Au-delà de tout
19 juin 2013
En parcourant le recueil d'articles de Lucien Jerphagnon, disparu en 2011, " Connais-toi toi-même", je découvre sa passion pour deux auteurs : Saint-Augustin et Plotin. Plotin que je ne connaissais pas trés bien.
C'est un auteur de l'antiquité grecque, qui a écrit une seule oeuvre, " Les Ennéades", suite de courts traités, rédigés de 254 à 270 après JC. Et cette découverte donne envie...
Ce que nous apporte Plotin, c'est une vision du monde particulière, qui prolonge celle de Platon et Aristote. Cette vision du monde est fondée sur trois principes : l'Un, l'intelligence et l'Âme.
Ainsi Plotin nous invite à passer de l'Un à l'intelligence et à l'Âme, comme une progression qui nous fait, Lucien Jerphagnon le reformule ainsi, " renoncer à la complaisance gourmande pour les séductions du sensible", et qui élève notre âme vers " loin au-dessus de son premier système de jugement, qui l'impliquait si étroitement dans tout ce avec quoi elle traitait". C'est alors que " les arbres ne lui cachent plus la forêt".
C'est ainsi que l'on passe " au-delà de tout".
Cette progression conduit vers un absolu d'unité, nous élevant vers une vision du monde nouvelle et transformée.
Lucien Jerphagnon nous invite alors à retrouver cette "expérience" dans d'autres auteurs, pour mieux nous faire sentir ce sentiment. Par exemple Charles Lapicque, peintre et auteur peu connu, mais dont la citation est inspirante :
" Chacun s'est senti à certains moments, je pense, frappé de l'irréalité des choses, sans qu'aucune cause apparente puisse être découverte à cette sensation. Pour ma part, combien de fois ne m'est-il pas arrivé, au cours d'une navigation mouvementée, de sentir en un instant s'effondrer la solidité du monde. Brusquement la côte lointaine ensoleillée, les vagues qui déferlaient contre la coque, le bateau lui-même, tout bondissant qu'il était et se couchant sous les rafales, tout cela me paraissait une illusion sur le point de s'évanouir, et dont assez étrangement il me semblait même souhaiter l'évanouissement. A vrai dire il eût été plus satisfaisant que toutes ces choses fussent anéanties et moi avec, puisqu'aussi bien ni leur poids, ni leur vitesse, ni leur couleur, ni même leur indéniable beauté, n'étaient capables de leur conférer l'existence, non plus que me la donner à moi-même. Et je croyais entendre une voix qui me disait : Que viens-tu faire ici ? comme si je m'étais engagé dans une aventure absurde, celle de naviguer, bien sûr, mais derrière elle et plus profondément, celle de vivre".
Ces expériences sont celles qui nous permettent d'atteindre " à la source de l'Être". Plotin est celui qui nous apporte cette sensibilité à ce que Lucien Jerphagnon appelle " la figure de ce monde", ou encore "l'imparfaite perfection de ce qui passe et ne fait que passer", et nous permet de former notre liberté, notre monde intérieur qui semble procéder d'un "au-delà de l'être".
Ce besoin de monde intérieur, cette capacité à entendre cette voix qui nous dit "Que viens-tu faire ici ?", voilà sûrement une qualité à cultiver pour forger notre propre vision du monde, et naviguer dans nos vies quotidiennes, professionnelles et personnelles.
De quoi donner envie, pour suivre l'inspiration de Lucien Jerphagnon, de lire ou relire "Les Ennéades" de Plotin.
Ce que nous apprend Plotin, c'est à savoir ....vivre.
Commentaires