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Jugaad et le vélo de Kanak Das

Lidee-geniale-L-1J'avais déjà évoqué l'année dernière ce concept de "l'innovation frugale", à travers une communication du CEO de Siemens, Peter Löscher, parlant de leur programme SMART ( ( Simple, Maintenance-friendly, Affordable, Reliable, Timely to market).

C'est devenu le sujet d'un livre d'auteurs indiens, Navi Radjou, Jaideep Prabhu et Simone Ahuja, dont la version française paraît ce mois-ci aux Editions Diateino : "L'innovation Jugaad".

C'était hier soir la séance de lancement du livre, en présence de Navi Radjou, et de témoins de la mise en pratique du concept à la SNCF, chez SIEMENS et chez AIR LIQUIDE.

Jugaad, cela veut dire en hindi quelque chose comme "débrouillardise", on dirait en français "Système D" (mais Jugaad, ça fait plus exotique c'est sûr).

Le constat des auteurs, c'est que les démarches d'innovation structurée qui ont fait le succès des entreprises occidentales au XXème siècle, et des consultants qui les ont accompagnées, ne sont plus suffisantes dans le monde du XXIème siècle.

Ce qu'ils reprochent aux démarches structurées :

- trop chères (les budgets de R&D colossaux (les 1000 premières entreprises dans le monde, majoritairement occidentales, en termes de dépenses de R&D, ont dépensé en 2011 603 milliards de dollars...Pour quel retour, disent les auteurs? );

- trop rigides : les processus de type "Six Sigma", les techniques de gestion pour réduire les incertitudes et les dérives, tout ça a conduit à rendre les entreprises réfractaires au risque dans les processus d'innovation;

- trop élitistes : l'innovation confinée dans les Directions de la R&D, les systèmes Top-Down, tout ça est menacé par les démarches d'open innovation, les échanges entre pairs, les réseaux sociaux.

Le Jugaad, c'est l'inverse : on cherche à retrouver l'esprit du bricoleur, de la start-up, de l'entrepreneur: on essaye vite et avec peu de moyens, on cherche les idées à la marge, on fait mieux avec moins,...on est frugal.

Navi Radjou nous a rappelé les six principes derrière cette innovation Jugaad (ce sont des principes, et non une méthodologie reproductible, car si on voulait les traduire en process, ce serait précisément l'inverse du Jugaad, et on perdrait les bénéfices) :

1. Rechercher des opportunités dans l'adversité : ne jamais se décourager, tirer profit de l'adversité pour avancer,

2. Faire plus avec moins : plutôt que de tout refaire dans nos projets, partir de l'existant, dépenser moins, pour créer plus de valeur pour le client (car le Jugaad, ce n'est pas le low cost),

3. Penser et agir de manière flexible : adopter les modes de pensée non linéaires,

4. Viser la simplicité : le plus compliqué,

5. Intégrer les marges et les exclus : plutôt que de ne cibler que les clients mainstream, aller chercher les clients marginaux ou mal servis, pour innover pour eux,

6. Suivre son coeur : l'intuition redevient une valeur de l'innovation.

Tous ces principes ont l'air triviaux. Les auteurs sont allés chercher de nombreux exemples et anecdotes dans les journaux et en Inde, pour illustrer, chapitre aprés chapitre, ces principes.Ce sont comme des contes de fées.

C'est l'histoire, par exemple, de Kanak Das, qui se rend à son travail à vélo dans le nord de l'Inde, et rencontre de nombreuses bosses et nombreux nids de poule sur la route, et il a mal au dos.il avance lentement. Comme il ne peut pas refaire toutes les routes (ça, c'est l'innovation de ceux qui claquent du fric), il imagine autre chose en se posant la question " est-ce que je peux trouver un moyen de rendre mon vélo plus rapide sur ces routes défoncées?".  il trouve la réponse en modifiant son vélo pour que, chaque fois que la roue avant heurte une bosse, un amortisseur comprime l'énergie et la libère dans la roue arrière. Et voilà comment transformer les bosses en énergie de propulsion. Voilà le Jugaad !

Toutes ces anecdotes se ressemblent : Mister "Indian Nobody" a des problèmes...et il trouve l'idée géniale qui donne la réponse. Un coup le vélo, un coup l'incubateur de bébé (pour garder au chaud les prématurés), un coup le frigo sans électricité...A chaque fois, c'est génial, ça coûte pas cher, c'est super efficace...

Là ou le concept est prenant, c'est que ce ne sont pas seulement ces individus géo-trouvetout qui l'incarnent, mais que de grandes entreprises s'en emparent et font une véritable révolution culturelle.

Stéphanie Dommange, Directrice à la SNCF, nous a expliqué en riant combien rien n'était vraiment frugal à la SNCF : beaucoup de monde, des projets trés chers qui n'en finissent pas, n'aboutissent pas, la bureaucratie...Et comment elle (et d'autres) ont décidé de prendre les problèmes autrement, de poser les questions décadrantes (c'est le talent des dirigeants à développer selon elle, et elle nous a confié que Guillaume était un expert pour ça), pour devenir Jugaad. Ainsi pour régler les problèmes des gens dans les trains qui ont des problèmes 'audition, on n'a pas mis des panneaux d'affichage mais on a inventé un système de SMS envoyés par les contrôleurs sur les smartphones des passagers. Voilà , c'est Jugaad ! Voir la vidéo de Stéphanie ICI.

Pour Siemens et Air Liquide, le jugaad, ça consiste en fait à adapter les produits, ou plutôt en concevoir d'autres, qui soient en phase avec les marchés émergents. Renault développe également un projet mêlant l'ingéniérie française et l'ingéniérie japonaise avec l'état d'esprit de l'Inde, pour développer une voiture pour le marché indien. Jugaad, encore !

Cela avait l'air merveilleux cette Jugaad Attitude.

Navi Radjou nous a quand même prévenu contre une trop forte "Jugaadisation" : il ne s'agit pas pour lui de jeter les méthodes structurées et le Six Sigma pour se transformer en bricoleurs, mais de trouver le jeu subtil entre les moments où il faut du Jugaad, et les moments où il faut du structuré. Il emploie l'image du marteau et du tournevis : Pour régler les problèmes dans les entreprises, il ne faut pas un seul outil ( comme ceux qui croient, parce qu'ils n'ont qu'un marteau, que tous les problèmes ont la forme d'un clou). Des fois il faut le marteau, et des fois le tournevis.

En fait le secret pour bien faire, c'est ...le leadership. Il ne faut plus seulement être "smart", mais aussi "wise" (sage). "From smart to wise",...tiens, c'est justement le titre du prochain livre de Navi, à paraître en anglais ce mois-ci..

Être Jugaad n'empêche pas d'être malin....

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