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Inventer la Banque et entreprendre : ça ne date pas d'aujourd'hui !

PereireLes entrepreneurs en avance sur leurs contemporains, par exemple en matière de soutien aux arts, j'en avais déjà parlé ICI, à propos d'une exposition sur les impressionnistes à Rouen . Il s'agissait d'industriels plutôt visionnaires du XIXème Siècle.

Mais le XIXème Siècle, c'est aussi celui d'une nouvelle race d'entrepreneurs, des personnes qui veulent remettre en cause un monopole, et développer la liberté du commerce et des affaires. Cette race, ce sont ce que l'on appelle "les banquiers". Le monopole qu'ils attaquent, c'est celui de la Banque de France, créée en 1803, avec le monopole privilège de l'émission du papier-monnaie en France.Ce que veulent ces nouveaux banquiers, c'est financer, et apporter des capitaux durables, à l'industrie et le commerce, se plaignant du manque d'audace de la Banque de France. 

Parmi ces figures, les frères Pereire, Emile et Isaac. On les connait aujourd'hui par le Boulevard Pereire à Paris, moins pour leurs affaires dans le crédit et la banque. Pourtant ils en étaient un élément essentiel de l'époque. Les Pereire ont fait leurs classe chez les Rothschild, représentants de "la haute Banque" (ce sont la vingtaine d'actionnaires de la Banque de France, les marchands-banquiers, qui emploient leur fortune personnelle et les capitaux de leurs relations à financer le négoce et le commerce international) , contre laquelle ils veulent se distinguer, ne se sentant pas assez reconnus.

C'est ainsi qu'ils fondent en 1852 le Crédit mobilier, qui cristallise la rupture. Le Crédit mobilier, qu'ils font autoriser par le gouvernement, suscite très vite l'engouement de la Bourse, en même temps que l'hostilité de cette "haute Banque". Car leur concept à eux, c'est de solliciter l'épargne du public, sous forme d'actions et d'obligations. Il y aura d'ailleurs des dérapages, des faillites, des confusions entre l'argent privé et l'argent public ( Madoff avant Madoff...). Mais ce sera aussi le développement de nombreux projets industriels et d'infrastructures.

Ils vont fonder aussi la même année, 1852, le Crédit foncier, avec vocation de financer la construction immobilière. Le Crédit foncier reçoit en 1854 d'un statut quasi équivalent à celui de la Banque de France. C'est ce Crédit foncier qui assurera notamment le financement des travaux du baron Haussmann à Paris. Il ouvre des bureaux dans l'ensemble de la France, et devient en 1868 la première banque de dépôts française.

Mais les frères Pereire, c'est aussi le lancement, encouragé par eux, de la Société Générale de crédit industriel et commercial, la première banque de dépôts créée en France (c'est aujourd'hui le CIC). Ils sont aussi les parrains d'un autre nom connu : le Crédit Lyonnais.

Mais alors que les Pereire soutiennent le Crédit Lyonnais, les Rothschild vont militer pour soutenir une autre entreprise, la Société Générale, pour développer le commerce et l'industrie en France eux-aussi. La Société Générale est autorisée en 1864, un an après le Crédit Lyonnais, et débauchera deux des fondateurs du Crédit Lyonnais, Eugène Schneider, qui sera le premier président de la Société Générale, et Paulin Talabot, nommé directeur.

Eugène Schneider, c'est l'héritier de la forge du Creusot, dont il va faire l'un des premiers groupes industriels français. Régent de la Banque de France en 1854, il sera président de la Société Générale de 1864 à 1867, tout en restant d'ailleurs administrateur du Crédit Lyonnais.

Si le gouvernement a autorisé aussi rapidement la création de la Société Générale, c'est parce qu'une autre initiative était apparue en 1863 : la création d'une banque de dépôts et de crédit qui opère sur le territoire de la France sans être située en France, mais aux Pays-Bas; c'est la banque de dépôts et de crédit des pays-bas, créée par Alphonse Pinard. Elle fusionnera en 1872 avec la Banque de Paris, fondée en 1869 par des adversaires des Rothschild, menés par un banquier franco-italien Henri Cernuschi (il est connu aujourd'hui par sa collection personnelle d'art asiatique qu'il lègue à sa mort à la Ville de Paris, qui en fera le musée Cernuschi que l'on visite aujourd'hui).C'est ainsi que naît la Banque de Paris et des Pays-Bas, aujourd'hui BNP Paribas.

En une vingtaine d'années, avec ces entrepreneurs, le paysage bancaire de la France contemporaine, qui est encore là aujourd'hui, est né. 

Je trouve toutes ces informations dans le livre très plaisant à lire, bourré d'anecdotes et de récits historiques, " Si la banque m'était contée..." de Jean-Philippe Bidault, aux Editions du Palio. Une bonne lecture pour cette période d'été.

Mais aussi une lecture qui vient nous rappeler que les entrepreneurs, ça ne date pas que d'aujourd'hui et des start-up.

Alors que c'est à la mode de nous faire peur sur la fin des banques, l'avènement du crowdfunding, les barbares qui vont "Übériser" la banque, il est amusant de revivre cette période oubliée, sous le Second Empire, où des entrepreneurs, des hommes d'affaires,et des marchands-banquiers, ont construit le nouveau paysage d'un secteur naissant de l'économie, qui a permis de développer la croissance et l'investissement. Et qui est, pour le moment, encore très présent dans notre environnement.


Faire en dix minutes ce que d'autres font en un mois !

DormirbureauCe n'est pas la première fois que j'entend ce genre d'histoire.

Pierre, en face de moi, me raconte sa nouvelle boîte dans laquelle il s'est fait embauché comme "Business Intelligence developper" (je comprends que c'est un job où l'on passe beaucoup de temps devant le clavier de l'ordinateur..). C'est ce que l'on appelle une start-up; elle a reçu de l'argent d'investisseurs prestigieux; les dirigeants sont deux jeunes types ex consultants; ils en veulent "à fond". 

Le principe, c'est de tout faire vite : la devise des patrons, c'est de faire en dix minutes ce que l'on ferait ailleurs en un mois. Tout est est dans la rapidité, l'action. Et on ne s’embarrasse pas de faire des plans, des calendriers; tout ça, c'est pour les entreprises "traditionnelles", c'est à dire les grosses boîtes imbéciles; non, dans cette start-up, on s'adapte tout le temps; on change de direction selon les priorités, et dès qu'on a une idée, on expérimente.

Dans cette folle ambiance, comme on dit , "on ne compte pas les heures". Les collaborateurs sont immergés 24/24 dans le feu de l'action. Car la croissance est énorme, alors pas le temps de s'arrêter.

Par contre, le cash est brûlé rapidement, et la boîte ne gagne pas encore d'argent; alors pas question de parler d'augmentation de salaires, ou de bonus trop généreux. Les actions, elles, ont déjà été distribuées à d'autres.

Autre interdit : le brainstorming ! C'est une mot sale; ici, pas de brainstorming; on est dans l'action, on essaye tout, on se plante, on recommence, jusqu'à ce que ça marche. C'est ça le feu des start-up. 

Mon ami Pierre résume comment il ressent tout ça : Il n'en peut plus !

Ce système où, pour suivre, il faut courir derrière des entrepreneurs voltigeurs, pour qui, il en a l'impression, les collaborateurs salariés sont des petites machines qui n'ont pas à se plaindre, ça lui plaît de moins en moins. Et ça plaît encore moins à sa petite amie. Être le collaborateur salarié de ces entrepreneurs agités, c'est être le "Gofor" permanent ( "Go for this, Go for that").

Certains diront que mon ami Pierre n'a pas compris tout le bonheur de travailler pour une start-up, qui se défonce,....Oui, c'est sûr.

Qu'il n'est pas fait pour travailler pour une start-up; mais qui est "fait pour" ?

D'autres que toutes les start-up ne sont pas comme ça; c'est vrai, mais quand on parle de ces start-up "différentes", on a l'impression qu'elles sont exceptionnelles, comme ICI. Ces start-up se préoccupent du bien-être de leurs collaborateurs, ah bon? elles vont sûrement avoir du mal pour réussir; elles feraient mieux d'être "focus".

Reste que l'on se dit que peut être, même les entrepreneurs qui "se défoncent" pourraient apprendre les secrets du leadership et des "servant leaders"

Où n'est-ce qu'un rêve?


Le pouvoir de la récompense entre pairs

Reward11Une organisation qui permet la collaboration, la coopération, la passion et la performance, qui n'en rêverait pas? Quand on parle de transformation managériale, ces mots reviennent dans les conversations.

Mais, bien sûr, toute la difficulté, c'est de passer des idées et conversations à l'action et aux résultats.

C'est pourquoi il est intéressant d'aller chercher les témoignages de ceux qui ont pris des initiatives en ce sens. Cela a parfois l'air d'être des gadgets, mais cela peut aussi donner des idées.

C'est l'objet du livre écrit par Jim Whitehurst, CEO de Red Hat, " The open organization : igniting passion and performance". 

Red Hat, c'est la plus grande entreprise d'informatique Open Source au monde. Et depuis que Jim Whitehurst a pris le job de CEO en 2008 le chiffres d'affaires a doublé, et la capitalisation boursière a triplé.

Comme l'activité de Red Hat est dans l'Open Source, il déroule dans son livre le concept d'"Open Organization", Organisation ouverte.

Une des initiatives qu'il a notamment mise en place, c'est de récompenser, de célébrer, les employés reconnus par leurs pairs pour leur mérite. 

Le process est original.

Chaque trimestre, chaque employé, y compris le CEO lui-même, reçoit un nombre égal de "points", qu'il peut utiliser pour récompenser ses collègues, qui peuvent convertir ces points en cartes cadeaux, et autres produits. Parfois des récompenses exceptionnelles, "Reward Zone awards", pour reconnaître des pairs pour un effort exceptionnel (par exemple travailler tard pour aider un collègue à trouver une solution pour un client). Les collaborateurs donnent aussi des récompenses à leurs pairs pour leur incarnation des valeurs de Red Hat, et se comportent selon le " Red Hat Way". Cela peut consister par exemple à les inviter à participer à un de leurs projets. Le principal critère pour donner et recevoir ce genre de récompenses, c'est pour Jim Whitehurst la collaboration. Pour lui c'est le principal ingrédient de la culture de son entreprise.

Autre exemple de récompense qu'il cite : le "Chairman's Award". C'est le plus grand honneur que l'on peut recevoir chez Red Hat. Pour être nominé, vous devez être soutenu par au moins deux collègues parmi vos pairrs (pas votre manager). Seulement 17 personnes sont finalistes. 

Pour le gagnant, c'est la fête : il est célébré comme une Star lors du Sommet annuel de Red Hat et, grâce à une vidéo dans laquelle les pairs de cette personne disent pourquoi elle a mérité cette récompense.

Ce ne sont que des petites choses, mais pour jim Whitehurst c'est l'accumulation de ces petites choses qui ne coûtent rien qui donne un pouvoir très fort à l'organisation, dans un mouvement "bottom-up", et renforce les valeurs qu'il veut incarner dans son "Open Organization" : Confiance, transparence, collaboration, et méritocratie.

De quoi en inspirer d'autres?


Les super-sachants ne savent plus

Reseaux22La fonction Ressources humaines : il faut la faire sauter !

C'est le sujet du dossier de HBR de juillet-août. Plusieurs articles pour nous dire que cette fonction a traditionnellement attiré les critiques, lui reprochant d'être un peu trop dans l' "administrativia", et de manquer de vision stratégique pour l'entreprise. Par ailleurs, le marché du travail étant plus morose, les collaborateurs ont tendance parfois à moins bouger, rendant un peu moins d'actualité les démarches de rétention des talents et de "talent management" que l'on a connu dans les années 1990. 

Autre tendance : les sujets de management des ressources humaines ont été accaparés par les managers opérationnels eux-mêmes, qui veulent s'occuper de recruter, former, développer eux-mêmes leurs collaborateurs et non le déléguer à une fonction RH un peu trop assimilée à une machine bureaucratique qui ne comprend rien aux besoins du terrain.

Ah la la c'est pas la fête pour les Directeurs des Ressources Humaines avec de telles insinuations.

Autre sujet dans ce dossier : les DRH qui se laissent attirer par tel ou tel truc brillant, des méthodos, des nouveaux trucs à la mode dans le management, un livre, un gourou, un consultant, et qui papillonnent d'une mode à l'autre, sans avoir in fine beaucoup d'impact sur le vrai business de leur entreprise. 

Les auteurs encouragent les DRH du futur à mieux comprendre la "Big Picture", et à travailler leur "Business Impact".

J'avais justement avec moi cette semaine un DRH, un vrai, dans le cadre des conférences PMP sur l'innovation managériale, au collège des Bernardins, où je reçois sur invitation. Il s'agissait de Edouard-Malo Henry, DRH du Groupe Société Générale.  MALOHENRY1

Il nous a précisé sa vision de la fonction et du management pour un Groupe comme la Société Générale.

Pour lui, le modèle de fonctionnement de l'entreprise est en train de s'épuiser. Des secteurs industriels qui ont connus des crises et ruptures, comme justement la Finance mais aussi les Télécoms, l'ont déjà compris. Mais les autres vont suivre. Ce modèle en déclin, c'est celui des grandes entreprises organisées selon des logiques verticales. Dans ces logiques verticales, le chef est un "super-sachant"; il s'entoure de "sachants numéros 2", les "deuxièmes meilleurs"; et ainsi de suite dans toute la chaîne hiérarchique. Le modèle consiste à implémenter les décisions prises, tout en haut, vers les échelons inférieurs. C'est une "histoire de tuyauteries". Il faut que les instructions circulent dans les bons tuyaux. MALOHENRY2

Ce modèle a vécu car, selon Edouard-Malo Henry, " Les super-sachants ne savent plus".

Ils ne savent plus car ils ne peuvent plus rien prévoir avec certitude, et ne peuvent pas non plus anticiper seuls. Nous vivons une "crise de la parole" : Tout le monde peut tout vérifier à tout moment; la connaissance n'est plus un "stock", mais un "flux". Et tout cela avec une "crise de sens" dans les entreprises.

Crise de la parole et crise de sens. Quel nouveau modèle devons-nous mettre en place?

A la Société Générale, cela s'est traduit par des initiatives fortes, autour de deux grands principes :

1. Libérer la parole 

Elle peut émerger de partout; il faut donc créer des instances spécifiques de libération de la parole. 

2. Mettre l'entreprise en réseaux

Réseaux de toutes sortes, professionnels, affinitaires, d'experts, en vue de créer le plus possible d'intelligence collective.

Dans ce nouveau modèle plus horizontal, le manager n'est plus "celui qui sait", mais celui "qui fait émerger le savoir".

Et pour faire émerger le savoir, il s'agit moins d'expliquer et de sire que d"écouter. Et pour pouvoir écouter il faut du silence.

Pour pouvoir créer ce "silence collectif", Edouard-Malo Henry est convaincu qu'il faut d'abord un "silence personnel", ce qu'il appelle un "ajustement intérieur". Et donc un comportement intérieur à l'écoute de soi-même, de ses émotions.

Le nouveau manager à l'écoute, en silence intérieur, participant à l'écoute et au silence collectif.

Voilà de nouvelles perspectives pour bousculer tous les super-sachants bavards qui sévissent encore dans nos environnements professionnels.

Un beau programme pour les Directeurs des Ressources Humaines et les dirigeants, non?

 ( photos : Serge Loyauté-Peduzzi : www.sloyaute-peduzzi.com )