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Le name dropping démasqué

NamedroppingRobert Cialdini a analysé ce qu'il appelle les "mécanismes et les techniques de persuasion" dans ce best-seller " Influence et manipulation" ( The psychology of persuasion) en 1984. J'en ai parlé ICI.

En fait, ce livre se présente comme une prévention contre ces mécanismes : je me suis fait avoir; j'ai compris; je vous apprend à ne pas vous faire avoir. On peut donc le lire au premier degré (je vais utiliser ces mécanismes pour influencer les autres), comme un antidote (comment éviter de me faire avoir, en démasquant les imposteurs), ou bien en cherchant à les appliquer avec éthique ( c'est ainsi que Robert Cialdini est devenu un guru de ces techniques, appliquées avec éthique).

C'est ainsi que l'auteur fait référence au "principe d'association" et aux personnes qui se spécialisent dans l'utilisation de ce principe. Le moins que l'on puisse dire, c'est que ces personnes se sont multipliées, et, à mon avis, encore plus grâce aux nouvelles technologies.

De quoi s'agit-il ?

Ce principe est simple : nous avons tendance à attribuer à un élément A une valeur, positive ou négative, liée à celle d'un élément B qui lui est associé d'une manière ou d'une autre, même si ces deux éléments n'ont au fond, rien à voir entre eux. C'est ainsi que toutes sortes de choses aimables peuvent prêter leurs qualités sympathiques aux idées, produits, personnes, qu'on leur a artificiellement associés.

On connaît le truc : une belle femme assise sur le capot d'une voiture, et la voiture nous semble sexy, plus rapide, plus performante. La publicité a bien compris ce principe d'association.

Mais Robert Cialdini nous parle aussi d'un type de personnes qui sont quasi obsédées par le désir de faire rejaillir sur soi la gloire d'autrui. On l'est tous un peu : quand l'équipe de foot a gagné un match, les supporters crient " ON a gagné !" car ils s'associent à l'équipe (et quand l'équipe a perdu on dira plutôt " ILS ont perdu"...).

Mais pour certains c'est l'obsession. 

Ce sont ces personnes qui citent à tout propos des noms célèbres, des personnes qu'elles connaissent, même si ce n'est pas totalement vrai; qui chassent les situations où elles peuvent se faire photographier à côté d'une célébrité. Des personnes comme celles-là, on en trouve plein sur Facebook. Mais aussi sur les réseaux sociaux : elles collectionnent les "amis", surtout les connus qu'elles ne connaissent pas.

Alors, Robert Cialdini, tu en penses quoi de ces personnes qui cherchent à nous influencer positivement sur leur personnalité en se gavant du principe d'association ?

" A mon avis, ce sont des individus qui, à cause d'une faille de leur personnalité, ont besoin de se valoriser. Tout au fond d'eux-mêmes, ils se sentent diminués, ce qui les conduit à gagner l'estime de leurs semblables, non en réalisant quelque chose, non en mettant en valeur leurs qualités, mais en créant ou en affirmant des liens entre eux et les réalisations d'autrui.".

Et vlan !

Une autre forme peut être de tout faire pour mettre en valeur le succès d'autres individus avec lesquels elles ont un lien bien visible ( cette femme un peu sotte qui nous explique que son mari est un homme trés intelligent par exemple, ou cette maman obsédée qui veut faire de son fils une grande vedette).

Il suffit d'y réfléchir un peu pour s'apercevoir que ce principe d'association est partout autour de nous, pratiqué par de nombreux individus...Et en plus ça marche parfois !

Toute l'ambiguïté de l'ouvrage de Robert Cialdini, c'est : il nous conseille de le faire, ou non ? Il nous donne surtout des idées pour ne pas se laisser abusivement influencer par ces personnages "qui se sentent diminués" et ont "une faille dans leur personnalité", et donc savoir leur dire NON : la solution c'est de se rendre compte de l'association et de ne pas se laisser contaminer ( cen 'est pas parce que tu le parles de toutes ces célébrités que tu es célèbre; ce n'est pas parce que tu me racontes toutes ces belles rélaisations de ta boîte que tu es, TOI, quelqu'un de compétent, ce n'est pas parce que tu as dîné avec un homme d'affaires célèbre que tu sais faire de bonnes affaires, etc...).

Mais on peut aussi y voir un conseil : mieux vaut s'asocier avec des personnes qui gagnent,et en côtoyer, que de fréquenter trop de loosers. 

Tout est affaire de mesure, forcément.


L'influence

InfluenceDans les relations commerciales, les propositions, les entretiens de vente, les réponses aux appels d'offres, on est concentré sur le produit, le service, les caractéristiques techniques, on essaye de faire "la meilleure offre", celle qui sera meilleure que celles des concurrents. Parfois on gagne, on a cette meilleure offre, et parfois on perd.

Mais, au-delà de ces caractéristiques techniques et de prix qui s'exercent dans un jeu dit de "libre concurrence", on a aussi le sentiment que d'autres critères, plus secrets, plus immatériels, ont joué : " c'était pipé" ( un concurrent était dans la place et avait la faveur), "untel connaissait untel" (ah, les relations, les pistons). Mais aussi un vendeur qui avait réussi à créer "une relation particulière", qui donnait "confiance". 

On parle alors de ces techniques, de ce savoir-faire, qu'on appelle " l'influence".

Un client me parle de cela cette semaine : on n'est pas trés bons sur l'influence; on paye - cher - des lobbyistes, mais nous n'avons pas, par nous-mêmes, la bonne maîtrise de cette science de l'influence ( il appelle cela une "science").

Sa référence, c'est le livre de Robert Cialdini : " Influence et manipulation - Comprendre et maîtriser les mécanismes et les techniques de persuasion". Cela me rappelle les travaux, français, de Joule et Beauvois, dont j'ai déjà parlé ICI, ICI, ICI. Ce livre de Cialdini date de 1984 (version américaine), mais est encore cité comme une référence. L'auteur, aujourd'hui 69 ans, dirige un institut pour former à ces méthodes d'influence, en précisant que ses motivations sont "éthiques" : influence at work. Ce qu'il enseigne, c'est que de petites choses peuvent tout changer en termes de persuasion et d'influence.

Par exemple, si l'on veut encourager une équipe, est-il préférable de parler du progrès déjà effectué ( " vous avez déjà réalisé X% de l'objectif - bravo") ou bien faut-il plutôt parler de ce qui reste à faire ( " il ne vous reste que Y% de l'objectif à faire") ? Tout ça figure dans le nouveau livre de Cialdini, associé à deux autres auteurs : The small Big.

Et des vidéos nous permettent de patienter.

De quoi s'intéresser de façon plus sérieuse à cette histoire de techniques d'influence. Je vais m'y mettre.

 


Economie du mouvement

MouvementAprés le "séminaire" du gouvernement, c'est Jean-Pisani-Ferry, commissaire général à la stratégie et à la prospective, qui soumet son rapport sur " la France dans 10 ans".  On en a vite oublié le contenu : quelques interviews, et terminé. Pas sûr que les propositions intéressent vraiment le Président de la République ou son Premier Ministre.

Un concept peut retenir notre attention, celui de : l'économie du mouvement.

On n'est pas sûr du tout que la croissance va revenir comme ça. Certains pensent que le ralentissement de l'économie en Occident, aux Etats-Unis et en Europe, sera durable; d'autres voient une vague d'innovations portées par la révolution numérique. Mais d'autres doutent que, si les innovations se réduisent à la production de jeux pour smartphones et à "candy crush", cela provoque une réelle poussée de croissance. Jean-Pisani-Ferry s'en tient à une croissance de 1,5% par an.

Il relève également que, en France, du fait de notre population d'ingénieurs, on a une culture de l'innovation radicale; on aime moins le "progrès incrémental" qui est plus apprécié en Allemagne. Et, notre culture sociale est celle de la stabilité : on n'aime pas trop changer... 

C'est pourquoi il pense que, pour s'en sortir, il nous faut définir une "économie du mouvement".

C'est quoi une économie du mouvement?

Les réformes en France sont toujours des réformes qui limitent leur ambition à ce qui est jugé accceptable par la population à ce moment; résultat : aprés chaque réforme, on attend la suivante. Et donc les comportements ne changent pas. Le mouvement viendra peut-être des nouvelles générations. Jean-Pisani-Ferry fait observer que 40% des 30-34 ans ont reçu une formation supérieure, alors ce n'est le cas que de moins de 20% des 55-64 ans. 

L'économie du mouvement, c'est celle qui va faire émerger plus de PME innovantes, qui va investir dans la Recherche et Développement, qui va faire sortir aussi des entreprises de taille intermédiaires. 

Pas faicile dans un pays où les français, selon Jean-Pisani-ferry, ne "croient plus à la croissance" : d'ailleurs les trentenaires d'aujourd'hui n'ont jamais connu la croissance depuis qu'ils travaillent. 

Tout ça, on l'a déjà lu et entendu de nombreuses fois. Mais on n' a pas encore vu beaucoup de propositions pour vraiment aider cette économie du mouvement : les seuils sociaux qui font peur aux entreprises intermédiaires, les rigidités salariales, tout ça subsiste. Et puis ce CICE, qui a permi de réduire les charges des entreprises en 2013, on va bientôt l'avoir oublié, et on va redevenir comme avant.

Alors, pour l'économie du mouvement, il reste toujours les mêmes : les entrepreneurs, ceux qui veulent oser, qui arrêtent ce qui ne marche pas, qui essayent toujours, prennent les risques,...Les entrepreneurs.

Ceux-là n'ont pas besoin du rapport de Jean-Pisani-ferry pour se motiver.

Mais alors, ce rapport su la France en 2025, il sert à quoi, à qui, finalement?


Moi, Entrepreneur !

Entrepreneur123Il se présente comme "entrepreneur" : il a une nouvelle idée pour rassembler des "investisseurs" et financer des "start-up". Lui, il n'investira pas, il va gérer l'affaire, mettre en relation, se rémunérer avec les commissions et pourcentages...Il connaît des tas de gens qu'il va aller rencontrer; il va souvent aller "bouffer" avec eux, le midi, le soir. C'est le rituel,..."on bouffe". Tous ces "investisseurs" se "connaissent". C'est un petit monde, il croit y vivre.

Il est assis, là en face de moi, dans ce bar où il m'a convié. Il a déjà un verre devant lui; moi, il ne me proposera rien, je resterai là, sans rien commander; ma boisson, ce sera ses paroles, son "projet". Il n'a même pas dû s'en rendre compte.Son centre d'intérêt, c'est lui; moi je suis son "spectateur". Le vrai plaisir, c'est de me nommer des gens "importants", des types qui ont vendu leur boîte, qui sont "riches", et que je ne connais pas..Lui, il a "bouffé" avec eux, hier soir, ou bien la semaine dernière. Je ne sais pas si je dois applaudir, ou baisser la tête comme si je me recueillais devant un Dieu...Je me contente de sourire. 

On parle de ces entreprises, ces" boîtes" où il va faire investir les investisseurs, aprés la "bouffe", qui vont venir dans son entreprise, où il y aura des "salariés", et aussi de  toutes ces entreprises qui ne sont pas des "entrepreneurs", forcément ridicules, peuplées de gens sans intérêt..des "salariés" :

" les salariés, tu sais, je fais un deal avec eux;  ils sont payés pour ce qu'ils apportent; je leur signe un contrat, celui que m'oblige à signer le système français, trés contraignant, imposé par la loi française; mais je ne leur dois rien de plus; c'est l'entrepreneur qu prend le risque, qui risque sa responsabilité; eux, ils ont accepté le "deal"; ils n'ont rien à dire; je ne leur dois rien". C'est "le deal".

C'est comme un jeu : il y aura du fric d'un côté,des "copains", des "mecs trés connus",  et des projets de l'autre,aves un processus de sélection des cibles d'investissements plein de trucs "cools"; des vidéos, des votes, ...Et des mecs qui acceptent "le deal"...

On n'a pas le temps de beaucoup échanger; il a déjà prévu de rencontrer quelqu'un d'autre juste aprés; Le smartphone en main, un message en cours, il me dit "au revoir" sans me regarder; il est déjà ailleurs...Je n'ai pas eu le temps d'en dire plus...

C'était un moment avec un ami "entrepreneur"...

Drôle de moment...Comme une cérémonie sans musique.

Je lui souhaite intérieurement bonne chance. 

Je ne sais pourquoi, cela me fait évoquer une chanson de Léo Ferré, paroles d'Aragon : Est-ce ainsi que les hommes vivent ?

...On faisait des chäteaux de sable,

On prenait les loups pour des chiens...


Amitiés numériques

SeulsensembleQuand on parle d'un ami, aujourd'hui, on ne parle plus des copains, ceux qu'on a rencontrés à l'école, au travail, par la famille; non, on parle aussi de ce nouveau genre d'amis, ceux qui sont sur Facebook, LinkedIn et autres réseaux sociaux. A tel point que les jeunes et les enfants font, paraît-il, moins confiance à leurs pairs en chair et en os qu'aux pairs qu'ils voient à l'écran. C'est ce que je lis dans l'ouvrage de Richard Sennett, " Ensemble - Pour une éthique de la coopération", que j'ai déjà évoqué ICI.

Ces recherches ont été menées par Sherry Turkle, professeur au MIT, et exposées dans son ouvrage " Alone Together : Why we expect more from technology and less from each other". 

Une des explications, c'est que sur les réseaux sociaux les transactions sociales sont moins exigeantes, plus superficielles, qu'en face-à-face.On peut voir ses amis, les suivre, faire des commentaires, sans avoir besoin de s'impliquer vraiment dans ce qui se passe. On s'envoit de courts textes, sans besoin de s'appeler au téléphone ou de se voir vraiment. Je vois souvent des personnes des jeunes générations, assises l'une en face de l'autre, et communiquer ainsi par SMS ou via facebook ou autres; cela confirme cette observation de Sherry Turkle. Pour elle, les technologies sont un moyen de fournir l'illusion de la compagnie...sans les exigences de la relation.

Ce besoin d'être connecté, c'est aussi celui de la peur de la solitude. Mais en fait, si nous pensons qu'une connection constante nous fera nous sentir moins seuls, c'est l'inverse qui se produit : si nous sommes incapables d'être seuls, nous serons beaucoup plus susceptibles de l'être.

Et si nous n'apprenons pas à être seuls, nous ne saurons que nous sentir encore plus seuls.

Pour s'en sortir, Sherry Turkle propose de réserver ce qu'elle appelle des "zones franches" (je vais lui envoyer mon livre...) : ce sont des espaces, des lieux ou des temps de son quotidien. Au travail, cela pourrait être des "conversational thursdays", un peu comme les "casual fridays", où l'on aurait des vraies conversations. Certains dirigeants d'entreprise l'ont fait, selon elle. Car dans la conversation, nous bénéficions du ton, des nuances, nous sommes appelés à écouter d'autres points de vue, nous apprenons la patience. Alors que dans la connection, il faut que ça aille vite, que l'on réponde au quart de tour, que ça "chate". Et dans cette rapidité, on nivelle par le bas : pas le temps de réfléchir, il faut des échanges "simples", peu d'idées.

Mais parfois nous avons oublié ce qu'est une conversation..Cela me rappelle ces "conversations avec moi-même"...

Richard Sennett va encore plus loin dans l'analyse : car, pour lui, la "sociabilité superficielle" n'est pas la conséquence inévitable des réseaux sociaux en ligne. Il note qu'en Chine, il y a les réseaux sociaux, mais aussi un fort système de relations inter-personnelles par le guanxi, qui perdure. Pour lui, la "sociabilité superficielle" est un phénomène culturel, et les réseaux sociaux tombent à pic pour le développer, et non l'inverse.

Cela remonte à la Réforme, aux tensions entre les prétentions contraire du rituel mutuel et du spectacle religieux. Le rituel mutuel, c'est celui qui implique les fidèles dans un rite commun. Le spectacle religieux divise le rite entre les spectateurs passifs et les acteurs "actifs". Cette différence entre rituel et spectacle existe dans toutes les cultures. 

C'est comme ça avec les réseaux sociaux également : les gens jouent devant une masse de spectateurs qui les regardent. Parmi tous les "amis" Facebook, surtout pour ceux qui les accumulent, une poignée va se dégager, les autres étant des "spectateurs passifs". Ainsi, dans ces connections , ces "consommateurs d'amitiés" deviennent en fait des "stars", qui produisent des images et des textos pour ceux qui les regardent. Et tout le monde se prend alors pour une star.

Dans ce nouveau monde des réseaux sociaux où l'on croit être une star, le vrai privilège, ce sont les face-à-face, les liens personnels, la présence physique. Alors que le "friending" entretenu par Facebook encourage la compétition ( je veux plus d'amis que toi...ou de followers si c'est sur Twitter, etc...). Alors que nous pouvons penser que la coopération, les relations d'amitiés, sont ce qui permet l'inclusion, Richard Sennett fait remarquer que l'arithmétique qui consiste à avoir des centaines d' "amis" privilégie l'étalage, et l'étalage compétitif. Et cet étalage compétitif se développe le plus dans ceux qui vont se trouver exclus des relations privilégiées et physiques. Ceci est aussi source d'inégalités :toutes ces "amitiés" dont la "consommation" consiste à regarder les autres vivre. Richard Sennett observe que de nos jours les enfants consomment de plus en plus de relations sociales en ligne, et de manière "théâtrale", comme des spectacles. Et que cela diminue l'interaction sociale durable entre jeunes de classes différentes. D'où l'accroissement des inégalités.

Les amitiés numériques : un facteur d'accroissement des inégalités? 

Les relations inter-personnelles et les conversations : un privilège?