Le tank est périssable et la poire est éternelle...
16 août 2015
Le 21 août 1968, des troupes blindées, 300.000 hommes, envahissent la Tchécoslovaquie sur décision de Léonid Brejnev, pour " sauver le socialisme". C'est un choc pour tous les habitants de Prague, face à ces chars.
Milan Kundera évoque cet épisode dans "le livre du rire et de l'oubli" à propos de la mère d'un des personnages :
" On était au mois d'août et les poires étaient mûres dans leur jardin. Une semaine plus tôt, maman avait invité le pharmacien à venir les cueillir. Mais le pharmacien n'était pas venu et ne s'était même pas excusé. Maman ne pouvait pas le lui pardonner, ce qui mettait hors d'eux Karel et Markéta (son fils et sa bru). Ils lui faisaient des reproches: tout le monde pense aux tanks, et toi tu penses aux poires. Puis il avaient déménagés, avec le souvenir de sa mesquinerie.
Seulement les chars sont-ils vraiment plus importants que les poires? A mesure que le temps passait, Karel comprenait que la réponse à cette question n'était pas aussi évidente qu'il avait toujours pensé, et il commençait à éprouver une secrète sympathie pour la perspective de maman, où il y avait une grosse poire au premier plan et quelque part, loin en arrière, un char pas plus gros qu'une bête à bon dieu qui va s'envoler d'une seconde à l'autre et se cacher aux regards. Ah oui ! c'est en réalité maman qui a raison : le tank est périssable et la poire est éternelle."
Cette opposition entre l'Histoire en marche (avec un grand H) et la futilité de la vie quotidienne, peut-être pas si futile, on la retrouve souvent dans notre quotidien, dans les informations qui nous inondent chaque jour. Car la disparition des poires aurait peut-être plus de conséquences que l'apparition ou la disparition des tanks dans la ville.
Ils sont de plus en plus nombreux, ceux qui, comme la maman du roman de Kundera, s'intéressent plus aux poires du jardin que l'on n'a pas cueillies plutôt qu'à l'Histoire. Et que dire de la hiérarchisation des informations dont nous sommes inondés au "20 heures"; les poires du jardin y ont, là aussi, une place de choix...
Et de quoi parlons-nous dans nos conversations?
Comment choisissons-nous les sujets qui nous intéressent ? Les périssables et les éternels.
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