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La révolution n'est pas un dîner de gala

MaoJ'ai déjà parlé ici et ici  de l'ouvrage " De la guerre révolutionnaire" de Mao Tsé-Toung, qui explique sa théorie de la guérilla; inspiratrice malgré lui, aujourd'hui, des théories du marketing et du management.

J'ai aussi évoqué le livre de Virginie Linhart relatant l'enfance des enfants des Krivine, Geismar et autres "révolutionnaires maoïstes", impressionnés et hypnotisés par Mao.

Je me plonge, en cette période d'été, dans la biographie de Mao Tsé-Toung de Philip Short. ( près de 600 pages...). Un film en a été tiré ( on peut le voir ici en intégralité).

Si l'on cherche un exemple de quelqu'un qui a une "Vision" et qui s'y tient, Mao est le bon candidat. Toute sa vie est guidée par cette vision que le Chine doit se réveiller, qu'elle doit connaître un nouveau destin, et Mao se sent incarner ce mouvement.

Sa conviction, c'est que, pour rendre possible un nouveau destin, celui du communisme et du marxisme, qui remplaceront le vieux monde du capitalisme, il faut le détruire, et violemment. Et surtout pas de demi mesure : pour détruire il faut y aller franco; plutôt détruire trop que pas assez. Exterminer les représentants du monde "bourgeois" , pour permettre au nouveau monde, la nouvelle Chine, d'être, sans possibilité de retour en arrière, le royaume de "vertu rouge".

Aprés avoir détruit les ennemis nationalistes de Chiang Kai-Shek, ceux qui justement n'allaient pas assez loin dans la "rupture", il faudra s'attaquer aux ennemis qui se sont développés à l'intérieur même du parti communiste; ces dirigeants qui sont devenus avec le temps un peu trop bourgeois.

En 1966, c'est la "Révolution Culturelle", une nouvelle rupture incarnée par les jeunes "gardes rouges" qui vont mener le combat révolutionnaire, comme aimantés par Mao, un quasi Dieu de 73 ans qui va pousser à la révolte contre les professeurs d'Universités, les intellectuels, les livres qu'il faudra brûler, les universités seront fermées pendant dix ans, de 1966 à 1976.

Oui, la rupture selon Mao, c'est d'abord la destruction; car sans destruction, pas de construction; sans enlever le vieux, on ne peux pas faire naître le nouveau. Car la "Révolution n'est pas un dîner de gala".

En 1966, les Gardes Rouges vont même modifier la signification des feux tricolores, afin que le rouge devienne le signal pour "avancer". Zhou Enlai fera cependant rétablir l'ancien usage, rappelant que le rouge attirait davantage l'attention des gens et que, par conséquent, il devait continuer à signifier "arrêt".

Dans les gares, les passagers doivent effectuer une "danse de la loyauté" (loyauté envers Mao) avant de monter dans le train .Dans les districts ruraux, on met des étiquettes sur les "cochons de loyauté" pour montrer que même les cochons peuvent reconnaître le génie de Mao.

En "brûlant les livres et en enterrant les érudits vivants", on anéantit l'ancien, et cela permet alors que la Chine devienne, dixit Mao, une "feuille de papier blanche" prête à recevoir l'écriture sainte de la pensée marxiste léniniste Mao Zedong".

Ce qui compte, c'est de se rebelller. Mao et les gardes rouges encouragent la formation de groupes rebelles; y compris les ouvriers d'usine, les employés de bureau.

La rebellion marche tellement bien que des factions rivales apparaissent entre les groupes rebelles : les " rebelles révolutionnaires" cherchent à renverser toutes les structures de pouvoir existantes, alors que les " révolutionnaires prolétariens" veulent, eux, préserver la direction du Parti.

Mao portera un toast lors de l'hiver 1966 à ce qu'il appelle " la guerre civile généralisée".

 Pour accompagner cette révolution, et la chasse aux traitres, on compte les exécutions par milliers; ça détruit à la chaîne. Philip Short cite la Mongolie intérieure où, en 1967, 350 000 personnes sont arrêtées, 80 000 battues sauvagement qui restèrent handicapées, et 16 000 qui meurent dans le cadre d'une tentative pour prouver que le dirigeant de la province avait établi un "parti noir" rival en concurrence avec le Parti Communiste pour le pouvoir.

 En octobre 1968, le Comité Central se réunit à Pékin : les deux tiers des membres d'origine ont été éliminés. Mao fera approuver le renversement de Liu Shaoqi, qu'il avait nommé Président de la République et désigné comme son successeur. Maintenant il est exclu, et condamné comme traître.

Mais pour Mao, la Révolution Culturelle n'est jamais finie. Il avait écrit qu'il fallait les déclencher "tous les sept ou huit ans" afin de renouveler l'élan révolutionnaire de la nation et interrompre le début du déclin bourgeois.

En 1969, il estimera que la tâche n'était pas complètement achevée, et qu'aprés quelques années il faudrait recommencer.

A l'issue de cette vague, la Chine devient, selon l'expression de Philip Short, "une vaste prison de l'esprit".

" L'ancien monde avait été écrasé, mais Mao n'avait rien à mettre à la place, excepté une rhétorique rouge et creuse".

Ce genre de vision de transformation, de rupture, de destruction de l'ancien pour faire naître le nouveau, cette idée qu'il faut déclencher le changement tous les sept ans, on le rencontre aussi de temps en temps chez les dirigeants et managers d'entreprises, non ?

Il y a un Mao dans pas mal de ces "visionnaires" qui peuvent parfois, eux aussi, sombrer dan des rhétoriques creuses. Sans parler du culte plus ou moins conscient de la personnalité. J'avais déjà parlé d'un dirigeant qui m'y avait fait pensé ICI. On peut penser à d'autres.

Peut-être même qu'un Mao sommeille dans l'ombre de nombreux patrons d'entreprises, qui eux-aussi, aimeraient bien changer la signification des feux tricolores dans leur entreprise.

Et quand la vision dérape, entraîne vers la terreur, à l'extrême dans le cas de la Chine de Mao, la révolution et la transformation ont l'air moins sympathiques.

Pas facile de se faire une opinion complètement tranchée sur Mao néanmoins; Philip Short est habile, et nous entraîne dans des moments d'admiration pour le personnage (capacité d'entraînement, victoires dans les opérations de guérilla contre les nationalistes), et des moments d'horreur (avec tous ces morts). Il le dit d'ailleurs trés bien dans le dernier paragraphe du livre :

" En Chine, l'Histoire s'écrit lentement. Un jugement final sur la place de Mao dans les annales du passé de son pays va encore se faire attendre longtemps dans son propre pays".


Personne ou individu ?

PersonnaLe terme de "personne" désignait à l'origine le masque de théâtre grec; puis il s'est appliqué à l'acteur, puis au rôle théâtral et social. Le concept de personne ne vise pas à spécifier ce qu'est l'homme en soi, mais une de ses modalités.

Mais il existe aussi une conception chrétienne de la personne que je découvre en lisant le texte du père Baudoin Roger dans l'ouvrage édité par le collège des Bernardins sur " L'entreprise : formes de la propriété et responsabilités sociales", fruit d'un travail de Recherche appronfondi, et un colloque sur le sujet, à voir ICI.

Cela fait référence à la distinction des trois "Personnes" de la Trinité, tout en tenant l'unité absolue de Dieu. La personne est ainsi constituée par ses relations, sa singularité ne pouvant être saisie que par sa relation, une manière particulière de vivre la relation.

" Ainsi, dans la Trinité, la désignation du Fils, qui le caractérise dans sa singularité, est entièrement référée à sa relation au Père. Cette relation n'est pas un attribut, elle le définit pleinement : il est celui qui est en relation au Père en étant tout entier Fils".

Ce concept s'applique à l'homme : l'identité de la personne est indéfinie au départ, c'est une "singularité sans contenu"; l'homme précise alors son identité à travers les relations qu'il noue. L'homme devient ce qu'il est en s'ouvrant à la relation.C'est la relation qui permet de développer la personnalité.

Ce concept de personne s'oppose à celui d'individu : l'individualisme affirme la primauté de l'individu sur la société. L'individu est qui il est, en substance, indépendamment de toutes les relations. On suppose que l'individu a une singularité intangible, comme un attribut natif.

Ces deux concepts sont intéressants pour observer le fonctionnement et l'organisation de nos entreprises.Ils permettent de comprendre comment sont perçus et gérés les collaborateurs.

Quand mes collaborateurs sont des "individus" je fais l'hypothèse que l'organisation et le fonctionnement de l'entreprise sont plutôt définis par le haut; les critères de performance sont également déclinés par le haut, généralement à partir des attentes des actionnaires ( la création de valeur pour l'actionnaire, basée sur la valorisation de l'action). Cette déclinaison conduit à descendre les critères par Business Unit, et in fine, jusqu'à la performance individuelle. Les individus dans l'entreprise sont identifiés par leurs compétences, leurs performances; on peut les comparer, les mettre en compétition. Leur substance s'adapte à l'entreprise, et délivre son talent pour l'entreprise.

Lorsque mes collaborateurs sont des "personnes", c'est la relation entre elles qui fabrique les personnalités, qui permet aux collaborateurs de s'identifier à un "bien commun". Dans ce "bien commun", la performance de l'un est la performance de tous, car chacun se construit des succés des autres; les relations sont ce qui fait le succès de chacun, et donc de tous. Les collaborateurs de cette entreprise sont comme les membres d'une même toile, agissant ensemble. Il y a alors une "mobilisation intégrale" des personnes pour l'entreprise et ses buts.

Forcément, on sent bien le paradoxe : parfois, notamment lorsque je fixe les objectifs, lorsque j"évalue les performances, je vais gérer des "individus"; mais lorsque je vais chercher ce petit plus qui fait que mes collaborateurs sont engagés, se donnent à leur travail, croient dans l'entreprise, alors là je vais plutôt avoir tendance à chercher à les considérer comme des "personnes".

Ce paradoxe peut amener à créer des tensions dans l'entreprise, notamment lorsque les dirigeants se sentent d'abord des représentants de actionnaires, exigeant des "individus" le performance adéquate, alors que les collaborateurs ont envie qu'on les reconnaisse comme des "personnes", êtres de relation..

D'où le besoin de retrouver plus souvent dans l'entreprise ce concept de "personne".

Comme le souligne le père Baudoin Roger :

" L'entreprise détermine des aspects fondamentaux de la vie des personnes, et engage pour elles des questions qui relèvent du sens et des finalités.(...). La prise en compte des "personnes" impliquées dans la vie de l'entreprise impose des évolutions significatives des représentations mentales de l'entreprise, de ses modes d'organisation et de management. Il s'agit là d'exigences qui sont au fondement du libéralisme : Les personnes ont le droit de participer (expression, contrôle) aux décisions qui les affectent; les institutions ne peuvent légitimement être prescriptrices de finalité pour les personnes".

On sent aussi combien sera plus exigeante pour les managers et dirigeants, cette prise en compte des "personnes", pour sortir d'une vision trop exclusivement individualiste du management et de la performance.