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SWOT ou SOAR ?

VisionJ'ai passé cette semaine une journée à animer un séminaire pour un client sur la "Vision". On appelle ça "l'ambition", " la vision", peu importe, le rituel est souvent le même. On choisit une date, en ce moment, on est sur des horizons 2015 ou 2020, et on projette le futur. Les méthodologies sont multiples et bien rôdées.

Car ce qui fait la différence, ce n'est pas la méthodologie.

Généralement, dans ces démarches, on procède par intention : on se regarde aujourd'hui, avec les forces, les faiblesses, les menaces, les opportunités (oui, c'est la fameuse analyse SWOT, qu'on a apprise à l'école). En fait, en conduisant cette analyse, on passe déjà 50% à se dire ce qui va mal (les faiblesses, les menaces), et encore; car on trouve plein d'idées généralement pour se regarder dans la glace et se dire qu'on est nuls. Alors, quand on va projeter le futur, c'est à dire la situation qui met précisément en lumière tout ce que l'on pourrait être si l'on était trés beau, on va distiller dans l'entreprise, autour de nous, ce snetiment de culpabilité, et donc souvent générer des réactions de défense, de protection, de rejet; bref, de quoi mettre par terre tout exerice de vision. Au mieux, on n'a pas envie d'y croire; au pire, on n'en veut pas et on explique pourquoi cela n'a pas de sens.

Et voilà comment finissent la plupart de ces exercices de vision et de planification. Malgré les bonnes intentions, ils conduisent à amplifier les aspects négatifs du fonctionnement de l'entreprise.

C'est précisément l'inverse de ces démarches que propose les adeptes de l' "Appreciative Inquiry", et les ouvrages de David Cooperrider et ses adeptes, dont j'ai déjà parlé ICI.

Cette approche de la "Vision" ne va pas chercher les intentions et l'analyse des manques, mais au contraire se nourrir de l'identification des forces et opportunités que nous avons déjà en nous, et qui nous ont permis de connaître, par le passé, ces "grands moments" qui sont parfois tellement grands que c'est comme s'ils nous dépassaient. C'est en revivant, et en échangeant entre nous, avec nos collaborateurs, nos collègues, ces grands moments, que nous arrivons à imaginer ce que nous sommes capables de faire "à notre meilleur".

En comprenant ce qui a fait notre succés par le passé, lors de ces "grands moments", nous nous donnons confiance pour imaginer ce qui fera notre futur, une "vision" qui sera finalement l'attention que nous aurons accordé pour comprendre ce qui se passe quand l'entreprise, l'équipe, le management, l'organisation, fonctionne "à son meilleur". Et le meilleur de chacun, et des équipes, porte l'entreprise vers un futur motivant et dynamisant.

La démarche transforme l'approche SWOT en approche SOAR ( Strenghts, Opportunities, Aspirations, Results).

Cela commence par une "Strategic Inquiry", que l'on peut mener pour soi, ou pour une activité de l'entreprise : Elle consiste à s'interroger, seul ou en groupe, sur nos plus grandes forces et opportunités. Puis nous allons identifier nos Aspirations les plus fortes pour le futur; puis nous rechercherons les Résultats.

Pour démarrer, l'approche va rechercher les questions et interrogations les plus positives possibles.

Cela suppose d'entretenir un contexte qui inspire la curiosité naturelle, qui permet à chacun d'avoir sur son environnement ce que les théoriciens ont appelé une " appréciation esthétique" du monde, par opposition à des appréciations plus "matérialistes", ou "d'utilité pratique".

C'est cette expression de curiosité naturelle, cette créativité esthétique, et non le résultat d'une démarche détaillée de planification stratégique, qui est la clé.

Alors, pour nos exercices de Vision, allons chercher cette "appréciation esthétique" plutôt que "l'utilité pratique".

Ainsi, nous porterons une vision "à notre meilleur", c'est à dire bien au-delà de ce que nos intentions auraient pû nous faire imaginer, et ne jamais atteindre.


Innovation légumière

LegumesGrâce à l'Ecole de Paris, dont j'avais déjà parlé à propos de parfum, j'ai rencontré cette semaine Alain Passart, le chef étoilé de l'Arpège.

Aprés une carrière de cuisinier et de rotisseur, spécialiste de volailles, avec trois étoiles au Michelin, Alain Passart nous a raconté comment, presque soudainement, il a ressenti une grande panne, comme une perte d'envie de continuer, et une envie de rupture, de passer à autre chose.

C'est de cette rupture qu'est née sa nouvelle aventure, celle de la passion pour les légumes, le tissu végétal.

Derrière cette rupture, une vision : celle de faire les "grands crûs" des légumes. De concevoir toute la chaîne, depuis le jardin jusqu'à l'assiette du client.

Cette vision, c'est d'abord celle d'un artiste, plus que celle d'un entrepreneur. Il n'imagine pas ouvrir des restaurants dans le monde entier, ni même ailleurs en France. Il est complètement concentré sur sa petite entreprise, 40 collaborateurs, des jardiniers, des cusiniers (une quinzaine autour de lui), le personnel de salle.

Et cette rupture, ce n'est pas de repartir de zéro; non, il nous l'a rappelé, son passé de rôtisseur, de cusinier ( celui qui maîtrise la flamme, qui sait cuire), est au coeur de ce qu'il fait avec les légumes.

Par contre, il a redécouvert les saisons; chaque légume arrive au bon moment, à la saison, directement du jardin; et on ne mélange pas une saison avec une autre. C'est la nature qui décide; c'est elle qui permet, comme dans le jazz, d'improviser.

Dans son entreprise, le personnel est trés jeune, souvent moins de 30 ans. Et le rôle d'Alain Passart, dans cette cuisine, tel qu'il le conçoit, c'est de :

" faire sortir la créativité qui est dans mes collaborateurs, et non de faire la cuisine - ils savent que je sais faire la cuisine. Je m'efface totalement".

Diriger une équipe en s'effaçant; combien de dirigeants et managers devraient s'inspirer de cet exemple.

Cet effacement, c'est aussi celui du geste. Apprendre à faire le plat en économisant ses gestes, en étant léger ( et non avoir "la main lourde").

Autre élément que l'on sent qu'il a à coeur, le dialogue : les jardiniers et les cuisiniers doivent se parler; certains jours les cuisiniers vont au jardin; d'autres jours les jardiniers viennent voir les cuisiniers.

La créativité, ça consiste en quoi ?

Pour Alain Passart , il ne faut pas solliciter la créativité, comme si l'on se disait "tiens aujourd'hui je vais créer quelque chose"; non, la créativité ellevient toute seule, il faut savoir la laisser venir; peut-être prendre des notes de temps en temps sur ce qui me traverse la tête; et travailler sur un petit nombre d'idées. Là encore, petite leçon pour les équipes d' "innovation".

Cela reseemble à de l'improvisation, car Alain Passart est persuadé que c'est la nature qui a fait l'essentiel du travail; il n'y a plus qu'à regarder le cadeau qu'apporte le jardin pour continuer; en écoutant ce que nous dit la nature.

Ce qu'il préfère retenir, ce n'est pas tel ou tel plat qui serait son "préféré", ou un légume qui serait son préféré; non, ce qu'il aime, c'est la façon de faire un plat, les gestes, la main. C'est la main qui fait le cuisinier avant tout. Et cette main, comme les légumes, n'est pas la même selon les saisons. Elle est chaude en hiver, plus légère en été. Elle ne travaille pas pareil.

Et puis cette créativité, c'est celle qui assemble les couleurs, qui ose se faire plaisir; qui prépare le mélange des légumes crus dans l'assiette avant de se lancer dans la composition.

Belle leçon d'innovation, de passion d'artiste, de management aussi.


Cela donnait envie de la communiquer dans nos entreprises, et dans notre management.