La chatte de Montaigne et les start up
15 juin 2014
Je participais cette semaine au forum Telcos & Digital des Echos, pour lequel PMP était nouveau partenaire cette année lors d'une table ronde sur " Quels modèles pour l'entreprise innovante et ouverte?".
J'étais bien entouré par Mari-Noëlle Jégo-Laveissière, toute nouvelle Directrice executive Innovation, Marketing et Technologies d'Orange, depuis mars 2014, et François Darchis, membre du Comex de Air Liquide, que j'avais déjà croisé lors de la présentation du livre de Navi Radjou sur Jugaad et l'innovation frugale ( il apporte d'ailleurs un témoignage sur Air Liquide dans la version française du livre).
Pour parler d'innovation ouverte, chacun évoque les démarches dans son entreprise pour travailler avec des gens différents, pour mixer des personnes d'horizons trés différents, tant de l'interne que de l'extérieur, et notamment avec des start-up. Mari-Noëlle Jégo-Lavessière nous parle du temps (c'était "avant") où l'on travaillait avec "des gens qui nous ressemblaient", pour mettre en avant un modèle idéal où " chacun apporte sa brique d'intelligence".
Cela évoque combien il n'est pas naturel de faire marcher la coopération entre personnes différentes, qui peuvent avoir du mal à se comprendre, à surmonter les différences culturelles. La culture d'un grand Groupe n'est pas exactement celle d'une start-up.
Cela m'évoque cette question de Montaigne rapportée dans ses Essais (c'est une question introduite tardivement par Montaigne à l'ouvrage), où il parle de sa relation avec sa chatte :
" Quand je me joue à ma chatte, qui sait si elle passe son temps de moi, plus que je ne fais d'elle".
Et il ajoute, pour compléter le parralèle :
" Nous nous entretenons de nos singeries réciproques".
Montaigne nous dit ainsi, comme nous ignorons si c'est le chat qui joue avec nous, où nous qui jouons avec le chat, que nous ne pouvons pas comprendre ce qui se passe dans le coeur et l'esprit de ceux avec qui nous devons travailler. C'est d'ailleurs toute la philosophie de Montaigne : s'intéresser aux autres, dans l'empathie, car ne pas se comprendre complètement ne doit pas nous empêcher de nous engager pour faire quelque chose ensemble. Au lieu d'essayer de changer l'autre pour le plier à notre conception du monde, Montaigne nous encourage à seulement s'intéresser aux autres, tels qu'ils sont.
Réussir aujourd'hui cette philosophie de Montaigne, c'est nouer des relations de coopération et d'entraide entre personnes différentes. Pas si facile alors que les individualismes se développent, que les élites s'éloignent des autres. On a du mal à partager un destin commun, et à mobiliser cette "chatte de Montaigne" qui est cachée à l'intérieur de chacun de nous.
Cette apologie de la "coopération" pour mieux réussir "ensemble", c'est le sujet de l'ouvrage de Richard Sennett dont la traduction française est sortie cette année : "Ensemble, pour une éthique de la coopération" (à écouter ici).
L'ouvrage nous permet de découvrir de nombreuses expériences d'actions collectives, et de coopérations qui marchent. De quoi apprendre, pas seulement pour faire travailler les grands Groupes et les start-up pour innover, mais aussi pour faire mieux fonctionner les projets dans nos entreprises, et, pourquoi pas, notre société, y compris dans les sujets politiques.
Un rêve de chatte ? Avec l'envie de "singeries réciproques"?
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