à devenir eux-mêmes.
Kundera ajoute :
"Tel est l'étrange paradoxe dont sont victimes tous ceux qui recourent à la méthode addictive pour cultiver leur moi : ils s'efforcent d'additionner pour créer un moi inimitablement unique, mais devenant en même temps les propagandistes de ces attributs additionnés, ils font tout pour qu'un maximum de gens leur ressemblent; et alors l'unicité de leur moi (si laborieusement conquise) s'évanouit aussitôt".
Qu'est-ce qu'être soi-même ? Un complément à la "culture de soi" de Michel Foucault.
Commentaires