La cause du terrorisme
26 février 2012
L'économie, c'est la mondialisation, la globalisation, tout le monde, ou presque, s'en est convaincu.
Mais la politique ? Là aussi, on le comprend, la globalisation s'y met.
Tiens, Ernest-Antoine Sellière, l'ancien patron du MEDEF, interviewé dans "Le Figaro Magazine" de ce week end, pour faire la promo de son livre, nous dit :
" Au bout du compte, droite et gauche obéiront aux mêmes contraintes dictées par nos créanciers". Et il déclare son envie que l'on mette en place un gouvernement européen; il a un nom pour le job aussi : Nicolas sarkozy; il pourrait prendre le job tout de suite si il perd l'élection présidentielle en France, sinon on attendra cinq ans.
Au moment où cette vision de moins en moins "nationale" de la politique se développe, où l'on s'aperçoit chaque jour que l'Etat perd le monopole du politique, on découvre, ou redécouvre, un auteur dont j'ai déjà parlé, au passé pourtant sulfureux : Carl Schmitt.
Sa pensée est complexe; elle évolue au fur et à mesure des engagements politiques de l'auteur, juriste, qui se voyait comme un support à l'ascension du parti National Socialiste, et à la montée d'Adolf Hitler.
Il redevient à la mode du fait de ses positions sur le mondialisme de la politique, qu'il critique, en visant notamment la SDN, puis l'ONU; pour lui ces instances internationales sont illégitimes en ce qu'elles sont contre la politique de l'Allemagne et de Hitler, au nom de " l'humanité", notion que contecte fortement Carl Schmitt.
Vu les positions politiques de l'auteur, il n'est pas facile de s'en abstraire.
C'est pourtant ce que tente Jean-François Kervégan, dont j'ai parlé ICI et ICI, dans son nouvel ouvrage " Que faire de Carl Schmitt ?". On peut l'écouter ICI.
Il propose de " partir de Carl Shmitt", partir au sens de revenir à ses analyses et réflexions, sans passer par le contexte et les positions d'affiliation au nazisme, et partir, aussi, en le quittant quand ses conclusions nous emènent dans l'erreur.
Pour Carl Schmitt la politique est menace par sa propre totalisation. Et c'est ce phénomène qui est la cause du terrorisme ( rappelons que ce terme de terroriste était attribué, pendant la guerre, aux résistants gaullistes en France).
Citons Jean-François Kervégan :
" Il est évident que les Etats qui sont confrontés à la "menace terroriste", selon le vocabulaire actuellement en usage, ne méritent à aucun titre d'être dits totalitaires, bien que leurs méthodes contre ce type d'ennemi débordent largement le cadre strict de ce qu'on s'accorde à nommer l'Etat de droit. Il s'agit de quelque chose de plus profond, et en un sens plus inquiétant encore. Le terrorisme, forme caractéristique de la politique postmoderne et postétatique, est un produit non pas du totalitarisme, mais de la totalisation de la politique, dont le totalitarisme n'a lui-même été qu'une expression monstrueuse. En d'autres termes, le terrorisme est non la cause mais un effet de la phase postétatique de la politique entendue comme ce moment où l'Etat ne parvient plus, au moyen de ses attributs classiques, à gérer l'inimitié " deterritorialisée" à laquelle il est confronté, et qu'il a lui aussi suscitée".
Et Jean-François Kervégan poursuit, citations de Carl Schmitt à l'appui :
" Alors qu'une armée régulière au service d'un Etat combattait l'ennemi ( l'Armée d'un autre Etat), non pour l'anéantir, mais pour le vaincre et pour faire triompher certains buts de guerre, le terroriste se confronte à un "ennemi absolu", au "grand Satan"; or, " la guerre issue de l'hostilité absolue ne connaît pas de restriction". Ainsi, tout comme l'Etat total marque la fin de l'ordre ététique classique, fondé sur la démarcation du politiuqe et du non-politique, la guerre totale du terroriste (donc également celle de son adversaire) ignore nécessairement les lois de guerre."
Ainsi, si , en reprenant Carl Schmitt, le terrorisme n'est pas l'ouvrage de fanatiques, mais " le produit d'une certaine configuration politique dans laquelle notre monde est maintenant inscrit", alors " nous ne sommes pas près d'en finir avec lui".
Jean-François Kervégan va plus loin, en y voyant même que ce "passage à la limite" du terrorisme est une "nécessité ", tant il a partie liée avec les structures profondes de la politique postétatique, deterritorialisée.
c'est pourquoi, selon Carl Schmitt, une "Unité politique du monde" est un danger. Car ce mouvement de convergence, symbolié par l'ONU par exemple, provoque directement des réactions qui " faute de pouvoir s'exprimer autrement, adoptent la forme "irrégulière" (non étatique) du terrorisme.
" Dans un univers qui semblait devenu politiquement un, et qui comme tel ne se connaissait plus d'ennemi vrai, l'inimitié a ressurgi sous la forme implacable d'une guerre totale menée par des "cathares" contre ce monde, non pour y conquérir une place, mais pour l'anéantir".
Pour y échapper, Carl Schmitt, et Jean-François Kervégan, en appellent à retrouver le sens du conflit politique ( et pas seulement le débat : l'éthique de la discussion est impuissante face au terrorisme), c'est à dire un monde humain, et non un idéal qui tenterait d'éliminer une fois pour toutes les ennemis de l'humanité.
que retenir de ces démonstrations ? Que l'universalisme, la recherche du bien pour tous, donne naissance et entretient les terroristes. Que ce qui permet de l'empêcher c'est le sens du conflit, des chocs des opinions, des positions;
De quoi transposer dans ce qui se passent dans nos organisations, nos entreprises ? Et dans le débat politique en France ?
A chacun de se faire son opinion. En passant par Carl Schmitt et Jean-François Kervégan peut-être...