La cathédrale et le café
La matrice du renard

Le garçon qui aimait les plans d'affaires...

BusinessplanUne rencontre cette semaine : il est ingénieur (la meilleure école, à ce qu'on dit), la trentaine, il a participé à une aventure entreprenariale; il aimerait maintenant être consultant. On parle de ses passions...Il me dit que ce qu'il aime, ce sont les "plans d'affaires"...

C'est vrai qu'on peut aimer ça les plans d'affaires : ça parle d'un futur bien balisé, les colonnes sont les prochaines années, et les chiffres décrivent précisément tout ce qui va se passer, les revenus, les coûts, et les bénéfices, souvent en hausse.

C'est rassurant; il ne reste plus qu'à convaincre les investisseurs; des graphiques en couleurs, des pages bien numérotées; et c'est parti..Voilà ce qui fait réver un ingénieur trentenaire aujourd'hui ...

Ah bon ?

Ces exercices de planification, avec l'adjectif stratégique pour faire plus chic, ont effectivement occupé pas mal de monde, et de consultants, dans les entreprises et organisations ces dernières vingt années, et sûrement encore aujourd'huii.Ils permettent au moins de choisir la direction qu'a envie de suivre l'entreprise. Mais ce n'est certainement pas suffisant.

De fait, la conventionnelle planification stratégique est morte.La création de valeur aujourd'hui ne vient pratiquement plus de la planification, mais bien plus souvent de l'innovation et de l'adaptation à l'environnement. Richard David Hames, dont je poursuis la lecture de " The five literacies of global leadership" appelle ça la "navigation stratégique".

Naviguer inspire assurément différemment que planifier. Planifier, cela évoque la science du manager, celui qui prévoit, qui calcule; naviguer, cela se rapproche plus de l'art du leader.

Naviguer, c'est un peu planifier en temps réel. D'ailleurs, quand on veut en dire du mal, on dira que l'on "navigue à vue"...Mais aujourd'hui l'art de naviguer s'est perfectionné. Il suppose déjà d' être "connecté", c'est à dire capable d'incorporer les tendances sociales, politiques, sanitaires. Ainsi, les entreprises qui fabriquent des sodas se trouvent mêlées aux débats sur l'obésité des enfants, et prennent position sur la distribution de leurs produits dans les écoles.

Naviguer, c'est faire appel à une forme de pensée non linéaire, à un process cognitif différent, qui fait plus appel à la synthèse, à l'intuition, qu'à l'analyse (l'art du "grosso modo").

C'est une pensée plus intégrative que sélective. Plutôt que de résoudre un problème, elle cherche à transcender la perception d'une situation en évolution. Elle cherche le levier pour influencer ou dessiner tout un système, sans se limiter au contour de l'entreprise, en s'intéressant à tout un écosystème (l'écologie dans la compétition).

Forcément, avec une telle démarche, on risque d'avoir des surprises, des trucs pas prévus ( c'est même ce que l'on recherche)...De quoi cabosser un beau plan d'affaires, c'est certain.

Ce modèle donne aussi un bon coup de pied à un autre mythe, celui de l'individualité : ce mythe du chef, de l'entreprise, inspiré par sa volonté, sa croyance qu'il survivra, que son entreprise survivra, quoi qu'il arrive autour de lui. Illusion !

Dans le modèle de la navigation stratégique chacun est comme une communauté mobile, un être vivant qui doit vivre au contact avec tous les autres êtres vivants. Tous sont des composantes d'un vaste écosystème qui s'autoreproduit.

Cela change forcément aussi la conception du leader et du leadership : fini le concept du chevalier blanc, où le leader est un rôle. Le leadership devient plutôt un process d'apprentissage partagé, un catalyseur pour changer le statu quo, ce que Richard David Hames appelle un " process collaboratif pour réaliser les potentiels qui permettent de faire avancer la condition humaine". Le leadership est une affaire de tous et de chacun; c'est la contribution de chacun à ce qui assurera la survie de la société, de la communauté, de l'entreprise, dans son ensemble. C'est quelque chose de trés engageant, qui peut venir de n'importe qui, n'importe où, dans l'entreprise, dans la communauté, selon les circonstances.

Pas besoin de vendre une vision dans ce contexte ( ce que croient encore les leaders des plans d'affaires), car la communauté est tout le temps en train d'apprendre comment co-créer le futur qu'elle veut pour elle-même. C'est plus exigeanr car cela oblige les membres de la communauté à dialoguer en permanence sur le but poursuivi, la philosophie, l'éthique, qu'elle partage et qui guide son action.

Dans cette approche, la réflexion remplace les spécifications, l'inspiration remplace linformation, le questionnement remplace l'affirmation.

Cela ne remet pas en cause seulement le leadership, mais également le concept même de management.

Aprés avoir crû que le management était une histoire de contrôle, d'allocation de ressources, de faire faire des choses à des personnes qu'elles ne feraient pas spontanément, de corrdination, d'évaluation, on s'aperçoit que les personnes feront toujours ce qu'elle veulent faire plutôt que ce que quelqu'un d'autre (même un manager) croit qu'il lui a demandé de faire.Forcément, ce management qui tient compte de la compexité, des théories du chaos, on ne le connaît pas encore trés bien.

Le management n'est plus la collection des KPI (Key Performance Indicators), auxquels croient encore de nombreux "managers", mais un principe : le management est à considérer comme une fonction pour chacun, c'est le process qui permet d'organiser et de coordonner les ressources pour optimiser le business globalement pour une entreprise viable qui compte réellement.

Cela suppose de se concentrer sur ce qui rend vraiment l'entreprise, le système dans son ensemble, "viable". Cela consiste à élever le niveau de conscience de l'organisation, pour mieux comprendre ce qui se passe dans l'entreprise et autour d'elle, pour ainsi répondre plus intelligemment.

Richard David Hames compare ce process à la respiration, au souffle : il s'agit de trouver des moments où nous inspirons ( ce sont les moments où l'on se laisse du temps pour la réflexion, l'observation), et des moments où nous expirons ( ces moments où nous concentrons l'énergie nécessaire pour l'action). Cette respiration, qui fait alterner inspiration et expiration, permet ainsi cette navigation stratégique, par les managers, les leaders, c'est à dire par chacun et par tous.

Respirer, inspirer, expirer, ...Prendre du souffle pour naviguer dans la complexité.....

Cela ne risque-t-il pas de donner le mal de mer aux gentils garçons qui aiment les plans d'affaires ?

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