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De l'Ego à l'Eco

EcosystemeLes Matins HEC recevaient cette semaine Isabelle Kocher, directrice générale déléguée du groupe devenu Engie, après GDF Suez. Elle est déjà désignée pour succéder comme Président, Présidente, du Groupe à Gérard Mestrallet en mai 2016.

Elle nous a expliqué pourquoi elle allait transformer ce Groupe pour le faire entrer dans un nouveau monde.

La grande Révolution, c'est le passage aux énergies renouvelables; l'avenir, c'est le solaire, et non plus les grosses usines à gaz, à charbon, et nucléaires. Ces grosses usines qui nécessitaient des milliards d'investissements, avec une gestion très centralisée, c'est fini; on passe à des investissements plus légers, plus dispersés, avec une gestion plus locale.

Pour elle l'enjeu c'est la décentralisation; mettre le pouvoir au niveau local, faire grandir les leaders au plus près du local, sur toute la chaîne; c'est pour elle son enjeu majeur.Les leaders dont aura besoin l'entreprise seront locaux.

Autre transformation qu'elle anticipe, c'est ce qu'elle appelle (nourrie par ses lectures du moment) le passage de "l'Egosystème" à l'"Ecosystème" : l'open innovation, les réseaux ouverts, les relations transversales et horizontales plutôt que les organisations hiérarchiques.

Pour cela il va falloir que les leaders, à tous les niveaux, soient de plus en plus sensibles et à l'écoute pour comprendre leur environnement, et non plus enfermés dans leurs certitudes. Et l'environnement n'est pas le même en Inde et en Europe. De nombreux pays n'auront pas les moyens de déployer des infrastructures énergétiques coûteuses,et favoriseront comme en Inde les "prosummers", ceux qui fabriquent eux-mêmes leur énergie à partir du soleil par exemple. Abu Dhabi n'a pas besoin de se lancer dans un programme de construction de centrales nucléaires; ils vont passer directement au solaire, dont ils veulent devenir leaders.

Le nouveau monde d'Engie était bien vendu par Isabelle Kocher; l'enjeu est de taille. Son sourire faisait penser qu'elle ne le redoutait pas. 

Souhaitons qu'elle donne envie à d'autres, confrontés à ce même passage de l'Ego à l'Eco...


Machine civique

GuichetAux antipodes du "monde marchand" dont je parlais ICI, en référence au livre de Bolanski et Thévenot, "De la justification - les économies de la grandeur", on trouve une autre forme de monde : ces organismes d'Etat dont la fonction est de redistribuer de l'argent collecté de force au monde marchand, via taxes et impôts, pour le redonner à d'autres, ou les mêmes, qui en ont "besoin". D'où ces organismes redistributeurs d'aides en tous genres, dans le social, dans la formation, dans le logement.

Le principe est simple : vous constituez un "dossier"; l'organisme va étudier de près les "critères" qui vous donne "droit" (ou non) à cette manne redistribuée; et va s'occuper de vous transférer l'argent. Pour cela des organisations se sont mises en place; des hiérarchies sont construites, avec des chefs et des sous-chefs, et des "petits", les employés. La gestion en est souvent paritaire : ceux qui sont l'Autorité de ce système sont les représentants, élus ou désignés, par les professions, les corporations, les Métiers, qui bénéficient de ce système de redistribution. 

Un employé de ce type d'organisme avec qui je m'entretenais dernièrement me résumait ainsi pourquoi il aimait ce job : " on n'a pas de chiffre d'affaires à faire; pas de clients; pas de contrainte capitaliste;on répond au guichet; on fait bien le travail, on est bien payés; j'aime ça". Comme quoi le bonheur au travail, ça tient à peu de choses, non?

Ce monde, dans la typologie de Boltanski et Thévenot, c'est celui qu'ils appellent le "monde civique"; une vraie machine.

Sa caractéristique principale, c'est qu'il n'attache pas d'importance aux personnes; ceux qui sont "grands" et importants dans ce monde ne sont pas des individus, mais des collectifs. C'est parce qu'ils appartiennent à des collectifs, qu'ils représentent en tant qu' "élus", qu'ils ont une place d'autorité. L'action  dans ce type de monde n'est pas la somme des actions individuelles, mais une action d'abord "collective". Ce qui fait qu'elle est "importante" tient de la taille, du nombre de personnes ainsi représenté. C'est valable pour les syndicats et toute organisation "représentative" qui met son nez dans ce type d'organisation. Par opposition au monde que l'on va appeler "du privé", on va parler d' "établissement public", au service d'un objectif commun qui apparaît au-dessus de toutes les bassesses du monde marchand et de ses égoïsmes. Et quand on parle de liberté dans ce monde, c'est l'inverse de la liberté du monde marchand : on est libre car libéré des oppressions des intérêts égoïstes du monde du business.

Les mouvements syndicaux sont d'ailleurs les meilleurs gardiens de cette forme d' "unité des travailleurs". C'est parce que l'on est "représentatif" que l'on est "grand" dans ce monde. Dans ce monde les gens "grands" ont des noms particuliers : représentants, élus, adhérents, délégués, secrétaire général. Le pouvoir s'exerce dans des comités, des bureaux, des fédérations, des commissions. Toujours un lien avec la représentation collective. L'individu n'existe pas. 

Pour se structurer, un tel monde a besoin de procédures que l'on peut appliquer comme une formalité, en respectant un principe d'égalité pour tous. 

Pour accéder à la "grandeur" dans ce monde civique, il faut surtout sacrifier tout intérêt particulier ou immédiat, et se dépasser soi-même dans des intérêts collectifs. Dans ce monde, on ne prend jamais la parole sans passer par un représentant, ou un responsable, car une intervention de l'un appartient à tous.Pour exister en tant que collectif, il faut donc rassembler, regrouper, se réunir.  

Forcément ce monde ne reconnait le monde marchand que pour le critiquer. Car il oppose deux principes : la "volonté générale" et le "marché". Ce qui va concentrer le plus de critique c'est le rejet de l' "individualisme". La notion même de "service public" se construit sur l'opposition critique à l'égard d'une définition d'un service marchand. On va alors opposer deux notions, celles du "citoyen", "usager", "adhérent" et celle du "client". 

Les deux mondes vont parfois se côtoyer, bien sûr : quand il va falloir payer des prestataires du monde marchand pour assurer les prestations subventionnées par le monde civique, de formation, de logement, de services sociaux et médicaux: là on va reparler de prix, d'échange, parfois de concurrence. Le dialogue sera parfois difficile...

Entre ces deux mondes, civique et marchand, un compromis est-il possible?

Boltanski et Thévenot ont une réponse trés claire : c'est non.

C'est bon à savoir; 

ces deux mondes ne sont pas prêts de se comprendre.

C'est toujours bon de se le rappeler.


Monde marchand : monde du désir

Vendeur11Parmi les "mondes" analysés par Boltanski et Thévenot, dont je parlais ICI à propos de grandeur, le monde "marchand", c'est le monde du Business, forcément. Nombreux sont ceux qui ont l'impression d'y vivre exclusivement. Ces entrepreneurs, ces commerciaux, pour qui la réussite consiste à devenir riche, on en rencontre beaucoup.

Mais cette vision du monde marchand peut parfois entrer en conflit avec les autres mondes.

Le monde marchand, c'est celui où les actions sont commandées par le désir : le désir des individus de posséder des objets, des biens rares, Ce qui assure la coordination dans ce monde, c'est bien sûr la concurrence, la compétition. Ce qui donne de la valeur aux choses, aux actions, c'est le prix

Réussir dans ce monde, pour celui qui s'y sent membre, cela consiste à devenir riche, à être un "gagnant". L'espace idéal est celui où la circulation des biens et des personnes est libre. La chance existe dans ce monde, mais les plus convaincus imaginent que l'on peut exploiter les opportunités, tirer avantage des occasions. C'est ce qui fait le talent.

Celui qui s"épanouit le mieux dans un tel monde, c'est celui qui désire le plus. La vraie motivation c'est l'intérêt, la satisfaction de l'ego qui permet de satisfaire la force de ce désir. Le monde marchand est donc celui qui assure, dans une vision politique, la garantie de l'autonomie et de la liberté des gens. Les relations entre ces gens sont alors des relations d' "affaires". Dans ce monde, il n'y a pas de relations contraignantes (liées à la famille par exemple, ou aux positions hiérarchiques ou aux honneurs civiques), mais les gens y sont libérés, pouvant se prêter à toute occasion de transaction

Dans ce monde, l'écoute des autres est aussi importante : écouter pour permettre de faire marcher au mieux les affaires. Par contre un détachement à l'égard de soi-même est un facteur considéré comme favorable : Pour faire des affaires, il faut une distance émotionnelle, contrôler ses émotions, pour pouvoir saisir toutes les opportunités.

C'est pourquoi ce monde marchand entre facilement en conflit avec le "monde inspiré"qui est le monde de l'authentique, de l'élan spirituel, de la création. Dans les affaires, il faut du "sang froid"

On voit bien que celui qui se situera trop exclusivement dans ce monde marchand du désir peut facilement se trouver en conflit avec les autres mondes, et même le perdre : la richesse recherchée peut amener à créer une confusion entre les biens et les personnes, et donner l'illusion de posséder la personne des autres et non seulement les biens désirés. Les moments de tension apparaissent aux frontières des mondes : Ainsi, si je vend la canne de l'oncle Albert, objet de famille, je crée une tension entre le monde marchand et le monde domestique. Si je fais des affaires en vendant cher des objets et gadgets peu utiles et ne répondant pas à un réel besoin, je crée une tension entre le monde marchand et le monde industriel.Car le monde industriel n'aime pas la consommation ostentatoire, ni les effets de mode. Il aime la technique, ce que l'on peut programmer et planifier, et non les fluctuations de la demande et des prix des choses.

Ainsi, avec Boltanski et Thévenot, pouvons-nous mieux nous situer dans ce monde marchand, et nous ouvrir aux autres mondes pour ne pas nous y enfermer.


Qu'est-ce qui est grand ?

GrandeurEn observant une organisation, une entreprise, et les personnes qui y travaillent et interagissent entre elles et avec l'extérieur, on peut repérer des codes de conduite, des façons de voir le monde. Comme si la communauté qui y vit se trouvait dans un monde particulier.

C'est cet exercice qu'un sociologue, Luc Boltanski, et un économiste, Laurent Thévenot, ont entrepris dans leur ouvrage " De la justification - Les économies de la grandeur" paru il y a plus de vingt ans déjà (1991). (j'avais déjà parlé de cet ouvrage ICI à propos de ma rencontre avec le nez de Hermès). La justification, c'est l'opération d'argumentation qui consiste à faire valoir le bien-fondé de quelque chose, une parole ou une action.

Ils construisent ainsi une théorie des "économies de la grandeur", où ils distinguent des "mondes" dans lesquels certains êtres sont "grands" et d'autres "petits". Et justement, selon le "monde" de référence, ce ne sont pas les mêmes personnes qui sont perçues et reconnues comme "grandes" ou "petites".

Ils distinguent six "mondes" correspondant à six catégories, dont aucune ne correspond à un monde ou une organisation réels; car nous sommes simultanément dans plusieurs "mondes" selon les circonstances. Ces modèles servent surtout à repérer dans quels monde nous nous situons à un moment donné, et dans quels "mondes" se situent les autres; permettant ainsi de mieux comprendre les sources de conflits potentiels.

Ces mondes sont : le monde de l'inspiration, le monde domestique, le monde de l'opinion, le monde civique, le monde marchand, le monde industriel.

Le monde de l'inspiration, c'est celui de l'intuition, du jaillissement créatif. Y est grand le créateur, l'inventeur; inversement le "petit" c'est celui qui se dit "pragmatique".

Le monde domestique, c'est celui de la tradition, du respect pour les anciens de la famille, de la loyauté, de la hiérarchie. Y est grand celui qui est inséré dans la hiérarchie, qui est grand parce qu'il est apprécié par des plus grands que lui; Il est grand car inséré dans la tradition, correct, bien élevé. Inversement le "petit" c'est le révolutionnaire,l'anarchiste, qui ne respecte pas la tradition.

Le monde de l'opinion, c'est le monde de la réputation et de la reconnaissance. Ce qui compte c'est le jugement de l'opinion, l'image dans le public, le succès reconnu. Y est grand celui qui est une star; Inversement, le petit, c'est l'anonyme, celui que personne ne connaît, l'être "banal".

Le monde civique, c'est le monde de l'accord collectif; dans ce monde ce qui compte c'est le collectif et la représentation du collectif; l'action n'y est pas une addition d'actions ou d'initiatives individuelles, mais une action "collective". Y est grand celui qui fait passer l'intérêt collectif avant tout autre intérêt; grand parce qu'il représente le collectif (il est élu, désigné, a recueilli sa légitimité par le vote). Le petit, inversement, c'est celui qui sera désigné comme égoïste.

Le monde marchand, c'est le monde de la concurrence, du marché; ce qui fait la valeur des choses, c'est le prix.Dans ce monde, tout a un coût, une valeur marchande. Y est grand celui qui réussit dans les affaires, le riche. Inversement le petit, c'est simple, c'est le pauvre. 

Le monde industriel, c'est le monde de l'efficacité, de la science, des ingénieurs, des méthodes scientifiques. A tout problème il y a une solution rationnelle. Ce qui compte dans ce monde, c'est la performance, la mesure, les procédures, le contrôle. Y est grand l'expert, celui qui a une qualification professionnelle, qui aime les plans, les budgets, les calendriers, les plans d'actions. Il est responsable, il maîtrise. Inversement, le petit, c'est le psychanalyste.

Forcément ces mondes s'opposent.

On peut jouer pour soi, son organisation, les autres : dans quel monde est-ce que je me sens le mieux? Et qu'est-ce qui est grand pour moi?

 


La pratique de soi

Confiance-en-soiÊtre Soi-même, comme ICI, ou être authentique comme ICI, est-ce se comporter comme on pense être, comme un être fini, avec ses défauts et ses qualités, avec lequel les autres doivent composer ? Comme si être soi-même consistait à demander aux autres de faire des concessions pour nous accepter "tel que je suis", et non l'inverse; se brider, se retenir, s'efforcer de composer, ce serait se trahir?

Une telle vision de l' "être soi-même" paraît quand même étrange, non?

Vrin vient de publier une conférence de Michel Foucault à l'Université de Berkeley, en avril 1983, avec pour titre " La culture de soi", qui vient heureusement nous éclairer sur cette question. 

On y lit, en référence au concept grec d'epimeleia heautou, que Michel Foucault traduit par " s'occuper de soi-même", Et "s'occuper de soi-même", c'est autre chose que le concept que nous avons retenus de "se connaître soi-même', comme si la connaissance avait pris le pas sur le "souci" de soi. 

Or se soucier de soi, ce n'est pas se connaître, mais changer son attitude à l'égard de soi-même; c'est un principe d'attention perpétuelle à soi tout au long de sa vie. Elle a fonction curative et thérapeutique.

Un moyen de cette culture de soi, c'est l'usage de carnets personnels, de notes de lectures, de notes sur nos rêves : c'est une pratique très ancienne.

Je cite Michel Foucault :

" Ecrire des lettres était quelque chose d'important dans ses pratiques de soi parce que, dans une lettre, vous devez entretenir en même temps une relation à vous-même et une relation à quelqu'un d'autre, qui peut être un directeur, ou un ami, ou quelqu'un à qui vous donnez des conseils qui sont valables à la fois pour lui et pour vous".

Pour Michel Foucault cette pratique de soi ne consiste pas à se libérer de soi, comme si on se dévoilait en se connaissant de mieux en mieux, mais au contraire de considérer comment il est possible de construire de nouveaux types de relations à nous-mêmes.

Un peu plus compliqué que de dire "moi, j'suis comme ça" en se racontant sur les réseaux sociaux.

 


Pourquoi être soi-même dans l'entreprise?

WholenessVous connaissez ces entreprises où les employés ne sont pas complètement eux-mêmes. 

On y joue des jeux d'Ego;

On a peur de s'exprimer; on essaye de se comporter comme on pense qu'il faut être, en masquant derrière la peur ce qui pourrait trahir notre vraie personnalité...

Et comment ça se passe dans de telles entreprises? 

Et si on passait à un autre modèle?

C'est le thème de ma chronique du mois sur "Envie d'Entreprendre", ICI.

Soyez vous-même : allez y en entier...