Les super-sachants ne savent plus
13 juillet 2015
La fonction Ressources humaines : il faut la faire sauter !
C'est le sujet du dossier de HBR de juillet-août. Plusieurs articles pour nous dire que cette fonction a traditionnellement attiré les critiques, lui reprochant d'être un peu trop dans l' "administrativia", et de manquer de vision stratégique pour l'entreprise. Par ailleurs, le marché du travail étant plus morose, les collaborateurs ont tendance parfois à moins bouger, rendant un peu moins d'actualité les démarches de rétention des talents et de "talent management" que l'on a connu dans les années 1990.
Autre tendance : les sujets de management des ressources humaines ont été accaparés par les managers opérationnels eux-mêmes, qui veulent s'occuper de recruter, former, développer eux-mêmes leurs collaborateurs et non le déléguer à une fonction RH un peu trop assimilée à une machine bureaucratique qui ne comprend rien aux besoins du terrain.
Ah la la c'est pas la fête pour les Directeurs des Ressources Humaines avec de telles insinuations.
Autre sujet dans ce dossier : les DRH qui se laissent attirer par tel ou tel truc brillant, des méthodos, des nouveaux trucs à la mode dans le management, un livre, un gourou, un consultant, et qui papillonnent d'une mode à l'autre, sans avoir in fine beaucoup d'impact sur le vrai business de leur entreprise.
Les auteurs encouragent les DRH du futur à mieux comprendre la "Big Picture", et à travailler leur "Business Impact".
J'avais justement avec moi cette semaine un DRH, un vrai, dans le cadre des conférences PMP sur l'innovation managériale, au collège des Bernardins, où je reçois sur invitation. Il s'agissait de Edouard-Malo Henry, DRH du Groupe Société Générale.
Il nous a précisé sa vision de la fonction et du management pour un Groupe comme la Société Générale.
Pour lui, le modèle de fonctionnement de l'entreprise est en train de s'épuiser. Des secteurs industriels qui ont connus des crises et ruptures, comme justement la Finance mais aussi les Télécoms, l'ont déjà compris. Mais les autres vont suivre. Ce modèle en déclin, c'est celui des grandes entreprises organisées selon des logiques verticales. Dans ces logiques verticales, le chef est un "super-sachant"; il s'entoure de "sachants numéros 2", les "deuxièmes meilleurs"; et ainsi de suite dans toute la chaîne hiérarchique. Le modèle consiste à implémenter les décisions prises, tout en haut, vers les échelons inférieurs. C'est une "histoire de tuyauteries". Il faut que les instructions circulent dans les bons tuyaux.
Ce modèle a vécu car, selon Edouard-Malo Henry, " Les super-sachants ne savent plus".
Ils ne savent plus car ils ne peuvent plus rien prévoir avec certitude, et ne peuvent pas non plus anticiper seuls. Nous vivons une "crise de la parole" : Tout le monde peut tout vérifier à tout moment; la connaissance n'est plus un "stock", mais un "flux". Et tout cela avec une "crise de sens" dans les entreprises.
Crise de la parole et crise de sens. Quel nouveau modèle devons-nous mettre en place?
A la Société Générale, cela s'est traduit par des initiatives fortes, autour de deux grands principes :
1. Libérer la parole
Elle peut émerger de partout; il faut donc créer des instances spécifiques de libération de la parole.
2. Mettre l'entreprise en réseaux
Réseaux de toutes sortes, professionnels, affinitaires, d'experts, en vue de créer le plus possible d'intelligence collective.
Dans ce nouveau modèle plus horizontal, le manager n'est plus "celui qui sait", mais celui "qui fait émerger le savoir".
Et pour faire émerger le savoir, il s'agit moins d'expliquer et de sire que d"écouter. Et pour pouvoir écouter il faut du silence.
Pour pouvoir créer ce "silence collectif", Edouard-Malo Henry est convaincu qu'il faut d'abord un "silence personnel", ce qu'il appelle un "ajustement intérieur". Et donc un comportement intérieur à l'écoute de soi-même, de ses émotions.
Le nouveau manager à l'écoute, en silence intérieur, participant à l'écoute et au silence collectif.
Voilà de nouvelles perspectives pour bousculer tous les super-sachants bavards qui sévissent encore dans nos environnements professionnels.
Un beau programme pour les Directeurs des Ressources Humaines et les dirigeants, non?
( photos : Serge Loyauté-Peduzzi : www.sloyaute-peduzzi.com )
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