Un saint patron !
29 juillet 2012
En ce moment chez Vivendi, ça remue, JB Levy débarqué, crise chez SFR, performance boursière en berne : depuis la nomination de JB Levy à la tête du Groupe, en juillet 2002, le cours de l'action aura chuté de 55%, et vaut moins que lorsque Jean-Marie Messier a quitté le Groupe.
Tout ça pour ça...
Jean -Marie Messier, qui au sommet de sa gloire, publiait un petit livre au titre ironique " j6m.com - Faut-il avoir peur de la nouvelle économie ?", que j'ai retrouvé à l'occasion.
J6M : Jean-Marie Messier Moi-Même Maître du Monde ! L'expression était celle des Guignols. Ce qui lui permet de s'interroger pour savoir si il se sent "maître du monde" :
" On n'exerce pas le métier de PDG sans être mû par une forte volonté de puissance. Être sur les créneaux porteurs, conquérir de nouveaux clients, ne pas se laisser distancer par la concurrence, recruter les meilleurs, conforter des stratégies par des alliances planétaires, s'assurer que l'intendance suit...Ces ambitions finissent par devenir une raison d'être. Ne demandez pas à un patron d'être modeste".
Et en même temps, ce "maître du monde" sent bien que tout ça est à renouveler constamment :
" L'avenir appartient désormais à ceux qui se lèvent tous les matins en se demandant comment ils vont réinventer leur métier, non pas pour vingt ans, mais pour trois mois. La phrase qui tue c'est : Continuons à faire comme on a toujours fait. Plus aucune position n'est acquise. Plus aucun patron ne peut dormir sur ses deux oreilles".
Tout le livre est un constant aller-retour entre ces deux positions, la volonté de puissance, celle qui nous fait croire que l'on est visionnaire, que l'on fait tout ça pour réussir, que nos décisions sont les meilleures, notre équipe formidable, et puis le doute, cette obligation que l'on sent de réinventer le métier pas pour vingt ans, ..pour trois mois ! Ce sentiment de précarité ( tout peut s'arrêter demain).
Globalement on sent néanmoins que Jean-Marie Messier n'est pas à l'abri d'une maladie fréquente des dirigeants : la surconfiance. Ce que les philosophes appellent l' hubris. Caractérisé par ce sentiment de grandeur, une surestimation de ses capacités (voir le récit où Jean-Marie Messier raconte que le cours de Bourse ne reflète pas la valeur de l'entreprise car les analystes ne comprennent rien, et qu'il est persuadé qu'il va finir par les convaincre tous), le sentiment d'être plus fort que les autres.
Une anecdote "religieuse" illustre le phénomène :
" Une de mes collaboratrices a l'habitude de se moquer de moi en disant : " il voudrait être le premier patron à être canonisé". Je la rassure : ma pratique du catholicisme ne va pas jusque là. En revanche, je ne dis pas que, si la pratique du capitalisme prévoyait une telle forme de reconnaissance, je ne serais pas tenté de postuler ! C'est mon côté bon élève permanent. Ma passion pour les bonnes notes qui ne me lâche pas !"
Cette surconfiance, cette idée de se prendre pour un saint, il a conscience aussi des risques que cela entraîne :
" Le danger est de se mettre hors la vie à force d'être persuadé d'avoir raison, à force de travailler avec des collaborateurs auxquels on fait perdre le goût - ou le courage - de la contestation, à force de fréquenter des cénacles où l'on ne rencontre que ses pairs ou même de ne connaître que des bureaux ou des salles de réunion avec vue imprenable sur l'Etoile ou sur Central Park. L'argent rend la vie si fluide; la flatterie est si confortable; la volonté de puissance, un tel antidote à l'ennui".
Tout est dans cet aveu ....qui finalement résume assez bien tout ce qui a dérapé dans l'histoire de la merveilleuse vision de Jean-Marie Messier pour Vivendi, un groupe de l'Environnement et surtour des Médias; le contenu marié au contenant, les tuyaux. Tout ça à coup d'acquisitions payées trés cher, et en endettant l'entreprise...Au point d'arriver à 30 milliards de dettes en 2001, et de finir l'année 2002 avec des pertes de l'ordre 23 milliards d'euros ( dues notamment à des dépréciations sur acquisitions), la même année où France Télécom annonce, elle, une perte de 20 milliards d'euros. Jean-René Fourtou, qui prend la place de Jean-Marie Messier va commencer à annoncer des cessions d'actifs en perspective...
La surconfiance, c'est elle qui fait payer trop cher les acquisitions, et qui fait perdre probablement le contact avec la rélaité : Jean-Marie Messier déclare à l'assemblée d'avril 2002, le Groupe accumulant 30 milliards d'euros de dettes, " Vivendi va mieux que bien !".
En relisant cette épopée, racontée par un des plus brillant représentant de ce capitalisme décomplexé, on mesure les risques du métier, celui qui fait croire au dirigeant qu'il est une sorte de saint, et en même temps on se dit que ça aurait pu quand même marcher ( car les successeurs n'ont pas fait mieux, voire pire.
c'est toujours sympathique de trouver quelqu'un qui partage les mêmes analyses que soi: il est vrai que Messier est un cas fantastique, et pas seulement d'hubris
http://valerieclairepetit.blogspot.fr/2012/07/ma-derniere-publication-scientifique.html
je vous recommande mon prochain ouvrage qui consacre un chapitre au pouvoir et au leadership de messier
Rédigé par : Valérie | 02 mai 2013 à 10:09