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Vitesse et lenteur

Vitesse11Dans le monde moderne, la vitesse a plus la cote que la lenteur. Quel que soit le programme, le fait d'aller vite, d'accélérer, en fait une preuve de qualité. Le dernier ouvrage de John P. Kotter, gourou du management à l'américaine, dont j'ai déjà parlé ICI, a pour titre " XLR8", lisez " ACCELERATE".

Dans son livre "Faire", dont le Figaro Magazine publie des extraits ce week-end, François Fillon parle de sa passion pour la course automobile :

" Rouler à près de 300 km/h dans une grande ligne droite, prendre un virage en traçant l'arc de cercle optimal et se relancer à fond, déboîter pour passer- juste avant que la fenêtre ne se referme - l'autre voiture dont on pourchassait la roue, ce sont des sensations qui d'une certaine manière n'ont pas d'autre raison d'être que leur propre intensité. C'est quelque chose qui prend aux tripes, c'est de l'adrénaline pure, c'est en même temps un état d'extrême concentration, physique et mentale, et c'est aussi la jouissance éphémère qui couronne un long, un très long effort de préparation."

François Fillon pratique aussi l'alpinisme, où là, c'est la lenteur, et la méditation, qu'il va vanter.

Bon, c'est pas de la grande littérature, on s'en doutait, mais on voit bien que cette histoire de "concentration" va servir à un couplet sur la politique, forcément, auquel on a droit trois lignes plus loin :

" En politique aussi, il faut faire la part du destin dans les cheminements et les trajectoires. On s'y confronte à des forces dont l'échelle de grandeur dépasse la mesure d'un individu. Qu'elles vous portent ou qu'elles vous résistent, il faut savoir composer avec elles. On cherche à connaître ses limites pour mieux les repousser, jusqu'au jour où le temps referme définitivement le cercle des possibles et donne à une vie d'homme un contour qu'elle ne franchira plus."

Pour Fillon, la vitesse c'est la jouissance éphémère, la concentration, la préparation. Et cette histoire de "cercle des possibles" qui se referme sur "une vie d'homme"...Lui, il a sûrement envie de repousser encore un peu les limites, pour devenir calife, lors de la course de la primaire.

Allons-voir Milan Kundera et son roman " La lenteur"; on change de niveau :

Au début du roman, le narrateur est précisément en train de conduire et observe dans le rétroviseur une voiture derrière lui, avec un chauffeur impatient qui aimerait bien le doubler. D'où ces réflexions sur la vitesse :

" La vitesse est la forme d'extase dont la révolution technique a fait cadeau à l'homme. Contrairement au motocycliste, le coureur à pied est toujours présent dans son corps, obligé sans cesse de penser à ses ampoules, à son essoufflement; quand il court il sent son poids, son âge, conscient plus que jamais de lui-même et du temps de sa vie. Tout change quand l'homme délègue la faculté de vitesse à une machine : dès lors, son propre corps se trouve hors du jeu et il s'adonne à une vitesse qui est incorporelle, immatérielle, vitesse pure, vitesse en elle-même, vitesse extase.

Curieuse alliance : la froide impersonnalité de la technique et les flammes de l'extase."

Cette comparaison avec la course à pied m'a fait penser à Nicolas Sarkozy (il fait aussi du vélo); et la motocyclette, au scooter de notre Président actuel. 

C'est vrai que la lenteur, ce n'est plus à la mode, et les marches tranquilles comme celles de Jean Monnet qu'il évoque dans ses mémoires (j'en avais parlé ICI) ne sont plus très à la mode.

Revenons à Milan Kundera :

" Pourquoi le plaisir de la lenteur a-t-il disparu? Ah, où sont-ils, les flâneurs d'antan? Où sont-ils ces héros fainéants des chansons populaires, ces vagabonds qui traînent d'un moulin à l'autre et dorment à la belle étoile ? Ont-ils disparu avec les chemins champêtres, avec les prairies et les clairières, avec la nature ? Un proverbe tchèque définit leur douce oisiveté par une métaphore : ils contemplent les fenêtres du bon Dieu. Celui qui contemple les fenêtres du bon Dieu ne s'ennuie pas; il est heureux. Dans notre monde, l'oisiveté s'est transformée en désœuvrement, ce qui est tout autre chose : le désœuvré est frustré, s'ennuie, est à la recherche constante du mouvement qui lui manque."

 Pour ces politiques en "recherche constante du mouvement qui lui manque", , faut-il cette  "pure adrénaline" et cette "jouissance éphémère", dont parle François Fillon, ou bien, parfois,  appliquer ce proverbe tchèque évoqué par Kundera, pour penser à contempler les fenêtres du bon Dieu ?

Même nos dirigeants et managers peuvent se poser la question.


La course cycliste et le banquet

BanquetL'été n'est pas complètement fini; Alors je le termine avec "L'immortalité" de Milan Kundera (ma série de l'été).

Encore un roman impossible à raconter, des histoires qui se mélangent; c'est la signature Kundera. Et il s'en explique via ses personnages. L'occasion de métaphores inspirantes.

" Je regrette que que presque tous les romans écrits à ce jour soient trop obéissants à la règle de l'unité d'action. Je veux dire qu'ils sont tous fondés sur un seul enchaînement causal d'actions et d’événements. Ces romans ressemblent à une rue étroite, le long de laquelle on pourchasse les personnages à coup de fouet. La tension dramatique, c'est la véritable malédiction du roman parce qu'elle transforme tout, même les plus belles pages, même les scènes et les observations les plus surprenantes, en une simple étape menant au dénouement final, où se concentre le sens de tout ce qui précède. Dévoré par le feu de sa propre tension, le roman se consume comme un feu de paille."

Le roman qu'aime Kundera est tout autre :

" Le roman ne doit pas ressembler à une course  cycliste, mais à un banquet où l'on passe quantité de plats."

Alors, avec Kundera, et d'autres, savourons ces romans, comme la vie, qui ne sont pas ces "romans trop obéissants", "où l'on pourchasse les personnages à coup de fouet", mais ces banquets avec quantité de plats qui vont nourrir notre imagination.


Urgence : l'esprit des vacances

OpenmindLes vacances, c'était l'occasion de voir d'autres choses, d'autres personnes, de prendre de la hauteur peut-être.

Le retour dans le quotidien de l'entreprise, c'est la routine, les habitudes ?

Ou au contraire le bon moment pour garder les yeux et les oreilles ouvertes pour déceler la " Big Opportunity".

C'est le sujet de ma chronique du mois sur "Envie d'entreprendre", ICI.

Cela parle de sentiment d'urgence aussi; alors ne perdons pas de temps...


Moi : additif ou soustractif ?

AdditiveAvec "L'immortalité", en 1990, Milan Kundera écrit son dernier roman en tchèque. Mais il ne se déroule plus dans le monde communiste de la Tchécoslovaquie. Ce roman se déroule à Paris, évoque Goethe, et est construit comme un ensemble d'histoires qui semblent indépendantes les unes des autres, mais avec des entrecroisements nombreux, ce qui nous fait identifier combien ces histoires sont très liées les unes avec les autres. Ce qui fait qu'il est impossible de le résumer, ni même de dire "de quoi ça parle". Cela se lit comme on écouterait une musique. On se laisse promener dans ces pages comme envoûté.

J'y trouve cette réflexion sur le moi et l'unicité de notre moi :

" Il y a deux méthodes pour cultiver l'unicité du moi : la méthode addictive et la méthode soustractive. Agnès soustrait de son moi tout ce qui est extérieur et emprunté, pour se rapprocher ainsi de sa pure essence (en courant le risque d'aboutir à zéro, par ces soustractions successives). La méthode de Laura est exactement inverse : pour rendre son moi plus visible, plus facile à saisir, pour lui donner plus d'épaisseur, elle lui ajoute sans cesse de nouveaux attributs, auxquels elle tâche de s'identifier (en courant le risque de perdre l'essence du moi, sous ces attributs additionnés)".

Immédiatement, on pense aux individus que l'on croise et que nous côtoyons : C'est un jeu distrayant de repérer les adeptes de chacune des deux méthodes. Ceux qui cherchent toujours à rajouter dans leur style des trucs qu'ils empruntent à d'autres, des comportements qu'ils copient, croyant ainsi acquérir ce qu'ils appellent de "l'expérience", et ceux qui au contraire cherchent constamment à devenir eux-mêmes. 

Kundera ajoute : 

"Tel est l'étrange paradoxe dont sont victimes tous ceux qui recourent à la méthode addictive pour cultiver leur moi : ils s'efforcent d'additionner pour créer un moi inimitablement unique, mais devenant en même temps les propagandistes de ces attributs additionnés, ils font tout pour qu'un maximum de gens leur ressemblent; et alors l'unicité de leur moi (si laborieusement conquise) s'évanouit aussitôt".

Qu'est-ce qu'être soi-même ? Un complément à la "culture de soi" de Michel Foucault.