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Les 1000 ans des entrepreneurs

FoireLire l'ouvrage de Jean Baechler, " Le capitalisme", c'est notamment comprendre l'émergence et le développement des entrepreneurs en Occident. Car les origines du capitalisme que va explorer l'auteur croisent forcément les origines des entrepreneurs. Pour lui, " l'entrepreneur est, bien évidemment, le personnage central de la pièce capitaliste".

Cela remonte au XIème siècle...

Entre le Vème et le Xème siècle il se passe en Occident une rétraction invraisemblable du nombre des hommes. Les IXème et Xème siècles sont, d'un point de vue économique, l'époque la plus sombre de l'histoire de l'Occident. Les échanges sont réduits; les villes sont mortes ou moribondes. Rome, qui avait compté 2 millions d'habitants, n'en compte plus que 20 000 ( et c'est, de loin, la plus grande ville d'Occident) au IXème siècle.

L'organisation sociale se réduit à trois catégories :

" les clercs, chargés de régler les rapports avec le sacré et seuls porteurs de la culture intellectuelle; les nobles, qui se consacrent aux activités politiques et militaires; enfin le peuple, qui subvient aux besoins de l'ensemble par ses travaux agricoles et artisanaux".

 Et donc absence totale de marchands et encore moins d'entrepreneurs.

Et puis la population se remet à augmenter, les échanges économiques vont se déelopper. C'est le "miracle" du XIème siècle. Le point essentiel est l'apparition des villes qui se trouvent déssaisies de toute activité politique et militaire; ainsi naissent les bourgeois, qui vont alors se consacrer aux activités économiques, aux échanges, au commerce. Et c'est ainsi que la société occidentale produit cet être bizarre qu'est le bourgeois, voué exclusivement au profit.

Mais ce bourgeois qui apparaît au XIème siècle n'est pas encore un entrepreneur :

" il se contente d'organiser les échanges, de les multiplier, son profit consistant dans le prix qu'on lui paie pour ce service. Il devient entrepreneur à partir du moment où il intervient dans la production dans la production des biens soumis à l'échange".

C'est ainsi que les premiers entrepreneurs sont ceux qui, au XIIème et XIIIème siècle, se procurent des matières premières ( la laine, le coton), la fait travailler par des artisans, et se charge de la commercialisation. Et puis le XVIIIème siècle verra apparaître les l'organisation du travail ( la manufacture, l'usine). Au point que les élites en Occident vont progressivement abandonner les activités religieuses, militaires ou politiques pour se diriger vers les activités économiques.

Les entrepreneurs vont alors surgir spontanément. Car ce qui caractérise les entrepreneurs, cette volonté d'agir, se rencontre toujours.

" Chaque fois qu'un état de la société fait surgir des occasions d'entreprendre, des entrepreneurs se révèlent spontanément, équipés spontanément des capacités exigées pour entreprendre, et ce dans les contextes culturels les plus variés".

Nul besoin de produire les entrepreneurs, ils sont déjà là. Nulle part on n'observe de pénurie d'entrepreneurs dans l'histoire. Dans les pays ayant subi le régime communiste pendant de nombreuses années, les entrepreneurs ont émergé en un temps record.

Mais il y a un revers à la médaille. ces entrepreneurs qui ont émergé à partir du XIème siècle ont connu une sorte de rejet :

" Ce personnage n'a jamais pleinement été légitimé ni par l'Eglise, pour qui les riches sont suspects et encore plus ceux qui paraissent vivre pour s'enrichir, ni par l'aristocratie, dont les valeurs propres sont la gloire, l'éclat, la libéralité, et certainement pas le calcul économique de gagne-petit et de gagne-gros, ni à ses propres yeux, parce qu'il est chrétien et qu'il sent bien que l'économique comme fin et chrématistique a quelque chose de vicié".

Au XIXème siècle, les carrières l'essor du capitalisme attire les vocations, les carrières politiques et militaires devenant moins attrayantes.

L'entrepreneur devient alors comme porteur du Progrès.Un renversement de l'image, presque. Car les réticences subsistent. Les lettrés, les savants, les contre-révolutionnaires croient toujours que le capitalisme a quelque chose d'intrinsèquement malpropre. il n'y a qu'aux Etats Unis que la légitimité du capitaliste et de l'entrepreneur est parfaite. L'antiaméricanisme apparaît en France dès la Monarchie de Juillet. Cette hostilité déclarée prendra de l'ampleur avec les mouvements socialistes, qui vont se convaincre de l'existence d'une voie non capitaliste vers la modernité économique.

Cette illusion se dissipe progressivement; on va réhabiliter le capitalisme et les entrepreneurs dans les années 80, avec Reagan et Thatcher ( mais pas en France où l'on passe aux nationalisations de Mitterrand). Et puis les entrepreneurs reprennent de la valeur dans les discours politiques.

On arrive à la conclusion qu'il aura fallu mille ans pour que l'entrepreneur devienne parfaitement légitime dans sa fonction sociale, et encore...Cette reconnaissance est finalement toute fraîche et encore fragile, surtout en France. Qui peut dire si elle va fleurir ou se faner ?

Bonne occasion de célébrer les 1000 ans des entrepreneurs !

 

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