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A chacun son festival

Festival_de_cannes-efz6 Celui qui sera récompensé lors de ce festival de Cannes, le meilleur acteur, ce sera qui ?

Non, je ne fais pas de pronostic sur son nom; juste une description idéale : ce sera d'abord l'acteur dans son rôle, le meilleur rôle.

Mais pour être le meilleur acteur, il sera sûrement plus grand que son rôle, il apportera justement à ce rôle, imaginé par le réalisateur, une part de lui-même qui en fait le grand acteur. Oui, le grand acteur, c'est celui qui est plus grand que son rôle. Il y a même des acteurs que l'on va voir au cinéma pour eux plus que pour le film. Même si on a l'impression qu'il y a de moins en moins de tels personnages.

Et dans nos entreprises, quels sont les grands ?

Car ceux qui jouent un rôle, ça, il y en a...mais tous ne sont pas des grands acteurs.

Les pire, forcément, ce sont ceux qui se croient leur rôle, qui se confondent avec leur fonction au point de croire qu'elle a conféré naturellement les qualités qui vont avec : je joue le rôle de la Reine, et je me prend pour une Reine...Le genre de croyances qui font des ravages dans leur entourage, et notamment parmi les collaborateurs qui, parfois, ne croient pas du tout à cette fausse Reine..¨

Paradoxalement, être bon dans son rôle, c'est savoir que c'est un rôle.

Cette capacité à être au clair avec son rôle, c'est une des qualités du " wise leader" selon Navi Radjou et Presad Kaipa, dans leur ouvrage " From smart to wise".

Le danger, que connaissent beucoup de managers et dirigeants, c'est justement de croire que l'on possède les bonnes compétences attachées à la fonction (l'autorité naturelle, la créativité, la réponse à tous les problèmes) alors qu'on ne les a pas : cela conduit à les forcer et à se prendre, comme on dit, les pieds dans le tapis.

Alors, pour être celui qui est au clair avec son rôle, que faut-il faire ?

Cela consiste d'abord à prendre conscience de ce rôle, et à ne pas s'y perdre : nous sommes plus grands que notre rôle, à condition de le savoir, et de ne pas en avoir peur. C'est ce que les auteurs appellent "mindfulness" ( on dirait "pleine conscience").

C'est cette attention particulère, en "suspension de jugement", qui nous fait observer notre condition, nos comportements, et ceux des autres, avec le recul et la clairvoyance les meilleurs.

Premier avantage de cette "mindfulness", c'est justement cette capacité à choisir les bons rôles, le style dans lequel nous sommes le meilleur ( et non de tenter de singer un style qui ne nous convient pas du tout). C'est aussi cette capacité à utiliser sa personnalité entière pour occuper plusieurs rôles, passer de l'un à l'autre en restant soi-même et à chaque fois juste dans le rôle, comme ce grand acteur qui passe avec le même talent d'un rôle à l'autre, en y restant toujours convaincant.Être soi-même, au-delà du rôle, c'est aussi tenir ce rôle en restant posé et détaché, sans y mettre une émotion excessive, ou un acharnement, qui nous seraient préjudiciables.

Cette attitude, c'est aussi celle qui nous permet de mieux observer notre propre performance, comme comme quand on regarde un acteur sur une scène ( et cet acteur c'est nous), et de repérer objectivement ce que l'on doit améliorer.

Autre avantage d'être au clair avec le rôle, c'est de prendre conscience que l'on est une partie d'un tout plus vaste : le bon acteur n'est pas celui qui réalise une prestation tout seul, qui veut faire la vedette; non, c'est celui qui sait comprendre et apprécier les rôles complémentaires autour de lui, ceux qui permettent d'exécuter la meilleure performance ensemble. Celui qui réussit, c'est celui qui sait voir toutes les interconnections entre les rôles, pour créer une équipe unifiée.Cela permet aussi de changer les rôles, d'imaginer de nouveaux rôles pour certains collaborateurs, car les personnalités n'ont jamais fini de se révéler et c'est en variant les rôles et en imaginant de nouvelles connections que chacun développe, aussi, ses qualités et performances.

Autre qualité liée à cette "mindfulness", la capacité à diriger à partir du siège arrière, c'est à dire laisser les autres prendre le volant, prendre le risque; sans lâcher pour autant notre rôle de leader, mais en l'exerçant d'une autre façon ( pas toujours facile d'ailleurs de bien doser entre ce qu'il faut lâcher et ce qu'il faut apporter).

Être un bon acteur de notre leadership, de notre style de management, pouvoir exercer les rôles que nous choisissons au top, sans " s'y croire", ni agacer son entourage, voilà de quoi fair son propre festival.

Pour être le meilleur acteur de soi-même, et permettre à nos équipes de réussir la meilleure performance, pas besoin d'aller monter les marches à Cannes.

Le festival est dans le quotidien de nos entreprises.

Alors, courage ( car il en faut pour être bon acteur plutôt que cabotin).

Ne décevons-pas notre public.


Comment être sage ?

WiseleaderEst-ce à cause des communicants, ou grâce à eux ? Les dirigeants, les politiques donnent l'impression de jouer des personnages au lieu d'être ce qu'ils sont vraiment.

Avec des "fiches", des "éléments de langage", les discours semblent comme irréels, comme ventriloqués par ceux qui les ont rédigés pour ceux qui nous les récitent.

C'est ce que nous dit Alexandre Jardin, dans une chronique du nouveau journal de Nicolas Beytout, " L'Opinion" vendredi dernier.

Alexandre Jardin s'en prend particulièrement à François Hollande, dont il veut voir " une différence de nature entre être président et occuper le fauteuil". Mais de manière plus générale, il dénonce tous ceux qui, accoutumés "depuis longtemps à prononcer des mots qui ne sont pas les siens", ne gouvernent plus le réel. " Sans leaders intenséments réels, pas d'action réelle". Les discours "plaqués" sont "inaudibles".

Mais être "soi-même" n'est-ce pas trop dangeureux? Et ça veut dire quoi ? Vaut-il mieux bien se tenir ou lancer " Casse-toi pauv' con" ?

Le nouveau livre de Navi Radjou ( dont j'ai déjà parlé de son livre "Jugaad Innovation" ICI et ICI), qu'il co-écrit avec Prasad Kaipa, est précisément consacré à ce type de leader qu'il appelle "wise" : le livre a pour titre " From smart to wise" : L'argument, et là-dessus Alexandre Jardin serait d'accord, est que nous avons aujourd'hui besoin de ces "wise leaders", et non plus seulement de "smart leaders".

Le "smart leader", c'est le bon manager, intelligent, stratège, qui connait le succés et fait tourner le business et les affaires. Le petit "+" du "wise leader", car pour Navi Radjou il ne s'agit bien sûr pas de perdre les qualités de "smart leader", c'est l'ouverture aux autres, au monde. C'est une forme de sagesse, comme celle du hibou, qui fait prendre du recul, qui rend capable de porter un regard sur le monde avec plus de perspective; quelque chose de moins auto-centré sur soi-même, et son propre succès; c'est une forme de générosité.

On a déjà lu tout ça dans de nombreux articles et ouvrages, et cela me rappelle ma rencontre avec le dirigeant de Michelin et Bernard Bougon, lorsque nous parlions de respect, et de "passer de la volonté d'agir "pour soi" à la volonté de bien agir "en soi".

Ce qui est intéressant dans le livre de Navi et Prasad, c'est qu'il fournit un questionnaire d'auto-évaluation de notre propre degré de "wise" pour nous-même, que l'on peut remplir en ligen sur le site internet du livre ( ICI), et qu'ensuite chaque chapitre est consacré à une des qualités à développer pour être ce "wise leader". Il y en a six en tout.

Toutes ces qualités trouvent souvent leur source dans les traditions spirituelles et religieuses, les auteurs ne s'en cachent pas, et pas seulement dans les traditions indiennes.

Ces six qualités sont :

1. Perspective : capacité à voir au-delà des intérêts personnels et immédiats; qualité de connaître son désir profond, ce qui nous fait vraiment bouger ( la cause de la cause de la cause...);

2. Action orientation : capacaité à agir en cohérence avec son "étoile du Nord", celle qui nous guide et nous fait faire les bons choix;

3. Role clarity : choisir son "rôle" , l'assumer; mais sans perdre le sens de qui on est vraiment derrière ce rôle;Un leader "clair" peut passer d'un rôle à l'autre; il n'est jamais prisonnier d'un personnage; car le "wise leader" sait qu'il est toujours plus que son rôle;

4. Decision logic : Connaître le cadre dans lequel nous décidons en tant que leader; c'est cette capacité à décider avec discernement ( tiens, comme Saint ignace de Loyola, dont j'ai aussi parlé ICI);

5. Fortitude : savoir quand est-ce qu'il faut tenir, et quand est-ce qu'il faut lâcher; notamment dans les crises, comment ne pas s'acharner à échouer...

6. Motivation : qu'est ce qui nous motive? Le "wise leader" est celui qui agit en allant au-delà de son propre intérêt, qui veut servir un propos "noble", et veut contribuer à une plus large communauté.

Tous ces principes ont l'air évidents; c'est justement ce qui les rend forts. Ils font appel à nos valeurs de courage, d'altruisme, de respect; Cela ne peut pas faire de mal, quel que soit notre style de leadership.

Être sage en six principes : il est sage d'essayer...


Suradapté ou amphibie ?

ConformeParfois, on rencontre des pesonnages dans les romans, et on croit reconnaître des personnes que l'on côtoie chaque jour, ou que l'on a déjà rencontrées. C'est pour ça que les romans sont aussi des sources d'inspirations.

J'avais mentionné ce personnage troublant au détour d'un roman de Balzac, ICI.

Je découvre une autre espèce dans le roman de Michel Tournier, "Le Roi des Aulnes".

Le personnage principal est Abel Tiffauges, garagiste à Paris, en 1938. Un client, et un ami, arrive, c'est Hervé.

Hervé a trente-six-ans ; et :

" Il m'explique que c'est l'âge le plus plein, le plus équilibré, et comme le sommet d'une courbe qui s'élèverait depuis la naissance et redescendrait ensuite vers la mort".

Et une idée vient : Hervé, frais et optimiste, est un suradapté.

C'est quoi, un suradapté ?

Michel Tournier nous le décrit, avec son style :

"Le suradapté est heureux dans son milieu, "comme un poisson dans l'eau". Et aussi bien le poisson est typiquement suradapté à l'eau. Ce qui veut dire que son bonheur est d'autant plus fragile qu'il est plus complet. Car si l'eau devient trop chaude, ou trop salée, ou si son niveau baisse...Alors, il vaut mieux être simplement et même médiocrement adapté à l'eau, comme le sont les animaux amphibies, lesquels ne sont tout à fait heureux ni dans l'humide, ni dans le sec, mais s'accomodent moyennement de l'un et de l'autre.

Je ne souhaite pas de mal à Hervé, mais je pense que si quelque chose venait à craquer dans sa brillante organisation, si le sort lui réservait quelque mauvais coup, il aurait bien du mal à retrouver son bel équilibre. Tandis que nous autres amphibies, toujours en porte à faux avec les choses, rompus au provisoire, à l'à-peu-près, nous savons faire face de naissance à toutes les trahisons du milieu".

Cette vision que, en étant amphibies, nous nous adapterons mieux qu'en étant suradaptés, voilà de quoi regarder autour de nous, parmi les managers et dirigeants, ainsi que les entrepreneurs, que nous côtoyons. Et c'est aussi une façon d'observer nos propres comportements.

Alors, quel poisson sommes-nous?

Et qui sont nos amis poissons?


Comment faire confiance à la confiance?

Confiance2La confiance, on la veut tous, celle des autres, celle en moi; au gouvernement en ce moment, on cherche celle qu'on a perdu...

Mais, c'est quoi exactement qui fait la confiance?

La transparence, les contrôles, les contrats ?

Ou bien est-ce une émotion particulière qui relève des relations interpersonnelles?

C'est le sujet de la chronique de ce mois-ci dans "Envie d'Entreprendre".

Il suffit d'avoir confiance pour s'y rendre...en toute confiance, ICI.


Les marginaux vont-ils sauver l'entreprise ?

InclusifDans les entreprises, on le comprend vite quand on fréquente les commerciaux, les gens du marketing, les directions financières, il y a les bons et les mauvais clients. Les bons, ce sont ceux qui achètent, beaucoup, souvent; le "grand public", ceux qui qui sont nombreux à acheter les mêmes produits, en "masse". La télévision et la publicité les avaient repérés depuis longtemps, ces fameuses "ménagères de moins de cinquante ans".

Et puis, les autres, ceux auxquels on s'intéresse moins, forcément, ce sont les marginaux, ceux qui ne sont pas comme tout le monde, les pires étant "les pauvres" ( comme ils n'ont pas de sous ils n'achètent pas grand chose, donc il vaut mieux ne pas trop se casser la tête pour eux), mais aussi les vieux (ils ne comprennent rien aux nouvelles technologies, ils achètent surtout des médicaments, pour le reste, pas besoin de s'en occuper). Même chose avec les minorités "ethniques" : ils font pas comme tout le monde, donc, sauf pour ceux qui s'adaptent, et donc consomment les mêmes choses que la majorité, pas besoin de s'intéresser aux habitudes de consommations de ces groupes.

Bon, comme il faut quand même s'occuper un peu de "social", les entreprises réservent quand même parfois un peu d'intérêt pour ces "marginaux"; elle vont mettre ça dans la case "RSE" (Responsabilité sociale et environnementale); cela va consister à monter des fondations, faire du mécénat, aider les pauvres, les minorités de tous ordres; mais tout ça, c'est pas du business, du vrai, qui, lui, continue imperturbablement à s'occuper des "vrais" clients. Donc la RSE, c'est la bonne case pour se donner bonne conscience sans perturber le commerce et les profits.

 Et si tout ça était en train de changer? Et si c'étaient justement les marginaux qui étaient la nouvelle frontière de la croissance et de l'innovation des entreprises, notamment occidentales?

C'est ce que nous fait comprendre Navi Radjou et ses co-auteurs de "L'innovation Jugaad", dont j'ai déjà parlé ICI.

 D'abord parce que, même pour ceux qui le déplorent, ces "marginaux" qui n'intéressent pas le commerce vont devenir de plus en plus importants aux Etats-Unis et en Europe : de plus en plus de vieux, de minorités ethniques...et de "pauvres".

En 2030 les personnes de plus de 65 ans représenteront 25% des européens ( 17% en 2005). Autre tendance : la population musulmane d'Europe, qui représente 5% dans l'Union Européenne (10% en France) passerait à 20% en 2050, la France ayant dépassé ce chiffre bien avant. Et puis les pauvres : en France ils représentaient 8,6 millions de personnes en 2010, soit 14,1% de la population totale, contre 13,6% en 2000 ( la pauvreté étant définie comme en-dessous du seuil de 60% du niveau de vie médian). Autre tendance perçue, notamment aux Etats-Unis : l'érosion des classes moyennes.

Conclusion : les groupes marginaux sont en train de devenir le groupe de consommateurs dominant. Ils vont donc forcément devenir une nouvelle cible intéressante, ce qui va obliger les entreprises à modifier leurs modèles économiques pour pouvoir les servir tout en faisant aussi des profits. Cette fameuse théorie du "bas de la pyramide" dont j'avais parlé avec un dirigeant de Danone ICI, elle va concerner, non plus seulement les pays émergents que nous voulons conquérir mais nos propres pays occidentaux.

Alors, Navi Radjou et ses co-auteurs en concluent que la meilleure façon de nous adapter, nous les entreprises occidentales, c'est bien sûr de s'inspirer des entrepreneurs des pays pauvres et émergents, comme l'Inde, qui sont habitués, eux, à développer leur business vers les consommateurs pauvres; ce qu'ils appellent l'esprit "Jugaad" ( " débrouillards").

Ainsi nous sauverions nos entreprises des pays dits "riches", dans leurs marchés vieillissants et avec de plus en plus de pauvres en s'inspirant des pays qui sont pauvres depuis longtemps (et qui sont, eux, en train de devenir riches). Tout un paradoxe.

Bon, alors, messieurs les experts des pauvres qui deviennent riches, c'est quoi vos secrets pour sauver les riches qui deviennent pauvres ?

Accrochez-vous....voici les neufs secrets "Jugaad" :

1. Arrêter les projets RSE, et faire de l'inclusion sociale un impératif stratégique dans toutes les lignes de métier,

2. Plutôt que de faire de la R&D pour des produits haut de gamme avec des fonctionnalités sophistiquées, faire des produits accessibles aux consommateurs à faibles revenus;

3. Créer une culture de travail inclusive à l'intérieur des entreprises, avec un mode de management organisé autour de la gestion participative;

4. Reconnaître que les segments marginaux ne sont pas des esprits marginaux : même les vieux ont des idées, et de plus en plus intéressantes;

5. Utiliser la technologie pour abaisser le coût de l'inclusion : par exemple la télémédecine pour abaisser le coût du système de santé;

6. Co-créer des modèles économiques entre entreprises et associaitions;

7. Faire conduire ce changement systémique de modèle économique par un engagement au plus haut niveau, pour réorienter et transformer la Recherche et le Dévelopement;

8. Adapter les meilleures pratiques des marchés émergents : en Inde, 300 millions de personnes vivent avec moins de 1 dollar par jour; les entrepreneurs locaux savent ce que sont ces marchés..et inventer des produits et services pour eux;

9. Adopter les principes du modèle inclusif tout de suite : Il y a déjà 130 millions de personnes âgées de plus de 50 ans dans l'Union Européenne aujourd'hui, d'ici 2020 un adulte européen sur deux aura plus de 50 ans : il faut tout de suite anticiper et créer et distribuer les produits et services pour eux. Et parmi eux, il y aura pas mal de "pauvres", alors il faut en tenir compte aussi.

Cette leçon de management donnée depuis un pays pauvre pour préparer au mieux les économies encore riches, comme nous en Occident, à faire du business tout en voyant les populations de plus en plus composées de "marginaux", voilà un message que l'on ne peut manquer de trouver un peu cynique quand même.

Mais c'est vrai que les livres de management écrits par des indiens ( tels l'année dernière celui de Vineet Nayar, patron de HCL Technologie, dont j'ai parlé ICI), sont de plus en plus "tendance".

Intéressons-nous à ceux-ci avant de devenir tous pauvres...servis par des entreprises agiles venant des pays émergents et "pauvres nouveaux riches".