La matrice du renard
22 juillet 2012
J'ai déjà parlé des approches de Scenario Planning ICI .
Le principe est simple: pour s'orienter et décider face à l'incertain, les démarches de planification stratégique, qui nous font croire à un avenir tout tracé, que la volonté du chef et son talent suffiront à réaliser, sont obsolètes.
Le Scenario Planning s'intéresse plutôt à ce qui est incertain, et que justement nous ne pouvons pas contrôler; et nous aide ainsi à décider dans l'incertain.
Cela a l'air simple mais, plus on découvre ces approches, plus on comprend combien cette philosophie est difficile.
C'est pourquoi la lecture du petit livre de Chantell Ilbury et Clem Sunter, "The mind of a fox", est intéressante. Car les auteurs nous offrent une petite matrice toute simple pour se faire soi-même son scenario planning en toutes occasions, et pour n'importe quoi.
Cette matrice, c'est celle qui modélise le comportement du renard (d'où le titre), animal considéré comme toujours cherchant de nouvelles choses, sachant s'adapter, etc...Cela reprend le conte célèbre de Isaiah Berlin , mais là c'est le renard qui est l'idole, le hérisson étant l'abruti (alors que dans la version de Jim Collins, c'est le renard qui passe pour un imbécile, et le hérisson pour un héros...). Il doit falloir un peu des deux finalement; et puis ces descriptions "humaines" des reanrds et des hérissons ont leurs limites; on peut leur faire dire un peu n'importe quoi...
Mais, si l'on laisse de côté cette formule de marketing, cette matrice du renard vaut le détour. Et elle est facile à retenir.
Elle représente le futur, la question sur laquelle on s'interroge, selon deux axes : le niveau de certitude (Incertain/certain), et le niveau de contrôle sur le futur (contrôle/absence de contrôle). Cela donne ça :
Pour parcourir la matrice, on commence en bas à droite ( on plonge dans ce que l'on ne contrôle pas avant de chercher à tout contrôler).
Dans la case du certain et de l'absence de contrôle, on rencontre les "règles du jeu". Devant toute situation, il existe des règles du jeu, qui sont certaines, qu'on ne peut pas changer. C'est valable pour les sports, les jeux, mais aussi dans le business.
Certaines règles sont explicites ( la loi, la règlementation), d'autres sont plutôt des signes culturels, des tabous, des choses que "l'éthique des affaires" permet ou ne permet pas. Là, il y a de la subjectivité. Mais dans toute entreprise, on rencontre ces "règles du jeu".
C'est pourquoi on commence par là : avant d'imaginer tous les futurs possibles, commençons pas bien comprendre ce qui ne sera pas possible, à cause des règles du jeu.
On passe alors à la case suivante : la case où l'on ne contrôle toujours pas, et qui est le monde de l'incertain. Deux choses dans cette case : les "incertitudes clés" et les "scénarios".
Les "incertitudes clés", ce sont les variables les plus pertinentes pour une situation donnée, et qui vont avoir le plus d'impact (soit comme une opportunité, soit comme une menace).Ce sont elles qui vont structurer les scenarios. Ces incertitudes clés sont donc les facteurs que nous identifions, mais nous ne savons pas dans quel sens ils vont être ( ainsi, pour réussir un pic-nic une des incertitudes clés est la météo, mais nous ne savons pas exactement si il va pleuvoir ou faire soleil).
C'est pourquoi, associés à ces variables clés, on identifie les scénarios. Pas plus de deux ou trois. Trop de scénarions, et on est perdus. Il faut en ressortir les scénarios les plus différentiants : plein soleil sur mon pic-nic, ou gros orage avec pluie incessante. C'est en étudiant tous les scenarios en même temps, les plus favorables comme les plus défavorables ( car les scénarios, attention, ne sont pas des prévisions, mais l'imagination de plusieurs futurs possibles), que l'on va identifier ce qui va constituer les options pour moi, pour la situation.
C'est la troisième case, celle où l'on passe aux choses que je contrôle. C'est la case des "options", celle où je vais identifier mes options tout en étant toujours dans l'incertain. Les options ne sont pas des opportunités; ce sont des opportunités que je contrôle, sur lesquelles je peux prendre des décisions ( exemple emporter un parapluie pour aller à mon pic-nic). Les options ne sont pas non plus des "bonnes idées"; elles ne sont des options que si elles peuvent être réellement mises en oeuvre ( l'idée de faire appel à un sorcier pour qu'il programme le soleil le jour de mon pic-nic n'est pas vraiment une option).
Une fois ces options mises en évidence, on passe à la quatrième case, celle complètement sous mon contrôle, dans le certain : le choix, la décision. Mais ce n'est pas la même décision que si j'avais commencé par là. J'ai en tête les règles du jeu, les incertitudes clés, les scénarios, les options, et maintenant c'est à moi de jouer.
Faut-il passer par les quatre cases pour prendre les bonnes décisions face au futur et à l'incertain ? Forcément Chantell et Clem répondent oui.
Elle va être utile pour l'entrepreneur qui veut lancer un business, qui se pose des questions sur son avenir, mais aussi pour le comité de direction qui veut conquérir un nouveau marché, ou redresser une activité qui ne va pas trop fort (arrêter ou réstructurer?), et encore pour des choix politiques (me fâcher avec Merkel ou bien essayer de trouver un compromis ?).
Et puis le livre se termine sur un fait d'arme : écrit en 2001, il comprend une lettre au Président Bush; elle couvre les quatre cases, les règles du jeu, les scenarios, les options, les décisions. Et en gros elle dit à Bush : il pourrait t'arriver un truc, genre une attaque terroriste qui te fera du mal et à l'Amérique...Bingo ! c'était juste avant le 11 septembre.
Le livre a été réédité avec une préface qui rappelle ce fait. Ils vraiment malins ces auteurs de la matrice du renard.
Avec la matrice du renard on prévoit des trucs super...
Bon, alors pour mon pic-nic, je fais quoi ? Je mets mon costume de renard ?
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