Séduction mortelle du totalitarisme : le renouveau de Carl Schmitt
12 février 2012
Les partis politiques qui s'afrontent au point de nous mettre en péril, de risquer la guerre civile ? Peur légitime?
Celui qui prenait ce risque au sérieux, c'est Carl Schmitt, penseur politique des années 30 en Allemagne, au point d'appeler à une " unité politique" , c'est à dire l'unité du peuple incarnée par l'Etat. L'Etat est le seul à pouvoir décider si on est ou non dans l'état normal, et à décider si on est ou non dans l'état d'urgence, en cas de crise grave.
Cette théorie, Jean-Claude Monod,chercheur au CNRS et professeur à l'Ecole Normale Supérieure, invité des conférences de l'AJEF, dont je rend compte régulièrement, nous l'a expliqué clairement.
Quelle histoire que celle de Carl Schmitt, qui à partir de cette vision va devenir un supporter de Adolf Hitler et du national socialisme. Il adhérera à tout, à l'antisémitisme, au totalitarisme. convaincu que seul l'Etat est garant de l'unité et empêche les guerres civiles, grâce à une vision totale, il retouvera dans Hitler un idéal. Pourtant les nazis se détourneront de lui; pour carl Schmitt c'est l'Etat qui est garant de l'unité, alors que pour les partisans d'Hitler l'unité ne vient pas de l'Etat, mais du Peuple et de la Race, qui permettent d'éliminer les éléments nusibles pour l'unité ( en l'occurence les juifs).
Alors Carl Schmitt adaptera un peu sa thèse, l'Etat redevenant un moyen au service de la force et de l'unité populaire. Néanmoins, dès 1936, les SS intimeront Schmitt au silence.
Il ne sera pas concené par le procès de Nuremberg que comme témoin, et vivra calmenent, en écrivant, mais interdit de publication, jusqu'en 1989. C'est en 1991 que paraît son " Journal 1947 - 1949").
Ce qui est étonnant, c'est la nouvelle popularité de Carl Schmitt aujourd'hui, qui retrouve ses plus fervents partisans...à gauche. A gauche, les plus anti-libéraux puisent leurs arguments dans Carl Schmitt, et leur critique du libéralisme.
Autres défenseurs de Carl Schmitt, ceux qui prônent une " guerre juste", justifiant un combat au nom de l'humanité ; expression toute inspirée de Carl Schmitt, celle de Bush pour exprimer la guerre mondiale contre le terrorisme aprés le 11 septembre.
Ce parcours d'une pensée de Hitler à la gauche et à Bush, on avait du mal à y croire.
Un mystère couvre cet auteur, on le sentait bien en écoutant Jean-Claude Monod.avec cette vision totale, qui montre combien les excès conduisant à une sorte d'antilibéralisme radical, tellement d'actualité aujourd'hui, poussent vers un " Etat total" le pluralisme étant dans cette vision perçu comme une menace. La vision de Carl Schmitt est celle d'un "Etat de droit social", une théorisation nouvelle de l'Etat de droit. Ce qui nous prévient contre cette vision, c'est précisément ce qui l'a fait dériver vers le soutien au national socialisme.
Ce que Jean-Claude Monod a appelé pour nous la "séduction mortelle du totalitarisme".
Mais l'intérêt de Carl Schmitt aujourd'hui ne se limite pas, selon Jean-Claude Monod, à la mise en évidence des dérives montrant les dangers d'une forme d'anti-libéralisme radical.
Car sa critique du libéralisme garde, elle-aussi, selon Jean-Claude Monod, un intérêt.
Le libéralisme vise à faire de l'économie le coeur de la société, au détriment de la politique qui est facteur de conflits et de perturbations. D'où l'idée d'un marché libre, sans démocratie, effacée au nom justement de l'efficacité du marché. On retrouve implicitement cette thèse aujourd'hui, nous dit Jean-Claude Monod,d'une force des marchés qui prend le pas sur la démocratie, lorsque l'idée proposée d'un référendum en Grèce, il y a quelques mois, a suxcité de vives protestations au nom de cette efficacité justement. De même, la sortie de Berlusconi du pouvoir en Italie, et l'arrivée de Mario Monti, se réfère aussi partiellement à une thèse du même genre.
Face à ces thèses, la grande idée de Carl Schmitt, c'est : " qui décide ?".
Cet Etat total dont il se réclame, c'est : ( dans " Evolution de l'Etat total en Allemagne, 1933) :
" L'Etat total existe. Il est total au plan de sa qualité et de son énergie, ainsi que l'Etat fasciste se nomme un 'stato totalitario' (...) Un tel Etat ne laisse surgir en lui aucune force qui lui soit hostile, qui l'entrave ou qui le divise. Il n'a aucune intention de laisser les nouveaux outils du pouvoir aux mains de ses ennemis et de ses destructeurs, ni de permettre que son pouvoir soit sapé sous couvert de formules telles que 'libéralisme', 'Etat de droit' ou autre. Un tel Etat peut faire la différence entre ami et ennemi".
En cette pèriode de campagnes électorales en France, où la place de l'Etat fait partie des sujets de controverse, cette " vision totale", parfaitement organisée, que Carl Schmitt qualifiait d' "Etat total par force", et qui séduit les mouvements les plus à gauche de notre échiquier politique, nous rappelle, grâce à Carl Schmitt, de ses origines.
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