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Prolepse

BooksL'été est un moment parfait pour lire ce qu'on ne lit pas le reste de l'année. Par exemple des romans épais. 

J'ai ainsi repris "Canada" de Richard Ford; j'avais commencé il y a plusieurs mois, puis laissé, puis repris...Mais je ne l'avais pas mis dans le congélateur ( vous comprendrez plus loin...). Je suis enfin parvenu jusqu'au bout, grâce à cette pause d'août. J'ai adoré.

Ce roman est construit à patir d'une prolepse, puisqu'il commence par :

" D'abord, je vais raconter le hold-up que nos parents ont commis. Ensuite les meurtres, qui se sont produits plus tard. C'est le hold-up qui compte le plus parce qu'il a eu pour effet d'infléchir le cours de nos vies à ma soeur et moi".

( J'ai fait d'ailleurs ma prolepse au début de ce post...vous avez remarqué?).

Il faudra cent pages pour lire ce hold-up, et encore au mois cent cinquante pour lire les meurtres...

Prolepse : figure de style par laquelle sont mentionnés des faits qui se produiront bien plus tard dans l'intrigue. 

Ce décalage entre le récit et la narration se répète dans ce livre à plusieurs occasions. Il annonce à l'avance, rapidement, puis on aura le détail plus tard. On se laisse ainsi porter par ces détails d'une vie, ces rencontres, ces émotions.

C'est l'histoire de Dell Parsons, en 1960, il a quinze ans, dont les parents vont braquer une banque, et qui passera la forntière pour aller au Canada, où il fera de nouvelles rencontres. Il raconte tout ça à 66 ans ( c'est la dernière partie du livre). Tout le livre est une manière de voir le monde, de le subir ( Dell ne se révolte jamais, il vit et subit les évènements, qu'il annonce calmement à coups de prolepses). C'est un roman d'initiation, avec ces basculements de la vie qui viennent en fonction des évènements extérieurs. 

J'ai lu que Richard Ford avait commencé ce récit il y a vingt ans, puis avait mis le manuscrit dans son congélateur, pour le reprendre ensuite ( et oui, la voilà ma prolepse..). C'est donc un livre écrit sur plus de vingt ans.

La deuxième partie est cette partie post-congélateur. C'est celle qui se passe au Canada. Car le roman est celui, comme l'indique Richard Ford dans une interview au Magazine Littéraire " du passage crucial de la frontière. Du franchissement d'une frontière métaphorique entre deux âges, d'une frontière physique entre deux pays, les Etats-Unis et le Canada".

C'est un texte lent, qui raconte doucement, chapitre aprés chapitre, un destin, la perte de l'innocence, l'absurdité tragique qui fait dérailler la vie de ce jeune garçon, et de sa soeur...Et les dernières pages sont celles du vieux professeur qui vient de nous raconter tout ça pendant plus de 450 pages. Après nous avoir tout dit dès les premières lignes.

Les dernières pages sont comme un bilan. " J'avais renoncé à beaucoup de choses. Oui, mais voilà, moi, j'étais satisfait de ce que j'avais eu en retour".

Pour se libérer du poids de sa naissance, des aléas, le héros "essaie"...Ce sont les dernières lignes :

" Ce que je sais, c'est qu'on a plus de chances dans la vie, plus de chances de survivre, quand on tolère bien la perte et le deuil et qu'on réussit à ne pas devenir cynique pour autant; quand on parvient à hiérarchiser, comme le sous-entend Ruskin, à garder la juste mesure des choses, à assembler des éléments disparates pour les intégrer en un tout où le bien ait sa place, même si, avouons-le, le bien ne se laisse pas trouver facilement. On essaie, comme disait ma soeur. On essaie, tous tant que nous sommes. On essaie".

Lire ce livre, dépasser les premières lignes de prolepse pour aller jusqu'à cet "on essaie", voilà une belle expérience. 

Un rapport avec le management et la performance?

Certains disent que la lecture d'oeuvres de fiction est un "must" pour être un meilleur leader, plus empathique. voir ainsi cet article de HBR par exemple ( " to lead, Read"), ou Fast ICI ( "Reading litterature makes you smart"). 

Alors , pour s'inspirer, et prendre ce recul qui permet de dire "On essaie", lisons de la littérature;  le "Canada" de Richard Ford est un bon compagnon.


Faut-il réinventer la réinvention de l'entreprise?

Inventer

J'avais laissé de côté le dernier livre d' Eric Albert paru au début de cette année : " Partager le pouvoir, c'est possible - Réinventer l'entreprise ?", que jj'ai donc ouvert ce mois d'août.

Eric Albert est psychiatre et dirigeant fondateur de l'IFAS, Institut d'action sur le stress. Son job, c'est consultant et coach pour le stress.

Alors, forcément il voit du stress partout. Je crois que c'est le mot qui revient le plus souvent dans son ouvrage : les salariés sont stressés, le capitalisme, ça ne marche plus, trop de stress, l'entreprise, elle est "mortifère" (sic)...Stressant ! A croire qu'il veut faire de chacun de ses lecteurs un de ses futurs clients. 

Le livre est bien fait : il alterne les chapitres où l'auteur décrit le malheur des entreprises et des stressés dans le modèle dit "classique", et les chapitres où il reprend des exemples ( pour la plupart, on a déjà lu ça ailleurs, rien de trés nouveau) d'entreprises qui ont mis en place d'autres modèles. Le message est clair : faites comme eux, car le modèle "classique" est foutu.

Il n'est pas le premier à vouloir nous inciter à réinventer l'entreprise; il fait suite à des auteurs connus, qu'il pompe même un petit peu. C'est ce qui déçoit dans ce livre : on n'y apprend rien de nouveau; c'est un bon condensé de la pensée ambiante, celle qui prône un leadership un peu moraliste : la confiance dans les autres, la suppression des hiérarchies, le collectif d'abord qui prime sur la performance individuelle, la prise en compte des trois finalités, économique, sociétale et environnementale. Les américains ont trouvé le mot pour ça, " servant leadership", le leadership qui s'intéresse aux autres. La plupart des cas cités comme des modèles de "réinvention" de l'entreprise sont connus depuis une dizaine d'années. Pas beaucoup de scoops.Ni d'incursions dans les modèles des entreprises d'aujourd'hui, notamment les start up qui cassent les modèles.

Alors on y retrouve l'entreprise FAVI, PME sous-traitante dans le secteur de l'automobile, 80 M€ de CA en 2012, dont le dirigeant Jean-François Zobrist s'est rendu célèbre en pronant un modèle de management fondé sur la confiance et l'autonomie. Il a lâché la Direction en 2008, mais continue à faire le tour des conférences et tables-rondes ( il suffit de chercher son nom sur You Tube pour y trouver le best of de ses vidéos...). Mais Eric Albert est aussi aller chercher des bons "clients" de ce genre de démonstration : GoreTex et ...Google; toujours les mêmes. Ces entreprises présentées comme les modèles du bon vivre et de l'autonomie. Il reparle de cette histoire du temps libre de 20% chez Google pour que les employés développent des projets personnels ( oubliant de signaler que cette pratique a été supprimée chez Google depuis plus d'un an...à moins qu'il ne soit pas au courant).

Autre sujet : l'actionnariat salarié. Là, Eric Albert va chercher ESSILOR et son modèle d'actionnariat; en puisant dans les mémoires de son ex-dirigeant Xavier Fontanet, il nous présente, rapidement, cette entreprise où " les salariés constituent donc les premiers actionnaires du groupe et tout est organisé pour qu'ils considèrent l'entreprise comme la leur".

On passe ensuite aux entreprises familiales, celles qui ne sont pas seulement un " actif rentable, mais un prolongement affectif et identitaire de la famille. Cet investissement affectif donne à l'entreprise une tout autre valeur". 

Bon ça, ce sont les chapitres impairs.C'est génial !

Avec les chapitres pairs, on change de monde...un vrai train fantôme. C'est tellement horrible que dans ces chapitres, les affreuses entreprises dont l'auteur nous parle n'ont pas de nom. Mais les titres des chapitres suffisent à nous faire peur : " L'entreprise mortifère", " Recherche motivation, désespérément", " La tyrannie du reporting", " Stresser et décevoir", ' Prends l'oseille et tire-toi", Managers au bord de la crise de nerfs", et bien sûr " l'entreprise dans l'impasse", qui nous permet de frémir au contact de ces entreprises qui "étouffent sous les contradictions qu'elles n'arrivent pas à résoudre". 

Dans ces entreprises anonymes, forcément les managers sont des sales cons,les dirigeants des traîtres ou des impuissants, les actionnaires des rats avides,...on connait la chanson...

Ce balancement entre l'enfer anonyme des chapitres pairs, et les bisounours des chapitres impairs où tout le monde est heureux dans des entreprises formidables, m'a un peu gêné.

Eric Albert nous avertit que cela ne changera pas aussi facilement. Car les résistances sont là : " On sous estime toujours l'inconfort de celui auquel on impose le chagement. Dès lors s'installe un autre type de confrontation entre ceux qui, au sommet, voient avec inquiétude le monde évoluer et mesurent la nécessité de s'y adapter, et ceux qui, à la base, vivent ces évolutions comme une agression qui les remet sans cesse en cause".

Alors, il nous livre son conseil : les trois conditions pour que le changement réussisse...On retient notre souffle :

1. Qu'il donne du sens au travail quotidien, c'est à dire qu'il soit rapproché d'une finalité dans laquelle le collaborateur se retrouve,

2. Que l'entreprise ait développé une vraie culture du chagement,

3. Savoir ce que l'on ne change pas.

Admettons.....Rien de trés nouveau sous le soleil.

Et si on réinventait la réinvention de l'entreprise ?

Eric Albert nous y encourage d'ailleurs, car son livre ne donne pas de solutions toutes faites. IL décrit quelques exemples, il charge (un peu trop à mon goût) les entreprises "destructrices" et le capitalisme "finissant " ( un peu vite...).

Mais il nous passe la main pour écrire la suite dans nos propres entreprises :

" Les pistes sont innombrables, et beaucoup restent à réinventer".

Chiche?


Histoire d'aiguillon et de malthusiens

ChangermondeLe Figaro consacre une page aujourd'hui à l'entreprise Schneider Electric, à ses origines, et à ses transformations, on dirait même mutations, jusqu'à aujourd'hui. Des secteurs entiers abandonnés (la sidérurgie, la métallurgie, en déclin dès les années 80), d'autres qui sont investis au bon moment ( l'électricité). Les rachats, les échecs aussi ( cette fusion avec Legrand, retoquée par la Commission Européenne).

J'aime bien relire les débuts des histoires des entreprises qu'on appelle aujourd'hui "les grands groupes", en les considérant comme des dinosaures qui ne comprennent rien aux start-up... Pourtant toutes les entreprises commencent comme des histoires d'entrepreneurs.

Une start-up de 1836, ça nous change du web...Mais la passion est la même.

Cela commence comme un conte de fée, comme toutes les histoires d'entrepreneurs a posteriori...

Il était une fois...

Deux frères, Adolphe et Eugène Schneider, reprennent en 1836 les forges du Creusot, en Bourgogne.Leur volonté, leur intuition : participer à la révolution industrielle qui démarre, enfin, en France, en retard par rapport à l'Angleterre et à l'Allemagne. 

Alors en 1838, c'est la première locomotive à vapeur. En 25 ans, 1500 locomotives vont sortir des usines du Creusot. Le réseau ferré va donner des ailes : 3500 kms en 1851, et multiplié par 5 en vingt ans...Alors les Schneider se lancent dans les bateaux à vapeur, les premiers en 1839.

Forcément cette expansion est portée par une ambition, un "aiguillon" dit Armelle Bohineust dans son article, et le mot est bien choisi : cet aiguillon, c'est L'industrie française qui doit à tout prix ratrapper son retard sur sa rivale anglaise.Tout cela porté par des innovations qui vont faire prendre de l'avance ( telles que le marteau pilon à vapeur par l'ingénieur François Bourdon).

Cet aiguillon, celui qui porte en avant une ambition qui nous dépasse, qui nous incarne, c'est précisément ce qui empêche de grandir ceux qui n'en ont pas.

Vous les connaissez comme moi, ces managers, aussi dans ces entreprises moyennes ou start up qui n'arrivent pas à grandir eux-mêmes, et butent pour faire grandir leur entreprise, même si celle-ci connaît un début prometteur. A un moment ça bute.

.Ce sont  des "malthusiens malgré eux" ( je relève cette expression dans le livre de Thierry Chavel à propos du "coaching de soi").

Malthus, c'est cet auteur qui voyait notre salut dans le contrôle de la démographie pour juguler le développement. Cette expression de "malthusien" est devenu le symbole de ceux qui, même inconsciemment, freinent leur développement.

Ces entrepreneurs et managers "malthusiens malgré eux", ce sont ceux qui, souvent par manque de confiance en eux, brident leur potentiel de progression et de  développement personnel en s'enfermant dans un système logique mais clos qui les "empêche de réussir comme certains enfants refusent de grandir".

Ce sont par exemple ces managers qui se grisent dans le développement commercial de leurs activités, aves succès, surtout au début,en oubliant de s'incarner dans une vision, la remplaçant par un activisme et des efforts continus. Pour eux l'aiguillon qu'ils croient suffisant, c'est la réussite matérielle, qu'il peuvent percevoir comme une façon de se protéger de la peur de la mort...Alors, on court en espérant que cela dure le plus longremps possible. Pas besoin d' "aiguillon", ça leur suffit, disent-ils...Ne dites surtout pas à ces managers qu'ils sont dans une fuite en avant, ils vous regarderaient avec le mépris de celui qui est convaincu que c'est vous qui n'avez vraiment rien compris.

Sauf que non...

Car s'incarner, c'est aller chercher ce qui fera que le monde ne s'écroulera pas quand les locomotives et les bâteaux à vapeur du succès pourront être remplacés par l'électricité, ce qui fera aussi que ce ne sera pas la catastrophe quand on predra un appel d'offres, ou un client important; parce qu'un souffle, une incarnation, resteront présents pour donner cette "vapeur" à l'entreprise, au-delà des générations, au-delà des aléas de la vie professionnelle.

 S'incarner, encore une expression que je reprend de Thierry Chavel dans son ouvrage, c'est " transmettre un capital symbolique". C'est faire autorité, et pas seulement par les réussites commerciales, car " Faire autorité, c'est gérer du symbole".

Les entrepreneurs de Schneider n'en manquaient pas.Cet héritage est encore là, bien repris, et transformé, par leurs successeurs, dont Didier Pineau-Valenciennes qui relate avec émotion son passage dans cette entreprise dans un ouvrage au titre poétique, " dans la boucle de l'hirondelle",que je fais lire  autour de moi à des managers en mal d'inspiration... managériale. 

Alors, pour grandir en tant que managers et dirigeants, et diriger l'entreprise loin : allons chercher cet aiguillon et ce capital symbolique. Il est souvent là où on ne le cherche pas :  à l'intérieur de nous-mêmes.


Droit au but ?

DroitaubutSommes-nous dans un temps où la forme n'a plus la forme? Où pour communiquer, il faut parler "vrai", c'est à dire direct, sans ménager les formes? Cela rappelle le débat entre Démosthène et Cicéron que j'ai déjà évoqué ICI.

Mais c'est d'autre chose dont palre Alain Finkelkraut dans "l'identité malheureuse" et où je trouve cette inspiration.

 Il parle de notre époque comme d'un " nouveau régime sémantique" ( on comprend bien qu'il ne l'aime pas trop ce "nouveau" régime...lui, il a la nostalgie de l'ancien) :

" Pour le nouveau régime sémantique, la forme ne compte pour rien, seul le sens fait sens".

Et donc, à quoi bon "mettre les formes" ? Il faut aller "droit au but". 

" On ne s'embarasse pas de nuances ni d'effets oratoires. On ne sacrifie plus aux apparences : on se met à l'aise".

On est dans "l'affect brut"; Fi du jeu social, des contraintes du monde. Et si vous vous émouvez de cette absence de retenue, la société vous répond " On va se gêner !".

Ces postures, on les rencontre effectivement autour de nous, non? J'en connais de ces personnes, notamment les jeunes, mais pas que, qui aiment parler d'eux comme étant " nature", et "disent ce qu'elles pensent". C'est pour elles synonyme de sincérité, de "juste"; elles en rajoutent dans la provocation, pour bien exprimer qu'elles ne sont pas "dupes" des convenances, des règles, tous ces trucs désuets.

Alain Finkelkraut nous aide à aller plus loin dans la réflexion et l'analyse, même si il est peut-être un peu audacieux de généraliser comme il semble le faire en mettant tous ses contemporains, sauf lui et ses admirateurs, dans le même sac.

Deux conceptions de la vérité s'opposent dans cette histoire.

Dans la première, l'homme véridique est celui qui s'accomplit dans le défi qu'il se lance pour ressembler à l'image qu'il a décidé de se donner lui-même. 

Dans la deuxième, l'homme vrai, c'est celui qui se réalise en se désinhibant : il existe en dénonçant les "tabous, les faux-semblants, les protocoles". 

Pour Alain Finkelkraut, la messe est dite : " c'est ce second modèle que notre temps a choisi". On sent à le lire combien il le regrette.

On pourrait croire que cela a peu d'importance. Mais, prenons le temps d'y rester un peu :

Celles qui y ont perdu, ce sont "les apparences" : " Devenues mensongères, les apparences ont perdu la partie".

Et avec elles, toutes les références à l'Histoire, aux ancêtres, aux "classiques" : Quand on est "vrai" sans se "faire chier", on croit être "soi-même", on n'a pas besoin de références, ni de culture générale; on dit ce qu'on pense, quoi ! Et "Fuck Victo Hugo !" comme le disait un tweet d'un bachelier 2014, relevé par Alain Finkelkraut lors d'un débat ICI. Et de déplorer la suppression des épreuves de culture générale dans les épreuves des concours administratifs par le gouvernement de 2008 (on se rappelle des déclarations de Nicolas Sarkozy contre la "princesse de Clèves"), et la même décision par Sciences Po en 2011. L'idée est la même : la culture générale, favorise les favorisés; elle avantage la "Vieille France" au détriment de la nouvelle, la "bourgeoisie traditionnelle" au détriment des "minorités ethniques".

Notre auteur de 65 ans, tout juste retraité de son poste de professeur à l'Ecole Polytechnique, y voit aussi la fin des "vieux" :

Être vieux, aujourd'hui, " ce n'est plus avoir de l'expérience, c'est, maintenant que l'humanité a changé d'élément, en manquer. Ce n'est plus être le dépositaire d'un savoir, d'une sagesse, d'une histoire ou d'un métier, c'est être handicapé. Les adultes étaient les représentants du monde auprès des nouveaux venus, ils sont désormais ces étrangers, ces empotés, ces cul-terreux, que les digital natives regardent du haut de leur cybersupériorité incontestable".

Ce sont ainsi les anciennes générations qui doivent changer : A elles " d'entamer leur rééducation. Aux parents et aux professeurs de calquer leurs pratiques sur les façons d'être, de regarder, de s'informer et de communiquer de la ville dont les princes sont les enfants".

Le regret qu'exprime Alain Finkelkraut, et que l'on ressent, c'est celui de ce que les Grecs appellaient l' aidos : "c'est la restriction de l'estime de soi-même au fondement de ce que nous appelons aujourd(hui le vivre ensemble".

Être cool, ne s'embarasser de rien, aller "droit au but", c'est l'anti-aidos. Alors que les formes sont d'abord un souci moral, le souci d'autrui. En clair, faire "cash", c'est se foutre des autres en fait. Ce qui disparaît avec les formes, ce sont les égards envers l'autre.

" Quand je met les formes, je respecte un usage, bien sûr, je joue un rôle, sans doute, je trahis mes originespeut-être. Mais surtout je fais savoir à l'autre ou aux autres qu'ils comptent pour moi. Je les salue, je m'incline devant eux, je prend acte de leur existence en atténuant la mienne". 

C'est sûr que l'on est loin des comportements de ceux que Alain Finkelkraut appelle " la troupe innombrable des sans-vergogne". On croit les reconnaître :  " ceux qui n'entendent pas le bruit qu'ils font; ceux qui, le casque sur les oreilles, traversent le monde sans voir personne; ceux qui téléphonent en public; et qui insultent le confident invonlontaire de leurs petits tracas ou de leurs grands chagrins quand ce dernier s'avise de leur rappeler sa présence".

Et le coup de grâce :

" La démocratie a eu raison de la culture générale. Elle l'a remplacée, sans crier gare, par la culture généralisée".

 Voilà bien des paroles de celui que nombreux n'hésiteront pas à traiter de vieux con, au nom de cette modernité et de cette nouvelle forme de liberté.

Mais comment ne pas y voir aussi le signe de la difficulté de faire vivre une identité collective dans une communauté humaine, et même dans l'entreprise, creuset de toutes ces formes de comportement. C'était précisément le thème du séminaire dont j'ai parlé ICI. 

Plaidoyer pour l'aidos....On en a peut-être encore besoin, finalement.... 


Comment penser la disruption...et la faire ?

LittlemissmatchedVous devez connaître comme moi ces personnes dont on dit qu ' "elles ont plein d'idées"...On en trouve même dans les entreprises, et pas que les start-up. Quand on parle d'innovation et de rupture à ces personnes, elles vous répondent que les idées, c'est bon ,elles les ont, mais maintenant leur problème, c'est l'éxécution..

Pas si sûr.

Car ces idées, où sont-elles finalement? Dans la tête de quelques personnes, et même de personnes qui n'osent pas en parler (ça doit être une bêtise !). Ou bien elles circulent dans les conversations, dans les cafétarias, mais on n'en fait pas grand chose...Ce que ces personnes appellent des "idées" ne sont en fait rien d'exploitable et d'utile pour en tirer de vrais "solutions" et de réels business. On lance bien sûr des initiatives, grâce à ces personnes qui ont plein d'idées, mais ce n'est pas comme ça que l'on crée une entreprise que l'on pourrait qualifier d'innovante.

Alors on fait comment si on cherche les ruptures, les "disruptions" qui vont faire la différence.

J'ai trouvé plein d'idées (Ah, Ah) dans le petit manuel de Luke Williams, " Disrupt - Think the Unthinkable to spark transformation". 

Pour Luke Williams, tout commence par des hypothèses de rupture, et non par des idées, et encore moins par "un problème" ( c'est le truc en ce moment, de dire que pour trouver des idées qui marchent il faut chercher les problèmes..) : en fait, parfois, ce sont des aspects d'une situation qui marchent trés bien, mais qu'on ne pense pas à challenger, qui peuvent créer la disruption, et des opportunités riches pour l'innovation. C'est pourquoi on commence par cette phase de recherche d'hypothèses de disruption, celle qui va aller traquer les "clichés", les habitudes qu'on n'ose plus remettre en cause.

Tiens par exemple : le chaussettes : et si (on commence toujours pas "et si"..) elles étaient dépareillées; et si elles se vendaient par trois au lieu de deux...des trucs sans aucun sens, n'est-ce pas?

Puis Luke Williams déroule : ce sont les hypothèses qui donnent les observations (on observe pour confirmer les hypothèses, ou bien les abandonner), puis les observations donnent les intuitions ( "insight"), puis ces "insight" donnent des opportunités, puis ces opportunités donnent des...idées. Puis les idées débouchent sur des "solutions".

Mais pour que les "idées" soient vraiment des idées, Luke nous dit de les formaliser, de les répertorier ( et non seulement de clamer aue l'on a "plein d'idées"..); Pour cela il faut leur donner :

- un nom : un nom qui marque l'idée; par exemple Blackberry, Paypal, Fedex,...vous voyez le genre..Qui fait ça?

- une description: une seule phrase; qui dit QUOI, POUR QUI, POURQUOI (bénéfice de l'idée), COMMENT ce bénéfice est délivré?

- Ce qui rend DIFFERENT : faut bien cibler,

- VISUALISER : comment ça marche? un dessin? une photo? quelque chose pour VOIR l'idée : on retrouve cette composante importante de l'innovation, le DESIGN.

Tout le process a l'air simple il suffit de le suivre pas à pas pour mettre en oeuvre la disruption.

Tiens, cette histoire de chaussettes dépareillées, qui se vendent par trois... : LITTLE MISS MATCHED !

Un concepteur de chaussettes dépareillées qui se vendent par trois, pour les petites filles de 8 à 14 ans(encore une des phases de la méthode de Luke Williams : bien vérifier que le produit est accepté par la cilble des clients); et puis les mamans s'y sont mises; et puis la gamme s'est étendue, et puis maintenant il y a aussi pour les hommes, et puis les boutiques fleurissent, les accords de distribution arrivent, etc... Et les investisseurs s'y intéressent.

Alors pour disrupter, il suffit parfois de regarder les pieds des petites filles.... Lmmsocks

C'est simple non ?

 D'ailleurs cette méthode s'applique aussi quand on cherche à améliorer un process ou une organisation : on commence par les hypothèses et les insights; puis on trouve les idées et solutions.