Comment changer le monde
24 février 2013
Adam Kahane pense, lui, que ce sont les histoires qui changent le monde, les histoires que l'on se raconte sur le futur et qui changent notre vision du futur, notre compréhension du présent, et nos actions.
Il a eu trois vies : Diplômé de Physique, il s'est d'abord intéressé à la prévision du futur, pour s'apercevoir que c'était impossible. Sa deuxième vie l'a amené à se confronter à la vraie vie, et a notamment travaillé pour Shell, pour la planification, et développé les méthodes de "scenario planning" : mieux comprendre le futur, les différents scenarios possibles, pour mieux s'y préparer et s'y adapter. Mais c'est à l'occasion d'une expérience en Afrique du Sude qu'il s'est lancé dans sa troisième vie, en s'intallant dans ce pays, pour non plus s'adapter au futur, mais le transformer : comment, dans un présent et des futurs possibles que l'on n'accepte pas, non pas s'adapter, mais le transformer. Il a passé, dit-il, vingt ans à affiner et construire les démarches qu'il soutient aujourd'hui, en tant que professeut à Oxford, et fondateur d'une entreprise sur le sujet,
Ces recherches et expériences sont relatées dans les livres qu'il a publiés, et notamment "Transformative Scenario Planning", petit ouvrage d'à peine une centaine de pages, mais trés inspirant.
Les situations pour lesquelles il a imaginé cette approche sont du type de celle qu'il a connue en Afrique du Sud : une situation que les personnes considèrent comme innacceptable, ou non pérenne (par exemple l'apartheid); une situation où individuellement, ou même avec un petit groupe, on ne peut rien faire, il nous faut la participation où l'engagement de nombreuses parties prenantes; Une situation où les acteurs ne peuvent pas transformer la situation directement, car il y a trop de divergences entre eux (certains sont d'une opinion, d'autres d'une opinion complètement contraire, même s'ils sont d'accord sur le fait qu'il y a un problème et qu'il faudrait le résoudre).
Voilà typiquement l'objet du "transformative scenario planning" : ce n'est pas un moyen pour les acteurs de s'adapter à une situation, ni de les forcer à adopter des propositions déjà formulées, ni même de négocier entre eux des propositions; non, il s'agit pour les acteurs de travailler de manière collaborative et créative pour sortir de l'ornière où ils se sentent, et d'aller de l'avant.
Cette démarche comprend cinq étapes, que Adam Kahane représente sous forme d'un U :
- Réunir une équipe qui comprend toutes les parties prenantes,
- Observer ce qui se passe,
- Construire les histoires sur ce qui pourrait arriver,
- Découvrir ce qui peut et ce qui doit être fait,
- Agir pour transformer le système (c'est là que l'on est dans le bas du U).
Pourquoi un U ?
Parce que, pour Adam Kahane, cette démarche est aussi une démarche intérieure, qui nous conduit comme une introspection collectivement. Les premières étapes sont celles où l'on observe, où l'on comprend les différences d'opinion, où l'on commence à changer nos regards, où l'on fait une pause. C'est d'ailleurs là le secret ( Adam Kahane appelle ça un "mystère") de l'approche : plutôt de confronter, parfois violemment, les protagonistes, et de chercher tout de suite les solutions, le "transformative scenario planning" va d'abor faire prendre du recul, suspendre les jugements.
Car une fois exploré les certitudes et incertitudes du futur, et décrit les scenarios et les histoires qui décrivent des options de réponses pour les incertitudes ( j'ai déjà évoqué ces méthodes ICI ou ICI), si l'on veut agir pour transformer il faut cette pause. Elle peut durer quelques instants, ou un trés long moment, comme une promenade en forêt, en solitaire, pour laisser émerger les possibles.
C'est ce que Adam Kahane appelle "The inner game of social transformation" : la transformation qu'il essaye de provoquer ne peut pas se réduire à une application mécanique des étapes et workshops qu'il propose; c'est d'ailleurs pourquoi il raconte de nombreuses tentatives qui ont échouées.C'est tout le paroadoxe qu'il met en évidence : dans ces situations où l'on croit qu'il faut des actions urgentes et rapides pour sortir de la crise ( le rêve de tous les chefs de guerre), il défend à l'inverse de faire une pause, de "suspendre", comme on suspendrait les ingrédients de la situation et des blocages sur une corde devant l'ensemble des acteurs et parties prenantes pour imaginer autre chose.
A l'intérieur de ce paradoxe, il y a aussi un dilemme (encore un) : un dilemme c'est une situation où nous sommes face à deux impératifs apparemment opposés et avec lesquels nous devons néanmoins composer. Les deux impératifs dont parle Adam Kahane sont le pouvoir et l'amour, deux "drives" en tension permanente.
L'amour est le "drive" qui nous permet de nous ouvrir, de nous connecter aux autres idées, aux autres acteurs, aux autres possibilités. Nous avons besoin de l'amour pour créer le potentiel pour transformer nos pensées et nos actes et ainsi transformer le système.
Le pouvoir ("power") est à l'inverse est le "drive" pour rélaiser son potentiel et grandir.C'est ce pouvoir qui permet d'utiliser le potentiel que nous créons avec l'amour.
Certains pourraient croire que le pouvoir et l'amour s'opposent, sont en conflit. Adam Kahane nous enseigne l'inverse. L'ouverture et la connection aux autres sans le pouvoir, l'action, ne produit qu'un sentiment d'amitié mais rien de trés tangible pour faire changer les choses. Inversement l'exercice du pouvoir de chacun, sans ouverture ni amour, laisse chacun inchangé avec sa propre perspective, ses idées, sa volonté, mais ne change rien au système. Un pouvoir sans amour est toujours abusif.
D'où la conviction de Adam Kahane que la transformation des systèmes sociaux de manière collaborative n'est possible qu'en choisissant à la fois l'amour et le pouvoir. C'est d'ailleurs le sujet d'un de ses autres livres.
Alors, changer le monde : juste faire vivre ensemble amour et pouvoir, c'est simple, non ?
NOTA : Pour certains, c'est l'art qui change le monde; d'où l'illustration de Mondrian en tête de ce post.
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