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Crise : la faillite du sens commun

Crise22La crise, dans son sens originel, désigne généralement un phénomène rapide, une rupture, une période courte. Au sens médical,c'est "le moment d'une maladie caractérisé par un changement subit et généralement définitif, en bien ou en mal". Crise d'appendicite, crise d'asthme.

C'est aussi une "manifestation émotive et violente", crise de fou rire, crise de nerfs,...

Mais, de plus en plus, aujourd'hui, la crise désigne un phénomène de changement, de grande tension, une phase grave dans l'évolution, et qui dure, qui dure, au point qu'on a l'impression que nous sommes tout le temps en crise. Ainsi la crise "économique", c'est celle qui succède à la crise économique précédente, et qui va bientôt être suivie d'une nouvelle crise. La crise devient un phénomène durable.

Au point que c'est toute une période qui devient "crise".

C'est Hannah Arendt qui a ainsi conceptualisé ce qu'elle a appelé la "crise de la culture", dans son ouvrage célèbre, paru dans les années 60.

Carole Widmaier, professeur de philosophie à l'université de Besançon, analyse cette pensée dans son ouvrage qui vient de paraître, "Fin de la philosophie politique? Hannah Arendt contre Leo Strauss".

Pour Hannah Arendt, la crise c'est la "crise de la modernité", la "crise de la pensée".

L'analyse de Carole Widmaier permet de mieux comprendre de quoi l'on parle, et donne une clé intéressante pour observer aussi les phénomènes de crise dans nos organisations.

Ce qui caractérise la crise, c'est la disparition des préjugés :

"La disparition des préjugés signifie tout simplement que nous avons perdu les réponses sur lesquelles nous nous appuyons généralement, sans même nous rendre compte qu'elles étaient à l'origine des réponses à ces questions. Une crise nous force à revenir aux questions elles mêmes et requeirt de nous des réponses, nouvelles ou anciennes, mais en tout cas des jugements directs. Une crise ne devient catastrophique que si nous y répondons par des idées toutes faites, c'est à dire par des préjugés".

La crise sera surmontée si l'on parvient à formuler d'autres réponses, c'est à dire des réponses directement liées au juste questionnement de la réalité. C'est l'occasion pour la pensée de prouver sa force d'adaptation au réel.

Inversement, la réponse à la crise par préjugés, la non-réponse ou la fausse réponse, entraîne l'abdication et la chute.

Pour Hannah Arendt, la crise est l'échec du jugement, du sens commun, devant la passion et la théorie : C'est la mauvaise compréhension de la réalité qui fait proposer des "solutions" qui ne sont pas les bonnes.

Ce que dénonce précisément Hannah Arendt c'est cette "perte de sens commun", car, pour elle, c'est ce sens commun qui atteste de notre rapport humain au monde.Carole Widmaier cite :

" A chaque crise, c'est un pan du monde, quelque chose de commun à tous, qui s'écroule. Comme une baguette magique la faillite du sens commun indique où s'est produit un tel effondrement".

Retrouver le "sens commun", ce serait pour Arendt d'avoir "le souci du monde", c'est à dire en assumer la responsabilité pour rendre possible l'émergence de la discontinuité, de la vraie nouveauté, au sein de la continuité et de la permanence.

Ce lien entre la perte du sens commun, l'éloignement par rapport à la "tradition", et la notion de crise, c'est aussi ce que nous disent en ce moment les dirigeants d'entreprise, ou les dirigeants politiques, quand ils associent les crises qu'ils sentent et rencontrent à une "perte de sens".

D'où l'intérêt de l'analyse de Carole Widmaier, pour mieux comprendre les maux de la modernité et les changements en cours dans notre monde.

Commentaires

Anne Pallatin

Oui la crise est la conséquence d'une "perte de sens". D'autant plus critique et douloureuse qu'elle fait irruption en réaction à un long démantèlement du processus identitaire.
En sortir consiste à réinstaller et restituer les éléments sociaux et subjectifs écartelés et permettre d'être à nouveau un sujet plutôt qu'un objet.
Pour ce faire, la connaissance des mécanismes de déni d'une part, et la reconnaissance des éléments sociaux et psychiques d'autre part, sont bien utiles !... mais, bien-sûr, cela nécessite aussi des connaissances ! ... hélas aujourd'hui peu ou mal transmises...

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