Monde marchand : monde du désir
16 mai 2015
Parmi les "mondes" analysés par Boltanski et Thévenot, dont je parlais ICI à propos de grandeur, le monde "marchand", c'est le monde du Business, forcément. Nombreux sont ceux qui ont l'impression d'y vivre exclusivement. Ces entrepreneurs, ces commerciaux, pour qui la réussite consiste à devenir riche, on en rencontre beaucoup.
Mais cette vision du monde marchand peut parfois entrer en conflit avec les autres mondes.
Le monde marchand, c'est celui où les actions sont commandées par le désir : le désir des individus de posséder des objets, des biens rares, Ce qui assure la coordination dans ce monde, c'est bien sûr la concurrence, la compétition. Ce qui donne de la valeur aux choses, aux actions, c'est le prix.
Réussir dans ce monde, pour celui qui s'y sent membre, cela consiste à devenir riche, à être un "gagnant". L'espace idéal est celui où la circulation des biens et des personnes est libre. La chance existe dans ce monde, mais les plus convaincus imaginent que l'on peut exploiter les opportunités, tirer avantage des occasions. C'est ce qui fait le talent.
Celui qui s"épanouit le mieux dans un tel monde, c'est celui qui désire le plus. La vraie motivation c'est l'intérêt, la satisfaction de l'ego qui permet de satisfaire la force de ce désir. Le monde marchand est donc celui qui assure, dans une vision politique, la garantie de l'autonomie et de la liberté des gens. Les relations entre ces gens sont alors des relations d' "affaires". Dans ce monde, il n'y a pas de relations contraignantes (liées à la famille par exemple, ou aux positions hiérarchiques ou aux honneurs civiques), mais les gens y sont libérés, pouvant se prêter à toute occasion de transaction.
Dans ce monde, l'écoute des autres est aussi importante : écouter pour permettre de faire marcher au mieux les affaires. Par contre un détachement à l'égard de soi-même est un facteur considéré comme favorable : Pour faire des affaires, il faut une distance émotionnelle, contrôler ses émotions, pour pouvoir saisir toutes les opportunités.
C'est pourquoi ce monde marchand entre facilement en conflit avec le "monde inspiré"qui est le monde de l'authentique, de l'élan spirituel, de la création. Dans les affaires, il faut du "sang froid".
On voit bien que celui qui se situera trop exclusivement dans ce monde marchand du désir peut facilement se trouver en conflit avec les autres mondes, et même le perdre : la richesse recherchée peut amener à créer une confusion entre les biens et les personnes, et donner l'illusion de posséder la personne des autres et non seulement les biens désirés. Les moments de tension apparaissent aux frontières des mondes : Ainsi, si je vend la canne de l'oncle Albert, objet de famille, je crée une tension entre le monde marchand et le monde domestique. Si je fais des affaires en vendant cher des objets et gadgets peu utiles et ne répondant pas à un réel besoin, je crée une tension entre le monde marchand et le monde industriel.Car le monde industriel n'aime pas la consommation ostentatoire, ni les effets de mode. Il aime la technique, ce que l'on peut programmer et planifier, et non les fluctuations de la demande et des prix des choses.
Ainsi, avec Boltanski et Thévenot, pouvons-nous mieux nous situer dans ce monde marchand, et nous ouvrir aux autres mondes pour ne pas nous y enfermer.
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