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A qui se comparer ?

ComparaisonC'est une habitude que l'on a toujours dans nos entreprises, et aussi une des fonctions des consultants, ces abeilles qui passent d'entreprise en entreprise : comment font les autres pour résoudre les questions que je me pose? Que font les meilleurs? Quelles sont les "best practices"? Cette approche a ses limites, j'en ai déjà parlé, par exemple ICI, pour indiquer, citant Michael Porter que l'efficacité opérationnelle ne peut pas se substituer à la stratégie.

Néanmoins on aime bien se comparer. Une question est alors : A qui ?

Un article dans la revue Harvard Business Review ( ICI) de trois chercheurs Marion Poetz, Nikolaus Franke et Martin Schreier vient nous rappeler que ce n'est pas dans notre propre industrie ou secteur que nous trouverons les meilleures idées et les ruptures. Ils ont notamment mené une expérience pour tenter d'expliquer et de résoudre un problème récurrent : pourquoi ne met-on pas les équipements de sécurité? Ils ont ainsi interrogé des couvreurs, des menuisiers et des skateurs. Les couvreurs ne mettent pas leurs ceinture de sécurité, les menuisiers ne mettent pas leur masque, les skateurs ne mettent pas leurs protege-genoux. Et bien ils se sont aperçus que c'étaient les couvreurs qui imaginaient les meilleures solutions pour les skateurs, et les couvreurs pour les menuisiers...

Le graphique est éloquent :

Graphique111

Belle démonstration qu'il est plus utile d'aller chercher en dehors de son cercle immédiat pour imaginer des solutions en rupture.


Entre-Soi

Perroquets22Fréquenter une réunion de fanatiques du "digitâââlllll" est toujours pour moi une expérience extraordinaire, comme un voyage dans l'espace...J'y étais la semaine dernière, je n'ai pas été déçu...

Facile de se repérer : le nom de la "conférence" est toujours en anglais : c'est le "Day", le "Future quelque chose", le "Digital..." là vous mettez "Summit" ou n'importe quoi.

Les participants ont plutôt la quarantaine, voire plus; mais ils se croient "jeunes et dans le coup". iIs sont faciles à identifier : ils font tous semblant d'être de trés bons amis, même si ils se connaissent à peine, ne se rencontrant que dans ce type d'évènements. Ils sont présents mais ils ne vont pas regarder ce qui se passe : ils ont les yeux sur leur smartphone ou leur tablette; ils n'ont pas besoin d'écouter non plus ce qui se dit; ils vont juste capter les quelques phrases courtes et banales qu'ils croient comprendre pour les envoyer sur facebook ou twitter, avec une photo si possible : " Le digitââlll, c'est important !" (wahou !); " si l'entreprise ne va pas vite dans le digital, elle mourra" (ouhhh, tu me fais peur !).Cela distrait.

Car la caractéristique de ces agents du "digital", c'est leur forte attirance pour ce que l'on pourrait appeler le marketing de la peur : cela consiste exercer un chantage implicite et permanent du type : " Si vous ne faites pas rapidement la mutation digitale, vous êtes morts. Et nous pouvons nous seuls vous sauver". Car il y a pas mal de consultants "freelance" dans ces assemblées; ils sont heureux car ils n'ont pas payé l'entrée de la conférence (normal, ils ont un copain qui leur a filé l'entrée gratuite..), Cela leur confère une certaine noblesse. Ils sont consultants mais ils manquent de clients, alors ils restent discrets sur ceux-ci. Mais ils ont par contre beaucoup de certitudes. Pour eux, leur avance dans ce qu'ils pensent être la bonne vision des technologies est le garant pour leur permettre de prophétiser le pire si jamais le basculement dans le digital souffre le moindre délai.

Autre caractéristique des débats de ce genre d'instances, c'est de croire que tous les métiers de l'entreprise vont être "digital"; le reste : vous parlez de quoi ?

Ils ont tellement ramé pour essayer d'être encore jeunes dans leurs entreprises, à coup de remise en cause, pour pas être écrasés par la jeune génération qui leur mord les chevilles, qu'ils s'accrochent pour paraître dans le coup maintenant. Les informaticiens, les managers des RH, ils font tous comme si...Ils sont un peu écartelés entre leurs premières années professionnelles, où ils croyaient que pour progresser il fallait copier les anciens; et la suite, où ils pensent que pour ne pas se faire sortir il faut maintenant faire comme les jeunes et les "geeks". Ils veulent  embaucher des "geeks" pour pouvoir leur piquer leurs tics et expressions. Comme une maman qui s'habille comme sa fille...

Bien sûr, dans cette vaste foire aux vanités que constituent ces conférences, on ne parle pas vraiment de l'entreprise, ni de management; on "réseaute", dans un exercice consistant à exhiber ses plumes à un maximum de gens. On racontera tout ça sur les réseaux "sociaux". 

Pas sûr du tout que cette chorégraphie fasse progresser la stratégie et l'organisation des entreprises en matière de transformation numérique.

Un dirigeant d'un grand groupe (présent sur l'estrade face à ces fanatiques) a osé le faire remarquer à un moment : tous ces métiers du "digital" constituent une "élite" qui ne représente pas la totalité de l'entreprise; ces métiers sont occupés par une élite majoritairement masculine (plus de 90%), plutôt de race blanche, occidentale, trés silicon valley : pas d'hispano, pas de diversité; et si à 35 ans vous n'êtes pas devenus milliardaires dans la silicon valley c'est qu'il est temps pour vous de passer "côte Est", car il n'y a plus rien pour vous dans le quartier. Tout content de sa sortie, il est ensuite parti trés vite,...peur de se faire agresser ? laissant les fanatiques assouvir leur envie de tweets sur les intervenants suivants. Car le casting des témoins sur la scène s'enchainait trés vite.

Oui, ces exercices d'"entre-soi" sont une vraie représentation des difficultés de cette histoire de "digital". Tant que cela reste un dialogue entre soi, ça n'avance pas; les dialogues de sourds entre gens convaincus qui ne s'écoutent pas, et snobent ou culpabilisent tous ceux qui ne sont pas comme eux, ne font rien avancer. Les grandes entreprises ont d'ailleurs encore du mal à intégrer ces nouveaux styles.

La transformation digitale est bien sûr un vrai sujet pour nos entreprises; mais elle a besoin d'empathie, de diversité, d'inclusion (faire participer les personnalités et métiers les plus divers), de croisement de générations (ces quarantenaires arrogants ont aussi besoin de cette nouvelle génération Y qui leur fait peur, ou les hypnotise..); l'inverse de la culture de la honte et de l'exclusion (tu n'es pas comme moi, honte à toi).

Cette empathie dont nous avons besoin, elle s'oppose à ce fanatisme de l'urgence (le digital, vite, vite...), car ce que nous avons à construire, c'est un changement durable et permanent, un changement culturel. Qui entraîne tout le monde.

On sait que tout s'accélère, mais pour emmener l'entreprise dans ce changement accéléré, il faut probablement un peu plus que ces "entre soi" de fanatiques. Il y a encore du travail assurément.


Le courage d'Aristote

Courage2Un auteur surprend dans cette rentrée. Ce n'est pas un nouveau venu, ni un auteur de best sellers; il est au contraire depuis longtemps dans le domaine public...

Il s'agit d'Aristote, dont Flammarion publie une nouvelle traduction des oeuvres complètes dans de nouvelles traductions, sous la direction de Pierre Pellegrin. Le magazine "Philosophie" de novembre y trouve l'occasion de consacrer un dossier au courage.

Pour Aristote, le courage est un juste milieu entre la lâcheté (un excès de crainte) et la témérité (un excès de confiance). Mais le courage n'est pas pour autant, comme le signale Alexandre Jollien dans un des articles, quelque chose de tiède. Le courage est au contraire un sommet à conquérir; le courageux est celui qui prend des risques, mais "calculés". Autre enseignement d'Aristote : le courage, ce n'est pas inné, cela s'apprend. Et chacun a son propre courage, sa vertu; la vertu de mon voisin n'est pas la mienne. Et c'est dans l'action, au quotidien, que se manifeste le courage.

Cette conception du "quotidien" nous interpelle. Dans nos entreprises, dans la société aujourd'hui, il semble que le courage est assimilé d'abord à l'exploit, l'exceptionnel, l'extraordinaire. On valorise celui qui accomplit ces exploits, qui gagne la compétition; d'où ces métaphores avec le monde sportif que j'ai évoqué ICI. Cela, c'est le courage de celui qui fait le malin, qui s'impose par ses actes de gloire, qui en met plein la vue aux autres.

Ce que nous rappelle Aristote, et Alexandre Jollien,, c'est précisément l'inverse : le courage dont on a besoin pour vivre au quotidien, celui dont on a besoin pour habiter parfois la banalité. Ce courage dont on a besoin pour s'inventer chaque jour, renaître et avancer avec les forces disponibles.C'est ce courage de rompre avec la routine mécanique, de toujours chercher autre chose, de sortir des habitudes qui nous enferment, et bloquent nos capacités d'innovation. 

Ce courage du quotidien débouche en fait sur une forme d'altruisme et de générosité particulière.

C'est d'accepter d'être libre qui demande du courage, de se forger sa personnalité, de résister à la pression sociale, de ne pas être le petit mouton qui fait comme les autres.Cette générosité est exigeante.

Pour avancer et combattre ces craintes d'être différent, pour aller contre soi, pour désobéir à ses caprices, il nous faut ce courage d'Aristote. Cela nécessite de fuir toute lâcheté, y compris envers soi même. 

Le courage d'Aristote, c'est aussi de maintenir un cap, de tenir bon dans la durée.

Une citation de Jules Renard :

" Il est plus difficile d'être un honnête homme huit jours qu'un héros un quart d'heure".

Pour Aristote, ne sont courageux ni celui qui est sans peur, ni celui qui affronte le danger par plaisir, mais celui qui craint ce que la raison commande de craindre et affronte ce qu'elle commande d'affronter, si bien que le sujet se comporte de la manière qui convient au citoyen libre et vertueux qu'il est. 

Le courage, comme une vertu permanente et source d'innovation, voilà de quoi inspirer les managers et leaders d'aujourd'hui, à la (re?) lecture d'Aristote, notamment l'Ethique à Eudème sur le courage.


Florent Manaudou veut m'apprendre le management !

ManaudouAh bon ?

C'est quoi cette histoire? 

Voilà un professeur inhabituel...

Mais il va m'apprendre quoi exactement?

Les sportifs sont-ils des héros qui nous enseignent des valeurs, le leadership, et tant d'autres belles choses?

Même les nageurs ?

C'est vrai que le monde du sport et le monde de l'entreprise se font souvent de l'oeil, vous trouvez pas? Le management se pratiquerait comme un sport de compétition.

Il y a même des auteurs qui pensent que l'on manage comme on nage...

C'est le sujet de ma chronique su "Envie d'entreprendre" de ce mois. C'est ICI.

Vous pouvez y aller à la nage...